Le Monde d'Antigone

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Dernière mise à jour : 25.11.2025
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Allemagne: La frontière Est/Ouest renaît de ses cendres

Publié le 26/02/2025 à 00:06 par monde-antigone

 

Élections en Allemagne: La frontière Est/Ouest renaît de ses cendres après la victoire historique de l'AfD

par Jean-François Herbecq

RTBF - 24 fev 2025

https://www.rtbf.be/article/elections-en-allemagne-pourquoi-le-resultat-historique-pour-l-extreme-droite-se-calque-t-il-sur-les-frontieres-de-l-allemagne-de-l-est-11508729

 

L’Allemagne a voté et elle affiche ses divisions sur la carte: l’Ouest offre une victoire étriquée aux conservateurs de la CDU-CSU, l’Est a poussé à son sommet le parti d’extrême droite AfD. La carte des résultats offre plus que des similitudes avec celle de la République fédérale et de la République démocratique d’avant 1990, la RFA alliée des Occidentaux et la RDA inclue dans le bloc dirigé par l’Union soviétique: un peu plus de 35 ans après la chute du Mur de Berlin, c’est presque une réplique exacte. Comment expliquer ce phénomène frappant ? 

L’Union, les conservateurs chrétiens-démocrates de la CDU et de la CSU en Bavière emmenés par Friedrich Merz, arrive donc en tête, même si avec 28,5 % des suffrages, c’est le 2e pire résultat de l’histoire du parti. Sur la carte, sa couleur traditionnelle est le noir.

Les perdants sont les membres de la coalition sortante, dite "feu tricolore" et menée par les sociaux-démocrates du SPD avec les Verts  et les Libéraux du FDP, éjectés du Parlement avec moins des 5 % requis et donc absents de la carte.

Si les partis centristes s’effondrent, les franges politiques par contre gagnent du terrain. Surtout l’AfD à l’extrême droite qui double son résultat par rapport au précédent scrutin en 2021 avec 20,8% et devient la deuxième force politique du pays. La Gauche réussit une résurrection politique: Die Linke fait son retour, mais la formation anti-capitaliste et anti-migrants BSW, l’Alliance menée par Sahra Wagenknecht, échoue de justesse à passer le seuil des 5 %.

L’extrême droite impose sa marque dans l’ancienne Allemagne de l’Est

Mis sur carte, ces résultats appellent une comparaison historique: avec les limites entre l’ancienne Allemagne de l’Est, où domine l’AfD, et de l’Ouest, où la CDU-CSU arrive presque partout en tête. Ce qui explique ce résultat, c’est une hausse généralisée des deux partis arrivés en tête. La CDU-CSU améliore ses résultats quasiment partout, faisant jusqu’à 10 % de plus qu’aux dernières élections. Les rares endroits où les conservateurs reculent sont quasi tous situés à l’est.

Quant à l’AfD, elle réalise une percée historique, mettant fin à l’hégémonie partagée en CDU-CSU et SPD. Elle dépasse de loin les sociaux-démocrates, culminant dans certaines circonscriptions à 46,7 % ! Si quasiment partout dans les Länder de l’est, Saxe, Thuringe et Brandebourg notamment, elle est au-dessus des 30 % (à l’exception notable de certaines circonscriptions berlinoises), elle flirte aussi dans de très nombreux endroits avec les 20 % à l’ouest.

Un succès qui reproduit des tendances des années 1930

La question de la migration, la sécurité et le débat identitaire alimentés par des thèmes économiques font mouche dans ces territoires de l’Est et ce n’est pas que leur appartenance à la RDA entre 1949 et 1990 qui explique cela: des politologues, comme Gilbert Casasus, professeur émérite en études européennes à l’Université de Fribourg et spécialiste de l’Allemagne, voient aussi des similitudes avec les tendances électorales des années 1930. Il pointe notamment la persistance d’un vote d’extrême droite aux élections de 1949 et 1953 ainsi que le succès de l’AfD dans les régions luthériennes.

La progression fulgurante de l’AfD ne se limite donc pas au territoire de l’ancienne RDA: pour la première fois, le parti remporte également la première place dans deux circonscriptions en Allemagne de l’Ouest, Gelsenkirchen et Kaiserslautern. Ailleurs, l’Alternative arrive très forte 2e: notamment en Bavière, en Hesse et en Rhénanie-Palatinat. Avec un doublement de son score, l’AfD est absolument partout en progression: jusqu’à 20 % de plus qu’au précédent scrutin ! Et c’est en plus là où elle était déjà bien implantée qu’elle augmente le plus.

Les racines politiques, économiques et culturelles du "blitz" AfD

L’AfD, avec le "A" d’Alternative, est un parti antisystème. Il parle donc plus à ces Allemands qui se sentent laissés-pour-compte à l’Est. Depuis 1990, ces "Ossies" estiment toujours moins bénéficier de la prospérité allemande et ne pas avoir profité des dividendes de la réunification, une impression corroborée par les statistiques. Même si la désindustrialisation et le chômage ont été plus visibles dans les années 1990, malgré les investissements dans les infrastructures, le déséquilibre économique persiste. Des villes de l’Est comme Dresde, Erfurt et Leipzig offrent un visage prospère, mais ce n’est pas le cas des zones rurales.

La mentalité à l’Est est aussi plus conservatrice, réticente face à un Ouest jugé trop progressiste du point de vue social et culturel, opposé à un passé RDA souvent idéalisé. Ce vote de rejet, c’est aussi un vote contre Olaf Scholz, chancelier sortant particulièrement impopulaire à cause de sa politique en matière économique et de migration. Et l’AfD offre le profil parfait pour attraper ces voix. Plus minoritaire, l’Alliance populiste de gauche BSW perce plus à l’Est qu’à l’Ouest mais rate de justesse le seuil d’entrée au Parlement avec 4,97 %. Une conclusion s’impose dès lors: 35 ans après la réunification, le comportement électoral des Allemands diffère grandement entre Ouest et Est.

Deuxième constatation qui saute aux yeux face à cette carte des résultats, c’est la dichotomie entre zones urbaines et rurales: la CDU-CSU se maintient dans les campagnes, mais s’y fait systématiquement talonner (avec moins de 5 % de différence en moyenne) par l’AfD. En ville, le SPD devance l’extrême droite d’une petite tête (moins d’1 %) sur la 3e marche du podium. Cette ligne de fracture entre villes et campagnes est cependant moins forte que celle qui divise Est et Ouest.

Beaucoup de jeunes ont voté à l’extrême gauche

Enfin, troisième axe traditionnel de clivage politique: l’âge. Pour qui les jeunes Allemands ont-ils voté ? Pour tous les partis gagnants bien sûr, mais en particulier pour Die Linke, la gauche radicale qui renaît de ses cendres. Créditée de 3 % par les sondages, Die Linke avait fait appel à des canons à voix pour tenter de passer le seuil d’entrée au Bundestag. Un joker non nécessaire, vu les 8,7 % que fait finalement le parti. Dans la tranche des 18-29 ans, Die Linke est en tête des suffrages, avec 24 %. 1 jeune Allemand sur 4 vote à gauche toute, c’est probablement le résultat d’une campagne active et réussie de la présidente Heidi Reichinnek sur les réseaux sociaux. [Die Linke, fondé en 2007, provient du PDS lui-même issu du SED, parti officiel de la RDA jusqu'à la chute du Mur. Il est devenu un parti populiste de gauche appartenant au même groupe (GUE/NGL) que LFI au parlement européen; ndc]

A noter encore, les meilleurs scores de Die Linke collent à la carte de l’ex-RDA, mais est-ce un héritage du communisme ? Difficile à dire, vu les belles progressions également enregistrées à l’Ouest. Par ailleurs, le succès du parti à Berlin, à Friedrichshain-Kreuzberg et à Prenzlauer Berg-Ost, est à souligner. Inversement, les plus de 60 ans ont plébiscité l’AfD, avec 38 %. Pour la Gauche, plus les électeurs sont âgés, plus les résultats sont mauvais. Les groupes d’âge intermédiaires se montrent moins tranchés. A noter que le SPD se maintient aussi chez les seniors: 23 %, quasi le double des plus jeunes.

En conclusion, le phénomène est géographique mais surtout politique: les Allemands ont voté différemment dans les Länder de l’Ouest que dans ceux de l’Est, plus au centre dans le premier cas et beaucoup plus à l’extrême droite dans le territoire de l’ex-RDA, à l’exception de l’île formée par Berlin. Mais l’AfD est clairement en progression partout, à l’Ouest comme à l’Est. Les villes ont moins glissé à droite que les campagnes et les jeunes ont plus opté pour l’extrême gauche que les aînés.