Le Monde d'Antigone

Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
Seule une révolution mettra fin à un système
dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.

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"MBS", après 8 décennies d’endoctrinement wahhabite

Publié le 18/05/2017 à 04:24 par monde-antigone

 
Le peuple saoudien refuse « les agendas occidentaux » !
par Yves Gonzalez-Quijano
Culture et politique arabes - 02 mai 2017
http://cpa.hypotheses.org/6242


Dégagez-les tous !  Ce mot d’ordre qu’on a pu entendre en France ne peut manquer de faire penser au « Dégage ! » (Irhal) lancé par les manifestants des premiers soulèvements arabes il y a 6 ans de cela. Certains indices donnent à penser qu’en Arabie saoudite également le slogan pourrait devenir d’actualité…

Dans un pays qui n’y est guère habitué, les réseaux sociaux, Twitter essentiellement, ont diffusé des appels pour que les demandeurs d’emploi descendent dans la rue les 21 et 30 avril. Même si les forces de l’ordre ont été les seules à se présenter au rendez-vous, ce début de mobilisation a frappé les esprits, à commencer parmi les dirigeants du royaume. Sur la Toile, les protestataires font en effet preuve d’une virulence sans précédent. Niant farouchement être manipulés par l’Iran, ils ont eu l’audace de se plaindre de leur sort en comparaison de celui des princes de la famille royale, sans épargner le vice-prince héritier, Mohammed Bin Salman (MBS), qui se serait offert un yacht à 500 millions de dollars juste au moment où il imposait ses mesures d’austérité. Ils ont même été jusqu’à s’étonner des largesses du Royaume à l’égard des USA voire de l’Égypte, alors que leurs gouvernants ne sont même pas capables de leur offrir un emploi…

Un langage plein d’impudence, qui n’est sans doute pas totalement étranger au fait que les fomentateurs de troubles ont l’impression d’avoir eu gain de cause. En effet, au lendemain du premier appel, une bonne partie des mesures d’austérité, très impopulaires, décidées en septembre dernier ont été supprimées du jour au lendemain. Officiellement, c’est en raison d’une amélioration budgétaire, grâce à une légère hausse des cours du pétrole. Dans les faits, beaucoup pensent que le retour des primes accordées aux très nombreux fonctionnaires, 20 % du salaire et bien davantage dans certains cas, ainsi que le rétablissement des prêts bancaires à la consommation, sont bien liés au mouvement de mauvaise humeur exprimé dans les réseaux sociaux, et aussi aux inquiétudes du secteur commerçant constatant que ses kilomètres de galeries commerciales restaient de plus en plus vides de clients.

Les mauvais esprits se demandent également si le pouvoir n’a pas choisi de lâcher du lest en prévision d’autres mesures impopulaires à venir, en particulier dans le cadre d’une hausse des impôts à la consommation. En tout état de cause, la manne royale s’est accompagnée d’un remue-ménage particulièrement spectaculaire au sein de la haute administration. Des articles détaillent la chose (au choix, une version russe et une étasunienne). Pour résumer, on retiendra que 14 jeunes princes ont été nommés à des postes importants, la promotion la plus spectaculaire restant celle de l’un des frères de l’héritier putatif (MBS) au poste très sensible d’ambassadeur à Washington. L’heureux élu n’a que 28 ans, et une expérience de pilote de chasse… Manifestement, il s’agit d’un pas de plus de MBS, fils de l’actuel roi, vers un trône qui, en principe, devrait revenir à son oncle, Muhammed ben Nayef..

Mais les jeux ne sont pas faits et l’on ne doit pas oublier que l’Arabie saoudite a connu plus d’une succession difficile. Même si, en apparence, tout se présente sous le meilleur jour pour le jeune prince pressé d’arriver au pouvoir, celui-ci a tout de même contre lui l’interminable, meurtrière et coûteuse guerre du Yémen et, sujet très sensible auprès de l’opinion et notamment au sein des milieux influents du pays, une privatisation partielle du principal joyau de la couronne, la société Aramco, la plus importante compagnie de pétrole au monde. Des rumeurs insistantes font état d’inquiétudes réelles de la part de grosses fortunes qui commencent à explorer les possibilités d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte et le sable un peu moins brûlant.

Dans le cadre de ces chroniques, il convient de s’arrêter à une suite de déclarations sur le thème de la « politique du bonheur » déjà évoquée il y a de cela quelques semaines. Pour ceux qui ont manqué les épisodes précédents, rappelons que, au sein de la stratégie qui accompagne l’irrésistible ascension de la potentielle future altesse MBS, figure un élément singulier, qui consiste à briser (en partie) les codes puritains en vigueur depuis des décennies dans le royaume. Le but est d’imposer une ouverture libérale en développant une industrie des loisirs susceptible, en principe, de créer des emplois et de préparer le pays à l’économie moins dépendante des ressources pétrolières. Avec cette « ouverture rectificatrice », il s’agit surtout d’offrir à la très nombreuse et peu satisfaite jeunesse du pays un cadre de vie « moderne » (ou encore « occidentalisé »), davantage en lien avec ses aspirations. En d’autres termes, cela revient, pour MBS et ceux qui le conseillent, à modifier le traditionnel système d’alliance de la famille royale avec l’institution religieuse wahhabite pour créer de nouveaux équilibres, davantage en faveur de la jeune génération et par ailleurs susceptibles de plaire aux parrains nord-américains.

Au premier rang de cette nouvelle politique culturelle figure l’Autorité générale pour les loisirs (General Authority for Entertainment), un organisme créé par MBS pour insuffler une nouvelle dynamique « culturelle » (beaucoup de guillemets car il s’agit bien d’entertainment, et donc surtout d’industrie des loisirs: tarfîh d’ailleurs en arabe). Ancien ministre de la Santé, Ahmed al-Khatib, son actuel président, a récemment accordé à l’agence Reuters un entretien qui n’est pas passé inaperçu, surtout dans le contexte actuel du pays. Assez sûr de lui, ce membre de la garde rapprochée du prince MBS a annoncé l’ouverture prochaine de cinémas dans le Royaume. Un serpent de mer dans ce pays où ils ont été supprimés il y a plusieurs décennies de cela, et surtout un véritable symbole de l’affrontement entre les partisans de l’ouverture et ceux du maintien de la tradition.

Mais bien plus que l’argumentaire, assez bien connu, sur les mérites des activités artistico-commerciales de l’Autorité générale pour les loisirs, ce qui a suscité beaucoup de commentaires (toujours sur les réseaux sociaux) c’est surtout une manière assez grossière et suffisante – aux yeux d’une partie de la population en tout cas – de présenter les choses. Pour Ahmed al-Khatib, en effet, la bataille est en train d’être gagnée (I believe we are winning the argument) car si les Saoudiens sont parfois libéraux (comprendre, dans le langage local, très progressistes) et parfois conservateurs, ils sont selon lui surtout modérés. Avec des projets aussi ambitieux que la construction d’un gigantesque parc d’attractions, les Saoudiens vont bientôt bénéficier de loisirs « qui ressembleront à 99 % à ce que l’on peut trouver à Londres ou à New York ». Quant à ceux qui n’aimeraient pas cela, a-t-il conclu, ils peuvent tout simplement rester chez eux.

Sans surprise, une partie de l’institution religieuse (par ailleurs souvent proche de Nayef, l’oncle de MBS, le premier héritier putatif du trône si rien ne change…) n’a pas fait mystère de son irritation. Les critiques de l’Autorité générale pour les loisirs ont fusé, venant tantôt de figures intouchables, tel le mufti du royaume, ou de religieux moins importants que l’on a donc pu mettre au frais en prison, par exemple Abdul-Aziz al-Tarefe et, tout récemment, Essam al-Owayyed.

Après 8 décennies d’endoctrinement wahhabite, les milieux ultra-conservateurs bénéficient, à l’évidence, d’une très grande influence sur les esprits, y compris au sein de la jeunesse. Le responsable saoudien de ce qu’on appellerait en France un « centre de déradicalisation » estimait que « 92 % des Saoudiens penseraient […] que Daesh (ISIS si l’on préfère) est conforme à l’islam » D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, les protestations contre les propos d’Ahmed al-Khatib expriment assez bien cet état d’esprit avec par exemple un mot d’ordre (sous forme de hasthtag) tel que « Le peuple refuse les agendas occidentaux ! »

Plus inquiétantes pour les projets du prince MBS, les critiques, comme le montrent les protestations sur les réseaux sociaux, ne se limitent pas à ces seuls milieux. Outre les minorités chiites à l’est du royaume (en particulier les partisans de cheikh Nimr al-Nimr, exécuté, avec une petite cinquantaine d’autres condamnés, il y a un peu plus d’un an), les responsables saoudiens doivent faire face, comme rappelé au début de ce billet, à une opinion publique de plus en plus ouvertement critique vis-à-vis d’un système politique construit sur le népotisme, et aujourd’hui particulièrement fragilisé par ses rivalités internes.

Rien n’est joué mais, très significativement, le président de l’Autorité générale pour les loisirs a dû revenir sur ses déclarations en expliquant qu’on l’avait mal compris. Il a commencé par dire que tous les projets, non seulement seraient bien entendu menés dans un esprit conforme à l’interprétation locale de l’islam « in a way that harmonizes with Saudi values that depend on the tolerant teachings of Islam », mais qu’il y en aurait également pour les esprits religieux à qui l’on ne demanderait donc pas de se contenter de rester chez eux !


« La lutte idéologique contre l’EI sera compliquée à mettre en œuvre en Arabie saoudite »
Entretien avec David Rigoulet-Roze, enseignant, chercheur et spécialiste des relations au Moyen-Orient
Propos recueillis par Louis Witter
L'Orient-Le Jour - 06 jul 2016
http://www.lorientlejour.com/article/995049/-la-lutte-ideologique-contre-lei-sera-compliquee-a-mettre-en-oeuvre-en-arabie-saoudite-.html


Trois attentats ont frappé le royaume wahhabite lundi [4 juillet], dont un à Médine, 2e ville sainte des musulmans après La Mecque. Ces attaques non revendiquées, mais dont le mode opératoire rappelle celui de l'EI, ont fait au moins 4 morts.

Quelles raisons, selon vous, ont poussé ces kamikazes à s'attaquer à l'Arabie saoudite ?
Tout d'abord, il faut souligner que ces attaques n'ont pas encore été revendiquées, mais que le mode opératoire rappelle celui utilisé par l'État islamique. Depuis le début du ramadan, le monde et particulièrement le monde islamique fait face à une campagne d'attentats comme en Jordanie (le 6 juin dernier, cinq membres des services de renseignements jordaniens ont été tués dans leur bureau, situé dans le camp de réfugiés palestiniens de Bakaa; le 21 juin, un attentat-suicide a encore visé l'armée jordanienne dans la zone désertique du nord-est du royaume, tuant sept militaires), en Turquie (le 28 juin un triple attentat-suicide frappait l'aéroport international d'Istanbul tuant 45 personnes), au Bangladesh (le 1er juillet, cinq islamistes tuaient une vingtaine de ressortissants étrangers dans un restaurant à Dacca, après avoir tué deux membres des forces de sécurité), enfin en Irak avec le terrible attentat-suicide perpétré dans le quartier de Karrada de Bagdad, causant la mort de 213 personnes et plus de 200 blessés. Cela s'inscrit dans une logique de terreur, avec une dimension particulière durant le ramadan. Le 21 mai dernier, dans un message d'une trentaine de minutes, le porte-parole de Daech (acronyme arabe de l'EI), Abou Mohammad al-Adnani, annonçait que le mois de ramadan devait être un « mois de calamité pour les infidèles, où qu'ils se trouvent ». L'année 2015 avait également connu une annonce similaire, qui appelait à frapper pendant le ramadan. Dans la logique jihadiste, le ramadan peut constituer un mois privilégié pour commettre des attentats dans la mesure où celui qui tombe en martyr durant cette période est susceptible d'obtenir un accès au firdaws (« paradis »), même si pour le simple fidèle le mois de ramadan se présente d'abord et avant tout comme un mois de paix.


Pourquoi deux des trois attentats ont visé des lieux sacrés ?
Les trois attentats sont différents. Le premier a eu lieu dans la nuit du 3 au 4 juillet – Independance Day aux États-Unis – dans la ville de Djeddah, à proximité du consulat américain. Le kamikaze s'est fait exploser, car il avait attiré l'attention des forces de sécurité qui s'approchaient de lui. À Qatif, dans la province orientale du royaume, deux kamikazes ont apparemment actionné leur ceinture d'explosifs sans faire de victimes, près d'une mosquée chiite. Ici la communauté chiite était donc clairement visée. Dans le cas de Médine, c'est plus inédit car la ville fait partie des lieux saints de l'islam, et donc cela soulève un certain nombre de questions. Il y a eu quatre officiers de sécurité tués, car ils avaient eux aussi identifié le terroriste sur le parking attenant. C'est au moment de l'interpellation que l'homme s'est fait exploser. Ce qui est sûr, c'est que l'Arabie saoudite est visée en tant que telle. Depuis fin 2014, le calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi appelle explicitement à viser la communauté chiite d'Arabie saoudite – jugée « hérétique » –, ce qui est aussi une manière de déstabiliser le royaume saoudien en tant que tel, lorsque l'on songe que cette communauté représente entre 12 et 15 % de la population du royaume et qu'elle se trouve concentrée dans la province orientale du royaume, qui se trouve être aussi, malencontreusement, la province pétrolière. Daabiq, le magazine de l'EI, a évoqué à plusieurs reprises le royaume comme une « cible » de son projet califal. Il est fait référence à un hadith du Prophète définissant l'ordre de priorités après la proclamation fin juin 2014 de l'« État islamique »: d'abord la conquête de l'Arabie saoudite, puis de l'Iran et finalement de « Rome » (terminologie médiévale renvoyant à l'Occident). « Vous envahirez la péninsule Arabique et Allah vous permettra de la conquérir. Vous envahirez alors la Perse et Allah vous permettra de la conquérir. Vous envahirez ensuite Rome et Allah vous permettra de la conquérir. » Dans un numéro postérieur du 21 novembre 2014 où figure d'ailleurs une photo de la Kaaba de La Mecque, le projet de l'EI ne laisse guère de doute: « Le drapeau du califat se lèvera sur La Mecque et Médine, même si les apostats et les hypocrites le méprisent. » Dans un message audio également, diffusé le 13 novembre précédent, Abou Bakr al-Baghdadi avait explicitement appelé à s'en prendre « au régime corrompu des al-Saoud ». L'Arabie saoudite est donc un pays cible également et peut-être surtout en raison de ses villes saintes constituant le horm (territoire sacré). Pour l'EI, c'est un but à atteindre. De fait, l'EI aurait « institué » une wilaya (province) dénommée Wilayat al-haramayn (province des deux sanctuaires).


Comment Riyad peut-il faire face à ces attaques ?
Je pense que cela est très compliqué pour le régime saoudien, car une partie du problème réside dans le fait qu'il n'existe pas nécessairement de césure fondamentale sur le plan strictement doctrinal entre la pensée wahhabite en vigueur dans le royaume saoudien et celle de l'« État islamique ». Les Saoudiens sont dans une situation inconfortable qui tient pour partie au fait que le wahhabisme prône l'application stricte de la charia légitimant les décapitations, voire les crucifixions, pour les criminels. Par ailleurs, la famille saoudienne ne peut pas se prévaloir d'une noble ascendance à l'instar des hachémites de Jordanie qui étaient traditionnellement les gardiens des deux lieux saints avant d'en être dépossédés en 1925 par les Saoud justement, ni perçue comme telle par les autres musulmans, a fortiori par les jihadistes d'aujourd'hui. Les Saoud n'ont sans doute pour cette raison jamais cherché non plus à investir la charge califale jadis détenue par le sultan-calife ottoman. Un titre que s'est arrogé le calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi qui revendique de pouvoir se prévaloir d'une lointaine ascendance avec la tribu du Prophète. Il y a toujours eu un problème de déficit et de légitimité théologico-politique pour la souveraineté saoudienne, ce qui avait d'ailleurs justifié la décision de feu le roi Fahd en 1986 de se réattribuer le titre de Khadim al-haramayn al-charifayn ("protecteurs des lieux saints"). Les choses étant ce qu'elles sont, le pouvoir saoudien sera donc aujourd'hui sûrement dans la même logique de répression impitoyable comme il l'avait été contre el-Qaëda au milieu des années 2000. Sur le plan théologique, le grand mufti a en tout cas dénoncé les tenants de l'État islamique comme « ennemis de l'islam » en allant jusqu'à les stigmatiser comme « kharidjites ». Mais sur le fond, cela ne règle rien au problème posé par une « daechisation » rampante au sein de la société saoudienne comme en témoignent les réactions parfois via les réseaux sociaux lorsque des attentats sont perpétrés visant des chiites en Irak, voire ceux visant des chiites saoudiens. Par-delà la lutte sécuritaire résolument engagée par les autorités saoudiennes contre l'EI, la lutte idéologique sera donc beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre en Arabie saoudite que dans les pays occidentaux où les idéaux à défendre ne souffrent d'aucune ambiguïté.

21/06/2017 >> Le fils du roi ("MBS") est nommé nouveau prince héritier par décret royal.