Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
Seule une révolution mettra fin à un système
dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.
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Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour :
06.12.2025
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La société des loisirs et la politique du bonheur en Arabie saoudite
par Yves Gonzalez-Quinjano
Culture et politique arabes - 18 jan 2017
http://cpa.hypotheses.org/6149
Allez savoir pourquoi, les sujets du roi d’Arabie saoudite ou ceux des Émirats sont malheureux ! Dans leur pays, où il n’y a ni bandes armées ni bombardements et où le revenu moyen par habitant est plus que confortable, ils vont si mal que les autorités ont dû prendre des mesures. Il y a un peu moins d’un an, la fédération des Émirats arabes unis a décidé de confier à une femme, Ouhoud al-Roumi, un « ministère du Bonheur », tandis que les Saoudiens mettaient en place, quelques mois plus tard, un nouvel organisme, l’Autorité supérieure des loisirs.
Dans le cas des Émirats, cette innovation aux allures postmodernes (ce qui va bien avec le style du pays) s’accompagnait de deux autres créations ministérielles, dédiées quant à elles à la Jeunesse et à la Tolérance. Du coup, les visées politiques de cette opération apparaissent un peu plus clairement. Pour aider la population locale quelque peu bousculée par le rythme des changements intervenus en quelques décennies, les autorités ont d’abord fait la promotion de l’identité nationale (voir ce billet où il est question de bande-dessinée). Aujourd’hui, craignant l’anomie d’une partie de la jeunesse dont certaines franges sont tentées par le passage à la violence, il s’agit de mettre en place à l’intention de cette classe d’âge des contre-feux pour réduire les risque de radicalisation (grâce à la tolérance), en s’assurant du « bonheur » de tout un chacun.
Les mesures comparables qui ont été prises un peu plus tard en Arabie saoudite permettent de comprendre à la fois le genre de « bonheur » que cherchent à promouvoir les autorités, et les enjeux sociaux et politiques d’un objectif auquel, en principe, on s’attend à ce que tout le monde souscrive sans réserve. Ce que je traduis ici par « loisirs » – en suivant les Canadiens mais j’aurais pu utiliser aussi l’expression de « temps libre » comme dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy – correspond à l’arabe tarfîh, que les Saoudiens traduisent eux-mêmes en anglais par entertainment. Comme on le voit, on n’est plus au temps des grandes politiques culturelles « à la Malraux », avec des projets qui visent, comme on a voulu le faire dans l’Égypte nassérienne notamment, à « enculturer » ( ! ?????) le peuple. Aujourd’hui, l’objectif visé, c’est la promotion des industries de masse de la consommation et des loisirsautiriteloisirs.
Car ce tournant en faveur de la promotion des loisirs s’inscrit dans l’ambitieux projet officiellement lancé, à la même époque d’ailleurs (avril 2016) par le régime saoudien. Dans les faits, Vision 2030 est surtout la rampe de lancement du très pressés « MBS » (Mohammed Ben Salmane), fils de l’actuel et très âgé (80 ans) roi d’Arabie, mais second dans l’ordre de succession après son oncle Muhammad (bin Nayef). C’est dans le cadre de ce projet pour bâtir une nouvelle Arabie saoudite que la General Entertainment Authority a été mise en place, sur la base d’un argumentaire essentiellement économique. Pour diversifier ses ressources et ne plus dépendre autant des revenus pétroliers, le Royaume doit à la fois faire des économies et développer de nouvelles richesses. Pour réduire les flux de Saoudiens qui se rendent, chaque fin de semaine, à Manama (Bahreïn), à Dubaï et plus loin encore (Istanbul est à la mode en ce moment), rien de mieux que la création d’une industrie locale des loisirs qui occupera, sur place, le temps libre des habitants tout en créant des emplois (100.000 selon les prévisions).
Une fois encore, il s’agit de loisirs et pas forcément de culture (pour celle-ci, il y a d’ailleurs un autre organisme, créé par la même occasion). À peine installée, la nouvelle structure s’est donc mise au travail en proposant, pour l’année 2017, un programme où les compétitions de catch rivalisent avec les courses automobiles et autres parcs d’attractions, un peu moins masculins. L’entertainment, c’est bien entendu, aussi, du cinéma, des concerts, du spectacle vivant (la stand up comedy fait un tabac partout dans la région), autant de lieux où il est quand même beaucoup plus drôle de se retrouver en famile, entre amis, et donc, inévitablement, dans des lieux où se côtoient les deux sexes…
Une petite « révolution » dans un Royaume dont la vertu, définie selon les critères très conservateurs du wahhabisme, est protégée depuis sa création par les brigades de la protection des mœurs. D’ailleurs, personne ne s’y trompe et tout le monde sait sur place que l’ambition du programme Vision 2030, qui a le bonheur de coïncider avec les ambitions personnelles de l’héritier putatif MBS, consiste à desserrer un peu le carcan imposé par les tenants de la Tradition (grand T, il s’agit de l’inspiration prophétique). Un « relâchement » qui doit se faire au profit des nouvelles générations, d’autant plus « libérales » qu’elles ont en majorité achevé leur formation aux USA. Donner du bonheur aux Saoudiens, c’est donc, inévitablement, modifier les termes de l’alliance passée depuis les origines du Royaume avec le pouvoir religieux, et renverser le cours des choses qui a vu les autorités accorder leur plein soutien aux courants les plus conservateurs, surtout depuis les années 1980, après avoir senti très fort le vent du boulet lorsque des islamistes avaient pris le contrôle des Lieux saints (pour en être délogés par le commandant Barril et le GIGN). C’est pour flatter les plus conservateurs de leurs musulmans, par exemple, que les autorités du pays avaient mis un terme aux quelques spectacles (théâtre ou encore cinéma) qui brisaient un peu la monotonie de la vie saoudienne de l’époque…
Annoncée depuis quelque temps déjà, la réaction des religieux conservateurs ne s’est pas fait attendre. Le mufti du Royaume, un véritable épouvantail pour la jeunesse sans aucun doute, a fait savoir urbi et orbi pourrait-on dire, qu’il n’appréciait guère le programme suggéré par l’Autorité des loisirs, car les spectacles, qu’il s’agisse de musique ou de cinéma, « ne valent rien et mènent à la fornication, à la débauche et même à l’athéïsme ».
Un revers, incontestablement, pour « la jeune direction » (al-qiyâda al-shâbba, comprendre MBS et ses soutiens). Mais on peut penser également que les aboiements des cheikhs n’empêcheront pas la caravane du progrès et du « bonheur » de tracer sa route, comme on a pu le constater précédemment (article en arabe) lorsqu’ils s’étaient mis en tête d’interdire les téléphones portables équipés de caméras : bien entendu, ceux-ci sont partout présents aujourd’hui. D’ailleurs, on peut imaginer que les libéraux saoudiens sauront trouver des soutiens pour leur cause, sur place et à l’étranger, à l’image de la vidéo sur YouTube évoquée la semaine passée et qui met en scène une société moderne et sans tabou (ça y est, on a dépassé les 5 millions)
Hwages: Jeune génération et révolution en Arabie saoudite
par Yves Gonzalez-Quinjano
Culture et politique arabes - 11 jan 2017
http://cpa.hypotheses.org/6142
Telle une idée obsessionnelle qui ne vous quitte plus, les articles dans toutes les langues se succèdent pour chanter les louanges de la dernière pépite saoudienne, une vidéo où, sur fond de chant traditionnel relooké (on y reviendra), une bande de jeunes saoudiennes se moquent joyeusement des hommes dont, nous disent les paroles, elles rêvent d’être débarrassés tellement ils leur prennent la tête !
« Idées obsessionnelles » (Hwages), ça tombe bien, c’est le titre de cette vidéo, que la presse choisit souvent d’interpréter en fonction de ses propres hantises ! Comme on a décidé qu’il s’agissait d’un « manifeste féministe » et même d’une « révolte contre la société patriarcale » (celle des autres, hein, pas la nôtre !), les chroniqueurs traduisent par « problèmes » (concerns en anglais, au sens d’inquiétude) ou même « barrières » voire « interdictions » (mais dans ce cas il s’agit visiblement d’une confusion avec un autre mot en arabe).
Fidèles à leur marotte, les commentateurs déclinent par conséquent les couplets obligés sur l’oppression (bien réelle, je le précise) que subissent les femmes saoudiennes privées, pour commencer – ça tombe bien c’est le premier plan de la vidéo – du droit de conduire. Ce faisant, ils oublient souvent, me semble-t-il, un élément important dans ce clip, c’est qu’il y a de l’humour, et même de la dérision (vis-à-vis des hommes représentés dans le clip mais aussi, peut-être, vis-à-vis des femmes, toujours susceptibles de « retomber » dans leurs travers passés, celui de la soumission au désir masculin. À ce niveau, Hwages est moins un manifeste politique qu’une parodie, même sympathique.
Toujours hantés par les mêmes idées fixes, les commentaires sont d’autant plus dithyrambiques que le clip en question renvoie, par sa critique des mâles saoudiens, une image très positive de l’Autre qui regarde, à savoir, nous, les bons occidentaux. Selon un schéma éprouvé de longue date, et qui a fait particulièrement florès durant ledit « Printemps arabe », la révolte de la jeunesse arabe est d’autant plus audible qu’elle est « vendable » et « photogénique », dès lors qu’elle emprunte, dans sa critique, à nos codes occidentaux, en quelque sorte valorisés par antithèse.
Pour une fois, et c’est vraiment un des intérêts de ce clip à mes yeux, on en a la preuve parce qu’il en existe en réalité deux versions: la version d’origine, copie conforme, y compris dans les paroles, de celle qui cartonne dans les médias sur YouTube avec bientôt 5 millions de vues en moins de 3 semaines. Mais la seconde est beaucoup plus « sexy », avec ces jeunes saoudiennes qui expriment leur révolte avec les codes de la street culture globale (rollers, basket, snickers et j’en passe).
Ce relookage, il a été effectué avec un talent certain par Majed Alesa, un jeune réalisateur saoudien, à la tête de 8IES, une société de production très branchée de Riyad. Comme on peut le voir sur son compte Twitter (désormais inactif), il se passionne pour le patrimoine culturel bédouin. D’ailleurs, son travail consiste très souvent – comme dans Hwages en l’occurrence – à remixer à la sauce du moment des éléments de la culture traditionnelle, une démarche, qu’on pourrait appeler le « collage hybride » et que l’on retrouve chez de très nombreux jeunes créateurs arabes actuels (vous n’avez qu’à feuilleter ce blog pour en trouver toutes sortes d’exemples).
Humour, dérision, second voire troisième degré, collage, remix, hybridité: tous les ingrédients de la jeune génération arabe sont réunis, ce qui ne rime pas forcément avec révolution ! Il me semble qu’on s’enthousiasme un peu trop rapidement pour cette « bombe » capable de faire exploser les carcans de la morale à la saoudienne. À en croire l’impayable Huffington Post, on n’avait pas vu cela depuis les Pussy Riots et leur Straight Outta Vagina !!! Une véritable hallucination ! Une vidéo n’a jamais fait le printemps (arabe) et, d’ailleurs, Majed Alesa est aussi un très fidèle sujet de son roi dont il retransmet fièrement – toujours sur son compte Twitter – les prodigieuses manœuvres militaires (ces mêmes forces qui bombardent à tout-va, avec l’aide de notre savoir-faire, au Yémen).
Non, la révolution n’a pas commencé en Arabie saoudite avec la vidéo de Majed Alesa. En revanche, après avoir été soutenu par le quotidien Al-Bilad, le jeune réalisateur a été salué par la princesse Ameera Al-Taweel, un ancienne épouse du milliardaire Al-Walid bin Talal. Il y a quelques jours, Al-Hayat a présenté à ses lecteurs la désormais célèbre vidéo, sans rien cacher des critiques qu’elle adresse à la société saoudienne. En soulignant le talent de cet excellent représentant de la jeune génération, le très libéral quotidien à financement saoudien l’enrôlait – ce qu’il accepte sans doute bien volontiers – dans la lutte qui oppose les plus modernistes des élites locales aux représentants des milieux conservateurs religieux. Une lutte pour le contrôle du pouvoir, avec d’énormes enjeux économiques et financiers, et qui, sur le terrain saoudien, s’exprime à moindre frais sur le terrain de la culture et des pratiques cultuelles.
Là encore, les images nous disent bien des choses, pourvu qu’on les fasse parler. Inévitablement, on a beaucoup commenté la séquence où la vidéo nous montre le visage de Trump, considérant que le « presque-président » symbolisait la figure la plus détestable du pouvoir masculin en général. Certes, mais c’est oublier (ou plutôt ignorer, mais on peut lire cet article, en arabe, du défunt Al-Safir) qu’il y a aussi une allusion très directement politique à cette caricature machiste, dans la mesure où la jeunesse saoudienne libérale, prête à prendre la relève du pouvoir avec l’héritier de l’héritier du Royaume (MBS, Mohammed ben Salmane Al Saoud), a pris fait et cause pour Hillary Clinton (dans la vidéo, on voit d’ailleurs des pancartes à sa gloire).
Oublions donc les questions que l’élection de Trump fait peser sur les destinées de l’Arabie saoudite pour applaudir, sans arrière-pensées trop compliquées, cette amusante illustration de la révolte féministe saoudienne (les paroles viennent après).
Puissent les hommes disparaître / Ils ne nous apportent que des maladies mentales
Qu’il n’y en ait pas un qui reste sain / Chacun d’eux est possédé par un démon femelle
(Reprise d’un traditionnel)
Mon sort, c’est d’être une tempête, et ceux que j’aime des feuilles au vent
Qui va tenir les feuilles dans sa main quand souffle la tempête ?
EDIT (8 avril 2017)
L'Arabie saoudite va construire une gigantesque cité de divertissements
AFP, France24 - 08 avr 2017
http://www.france24.com/fr/20170408-larabie-saoudite-va-construire-une-gigantesque-cite-divertissements
RYAD - L'Arabie saoudite lancera en 2018 la construction d'une gigantesque cité de divertissements grâce à des investissements locaux et étrangers, dans le cadre des projets de diversification de son économie, fortement dépendante du pétrole, a annoncé le vice-prince héritier.
La zone située au sud-ouest de la capitale saoudienne Ryad, accueillera "la plus grande ville culturelle, sportive et de divertissement du royaume (...), a affirmé vers minuit vendredi le fils du roi et ministre de la Défense Mohammed ben Salmane, cité par l'agence de presse officielle Spa. Considérée comme unique en son genre dans le monde, elle aura une superficie de 334 km²", a-t-il ajouté, soit environ 3 fois celle de Paris.
La ville offrira "des activités de qualité soigneusement choisies", dont un parcours de safari et un gigantesque parc d'attractions, a énuméré Mohammed ben Salmane. Elle accueillera également des compétitions sportives et des courses automobiles. Elle comprendra également des restaurants et des hôtels pour attirer les touristes dans ce qu'il a qualifié de "capitale des aventures futuristes".
Confronté à la chute des prix du pétrole dont il est le premier exportateur mondial et par ricochet à un creusement spectaculaire de son déficit public, le royaume saoudien a lancé l'année dernière un vaste programme de diversification de son économie baptisé "Vision 2030" dont Mohammed ben Salmane est l'artisan. Dans le cadre de ce plan, le gouvernement de ce royaume conservateur - où les femmes n'ont pas le droit de conduire et les salles de cinéma sont interdites - a récemment créé une agence pour soutenir les entreprises privées organisant des événements de divertissement.
La première pierre de la cité de divertissements sera posée en 2018 et le projet sera officiellement inauguré en 2020, a indiqué le vice-prince héritier. Le Fonds public d'investissements qu'il préside en sera le principal investisseur, aux côtés d'une "élite de grands investisseurs locaux et étrangers".