Le Monde d'Antigone

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La stratégie russe: bâtir une forteresse pour Assad

Publié le 08/10/2015 à 18:08 par monde-antigone


"L'armée syrienne nettoie le tracé de la frontière alaouite", c'était le titre d'un topic que j'avais posté le... 26 mars 2012. Je pourrais reprendre le même titre aujourd'hui puisque c'est ce qui est en train de se passer... à la différence, cette fois, que c'est l'aviation russe qui procède à des bombardements intensifs et "nettoie" le terrain le long des 360 km d'autoroute qui relie Damas à Alep. Les villes situés sur cet axe se sont vidées de leurs habitants.

Le principe de la partition du territoire semble donc acquis. Assad abandonne les territoires désertiques, riches en hydrocarbures. Il se replie sur son fief alaouite, le long de la bande côtière, jusque là épargnée par les combats. C'est là que se trouve concentré l'essentiel de son économie, agriculture, industrie, services, activité maritime. Même sans pétrole, l'Etat alaouite aura de quoi subsister.

L'armée syrienne reçoit le concours au sol des troupes iraniennes d'al-Qods (le corps d'élite des Gardiens de la révolution). Des Tchétchènes seraient attendus en provenance d'Ukraine. Les forces navales stationnées en mer Caspienne participent aussi aux opérations en tirant des missiles. Mais les grandes oreilles américaines ont décelé des indices qui présageraient sinon d'une offensive terrestre, au moins d'opérations ponctuelles des forces spéciales russes dans les prochains jours. On se doutait bien que les soldats russes aperçus "incognito" il y a quelques jours n'étaient  pas venus en Syrie pour faire du tourisme.

Ces opérations militaires ont et auront pour objectif: 1/ d'éliminer toutes les poches de résistance qui se trouvent enclavées à l'intérieur du futur Etat alaouite quels que soient les groupes qui les tiennent, 2/ de reprendre le contrôle total de la province d'Idleb au nord, de Homs et d'Hama, les deux grandes villes du centre, 3/ de repousser jihadistes, islamistes et autres "rebelles" indésirables le plus loin possible dans le désert, 4/ de tout fermer.

Le commandement militaire russe s'est donné les moyens de mener sa campagne rapidement afin de mettre les forces de la "coalition" devant le fait accompli. Poutine a déclaré: « Si nous parvenons à une destruction effective des organisations terroristes comme le groupe Etat islamique ou al-Nosra, alors un grand pas aura été fait vers une solution politique en Syrie ». Regagner des positions est une chose, les tenir sur le terrain en sera une autre. Sur la durée, la "sécurisation" pourrait coûter encore plus cher que les combats. Qu'ils se souviennent de l'Afghanistan pendant les années 80... sans parler de la France au Mali pour une opération qui ne devait durer que quelques semaines...

La grosse polémique qui se développe en ce moment entre Washington et Moscou est de savoir quelles sont les cibles visées par les frappes russes. D'après le Pentagone, plus de 90 % de ces frappes toucheraient "l'opposition modérée".... Je reprends la déclaration du porte parole du Département d'Etat américain, John Kirby: « Plus de 90 % de leurs frappes auxquelles nous avons assisté n'ont pas été contre l'EI ou des terroristes affiliés à Al-Qaida. Elle ont été en grande partie contre des groupes d'opposition ».

Mais de quoi parle-t-il ??? Quels sont donc ces "groupes d'opposition" qui occuperaient le terrain en dehors de l'EI et al-Qaida ?
En fait, l'essentiel des forces qui combattent l'armée syrienne et l'EI se résume à "l'armée de la conquête". Cette armée réunit plusieurs groupes: le Front al-Nosra (la franchise d'al-Qaida), Ahrar al-Sham (un groupe salafiste) et d'autres groupes armés islamistes en quête de financement pour enroler, s'armer et monnayer leur influence. Cette armée occupe le nord-ouest de la Syrie à partir d'une portion frontalière avec la Turquie autour d'Efrin (qui est tenu par les Kurdes). Elle a surtout pris possession de toute la province d'Idleb et des bases militaires qui s'y trouvent. Elle est présente également dans le sud entre le plateau du Golan et Deraa.

Sur le papier il existe une  Armée syrienne libre (ASL) liée à l'opposition politique au régime d'Assad, le Conseil national syrien (CNS) planqué à l'étranger avec des représentants dans les grandes capitales européennes. Les puissances de la "coalition" présentent cette opposition pour "modérée", "démocratique", mais elle est en majorité proche des Frères musulmans. L'ASL, quant à elle, est devenue depuis 2013 quasi inexistante et inopérante sur le terrain. Les combattants formés secrètement en Jordanie par la CIA ont pour la plupart rejoint les jihadistes. Les manifestations de la population civile ont cessé depuis longtemps, et pour cause ! Alors, faire croire qu'il y aurait des démocrates, "amis de l'Occident", qui seraient en train de se battre contre les jihadistes et les soldats du régime et que les Russes bombarderaient est complètement ridicule et relève d'une propagande grossière destinée aux naïfs.

Je ne dis pas que l'ASL n'occuperait pas quelques poches de résistances ici ou là, dans quelques localités (l'élimination d'une de ces poches a sans doute été montée en épingle par le sénateur Mc Cain), mais il est impensable qu'une force aussi faible attire sur elle des bombardements aussi fournis. D'un point de vue militaire, ce serait incompréhensible parce que la partie du territoire alaouite la plus menacée est contingente à la province d'Idleb contrôlée par al-Nosra. Les incursions de l'Armée de la conquête étaient devenues plus appuyées ces dernières semaines et tendaient à se rapprocher de la ville de Lattaquié, bastion alaouite. L'EI, de son côté, avait avancé sur Alep où l'armée syrienne est en très mauvaise posture.

C'est pourquoi quand un journaliste parle de "rebelles" en commentant une carte de la Syrie divisée en zones de 4 couleurs différentes (kurdes, EI, régime et "rebelles"), quand la presse parle de "rebellion syrienne", de "groupes rebelles", de "forces de la rebellion", de "groupes de l'opposition", elle désigne en réalité des groupes islamistes qui n'ont rien de modérés, même s'ils cherchent à se démarquer de la sauvagerie de l'EI et à paraître présentables à l'Occident dans la perspective d'un règlement politique.


Syrie: La stratégie russe, bâtir une forteresse pour Assad
par Valérie Leroux, Eric Randolph
AFP, Yahoo! actualités – 06 oct 2015
https://fr.news.yahoo.com/syrie-stratégie-russe-bâtir-forteresse-assad-105051545.html


Au fil des opérations, la Russie dévoile sa stratégie en Syrie qui, selon des experts, vise à bâtir une forteresse autour de Bachar al-Assad en écrasant les rebelles les plus modérés et en fermant l'espace aérien aux Occidentaux. "L'objectif, c'est de sécuriser une zone alaouite (minorité religieuse d'Assad) sur le territoire de la "Syrie utile" - ouest densément peuplé qui concentre industrie et agriculture - et de laisser l'est désertique au groupe Etat islamique", résume Igor Sutyagin, expert militaire au Royal United Services Institute (RUSI) de Londres.

Les bombardiers russes attaquent ainsi les islamistes (Ahrar al-Cham, Front Al-Nosra...) au contact direct de la zone contrôlée par Damas, dans le nord du pays, ainsi que sur les enclaves rebelles plantées au coeur de ce territoire, entre Homs et Hama. "Ils essaient de sauver la situation en soutenant les forces d'Assad et de ses alliés sur le front et en espérant peut-être reconquérir du terrain", analyse Michel Goya, historien militaire et chercheur à l'école Sciences-Po Paris. L'opération aérienne pourrait être complétée par une offensive terrestre de l'armée syrienne, appuyée par des forces iraniennes et du Hezbollah libanais, estime M. Sutyagin.

L'Occident reproche à Moscou de très peu s'attaquer à l'organisation Etat islamique (EI) dans l'est du pays. "Les Russes frappent aussi contre l'EI pour justifier une posture mais ce n'est pas en réalité leur priorité", considère M. Goya. A la différence de la coalition conduite par les Américains, qui opère des frappes à haute altitude avec des chasseurs-bombardiers ultrasophistiqués, les Russes utilisent des avions d'attaque au sol Su-25 et des hélicoptères au plus près de l'adversaire. Avec ses 12 Su-25 et 16 hélicoptères de combat, stationnés à quelques minutes seulement de la ligne de front à Lattaquié, Moscou dispose d'un force de frappe puissante et flexible.

Le risque est aussi plus grand pour les pilotes. "Ils sont efficaces sur la ligne de front, c'est indéniable", multipliant les rotations et visant des cibles simples, mobiles, là où un Rafale français ou un appareil américain nécessite des moyens beaucoup plus lourds et plus coûteux, relève Michel Goya. Ceci explique l'effet de masse des frappes russes, qui s'enchaînent sans relâche depuis le 30 septembre. "Quantitativement, le bilan est forcément plus important", note l'expert. Russes et Syriens sont aussi "beaucoup moins scupuleux sur les dommages collérataux" alors que du côté occidental une grande partie du renseignement vise à mesurer ce risque, quitte à renoncer à une mission si celui-ci s'avère trop grand, dit-il.

L'armée russe enfin a accès au renseignement syrien, là où la coalition s'en remet exclusivement à ses propres moyens, images satellitaires et traque électromagnétique. Tous ces atouts compensent certaines faiblesses de l'aviation russe qui aligne en Syrie un mélange d'appareils vieillissants (12 Su-25 et 12 Su-24), conçus dans les années 60-70, et multirôles de dernière génération (quatre Su-30). Les bombardiers Su-24, à long rayon d'action, peuvent aller frapper en profondeur jusqu'à Raqqa, au coeur de l'organisation EI. Mais ils ne seront pas plus efficaces que les avions de la coalition dirigée par Washington, qui ont déjà frappé 2.500 fois en Syrie depuis un an, soulignent les experts.

En investissant le ciel syrien et en déployant des moyens mobiles de défense antiaérienne (Pantsir et Tor M1), la Russie instaure une zone d'exclusion aérienne ("no-fly zone") qui renforce la protection du régime de Damas. "La coalition, les Turcs et les Israéliens sont de facto chassés du ciel", note Michel Goya. Le commandant des forces de l'OTAN en Europe, le général Philip Breedlove, s'est publiquement ému d'une telle perspective, en rappelant que Moscou avait déjà créé ce genre de "bulle" en mer Noire après avoir conquis la Crimée. Des incidents ont été signalés ces derniers jours entre des avions turcs et russes, ajoutant à l'inquiétude des Occidentaux, même si Moscou a relativisé. "Il est de l'intérêt de tous de s'assurer que rien de fâcheux ne se produise, spécialement dans le contexte actuel de "relations froides" entre l'Occident, l'OTAN et la Russie", souligne Douglas Barrie, expert en aéronautique militaire à l'International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres.


"La Russie ne fait que sécuriser les zones vitales pour le régime de Damas"
Entretien avec Wassim Nasr, journaliste de France24, spécialiste des milieux jihadistes
France24 - 07 oct 2015
http://www.france24.com/fr/20151007-russie-fait-securiser-zones-vitales-le-regime-damas


L'intervention de Moscou en Syrie est entrée, mercredi 7 octobre, dans une nouvelle phase avec le début d'une "vaste offensive terrestre" menée par l'armée syrienne dans "le nord de la province de Hama", avec le soutien de l'aviation et, désormais, de la marine russe. Cette forte implication de la Russie a redonné de l'élan au régime de Bachar al-Assad, qui avait accumulé les revers militaires ces derniers mois face aux forces rebelles et au groupe jihadiste État islamique (EI). Après une semaine de raids aériens menés sur 112 cibles dans le pays, le président Vladimir Poutine a annoncé que son armée allait intensifier ses opérations.

Pour la première fois depuis leur intervention, les forces russes ont lancé des frappes depuis des croiseurs de la flottille de la mer Caspienne. Quatre d'entre eux ont, selon Moscou, tiré 26 missiles de croisière sur 11 cibles de l’EI. Selon des sources sur le terrain, l’engagement russe se traduirait également par une présence d’hommes au sol. Reste que pour les rebelles syriens et leurs soutiens en Occident, la Russie vise surtout d'autres groupes que l'EI, ceci dans le but de défendre le régime plutôt que de lutter contre l’organisation jihadiste. Pour Wassim Nasr, journaliste de France 24, spécialiste des milieux jihadistes, Moscou répond à des "impératifs militaires" qui contredisent sa "parole politique". Explications.


Quel est l’objectif des frappes russes en Syrie ?
Les Russes mènent principalement leurs frappes contre les positions rebelles du centre de la Syrie, dans la région d’Idlib et de Hama. Or il faut rappeler que l’EI n’est présent ni dans la zone d’Idlib, ni dans la zone visée à l’ouest de Hama depuis janvier 2014. De fait, les frappes russes se concentrent dans ces zones tenues par les rebelles pour la simple raison que c’est là que se situe la plus grande menace pour le régime d’Assad. Le but est de sécuriser ce qu’on pourrait appeler "la Syrie utile", c’est-à-dire l’axe Damas-Homs-Lattaquié, et d’y créer une sorte de no man’s land entre les zones rebelles et les zones contrôlées par l’armée syrienne afin de faciliter les opérations militaires du régime et affaiblir l’insurrection. C’est une priorité militaire. Pour la Russie, le discours politique acceptable est de dire qu’elle frappe l’EI, mais les impératifs militaires font que ce sont les rebelles, aidés par l’Occident, qui sont in fine visés en premier lieu.


L’armée syrienne est-elle, au sol, la seule force impliquée dans cette opération terrestre ?
Officiellement, on dit que ce sont les forces du régime qui combattent, mais plusieurs activistes présents sur place disent que les Russes sont engagés au sol à Hama. On sait très bien que les Russes ont implanté, il y a quelques jours, un camp dans la ville. Par ailleurs, on sait aussi qu’ils sont présents au sol dans le nord de Lattaquié, dans une zone qui s’appelle Djebla, et qu’une équipe de snipers a été présente dans le sud, à Zabadani, à la frontière libanaise. En Russie, certains officiels disent d’ailleurs qu’ils vont laisser partir ceux qui se portent volontaires pour aller se battre en Syrie. Il y a, en outre, des rumeurs selon lesquelles un contingent de combattants tchétchènes pro-russes va prochainement se rendre en Syrie. L’opinion publique se prépare donc à un engagement de plus en plus accru de la Russie. Ce qui, au vue la conjoncture actuelle, paraît inévitable.


Depuis longtemps, on parle aussi d’une participation des Iraniens…
En tant que soutien à Bachar al-Assad, les Iraniens sont présents depuis le début du conflit, en 2011. Au début, il ne s’agissait que de conseillers. Dès 2012, Téhéran a envoyé des milices afghanes chiites se battre aux côtés du régime de Damas. Aujourd’hui, il se dit que les Iraniens vont, eux aussi, s’engager de plus en plus. L’engagement russe et l’engagement iranien sont sur la même ligne de Damas, depuis 2011: tous ceux qui se battent contre le régime syrien sont des terroristes.


Depuis l’engagement russe, l’armée syrienne semble reprendre des forces. Peut-on dire qu’on est face à un tournant dans le conflit ?
Je ne pense pas. La Russie ne fait que sécuriser les zones vitales pour le régime de Damas dont l’armée a été très affaiblie cet été. Le but, c’est cela. Mais je peine à croire que les Russes vont s’engager à reprendre toutes les zones perdues. Ils vont se concentrer sur la "Syrie utile" et ses alentours. Aller combattre l’EI dans le désert sera peut-être une future étape, mais ce n’est pas la priorité.


Le ministère russe de la Défense et le Pentagone ont fait savoir qu'ils étaient en contact pour coordonner leurs bombardements "dans le cadre de la lutte contre le groupe terroriste Etat Islamique sur le territoire syrien" et éviter toute rencontre fortuite dans le ciel syrien. « Hello Boris ! Dis donc, tu bombardes quoi aujourd'hui ? »