Le Monde d'Antigone

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Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour : 30.11.2025
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Les normes vestimentaires à l'école et à l’université

Publié le 30/11/2025 à 05:13 par monde-antigone

 

Uniforme à l’école: Enquête au cœur de l’expérimentation

par Julien Garric, maître de conférences en sociologie de l'éducation, Aix-Marseille Université (AMU)

& Christine Mussard, professeure des universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)

The Conversation - 21 nov 2025

https://theconversation.com/uniforme-a-lecole-enquete-au-coeur-de-lexperimentation-266974

 

 

Depuis la rentrée 2024, et jusqu’en 2026, une centaine d’établissements scolaires expérimentent, du primaire au lycée, le port d’une tenue identique obligatoire pour tous les élèves. Comment cette mesure est-elle perçue et vécue au quotidien ? Premiers retours de terrain.

C’est une véritable révolution vestimentaire qui s’invite à l’école. Depuis la rentrée de septembre 2024, une centaine d’établissements – écoles, collèges et lycées – expérimentent le port d’une tenue commune obligatoire pour tous les élèves. Derrière cette initiative portée par le ministère de l’éducation nationale s’affiche l’ambition de renforcer le sentiment d’appartenance, d’atténuer les inégalités sociales, d’améliorer le climat scolaire et de lutter contre le prosélytisme.

L’expérience devait être accompagnée d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) et suivie par un comité d’experts, en lien avec la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) et les services statistiques du ministère (DEPP). Au terme de deux années, si les résultats sont jugés concluants, le ministère envisage la généralisation du port de l’uniforme dans l’ensemble des écoles et établissements du pays.

 

Une rupture dans l’histoire de l’école française

Imposer le port d’une tenue réglementée marque une véritable rupture dans l’histoire de l’école française. En effet, malgré l’imaginaire collectif nostalgique d’une école d’antan, ordonnée et protégée des turbulences du monde, la France n’a jamais connu de politique imposant l’uniforme. Seuls quelques rares établissements privés catholiques ont inscrit cette pratique à leurs règlements intérieurs.

Dans le public, les élèves ont pu porter des blouses pour des raisons pratiques, mais sans recherche d’uniformité, et cet usage a peu à peu disparu dans les années 1970. L’idée d’un uniforme scolaire émerge véritablement au début des années 2000, dans un contexte politique et éducatif centré sur la thématique de la restauration de l’autorité, et nourri par les polémiques à propos des tenues jugées provocantes de certaines adolescentes, ou encore du port du voile. Mais, jusqu’en 2022, le débat reste cantonné au terrain médiatique, sans traduction institutionnelle concrète.

C’est dans un contexte de crise, à la fois scolaire et institutionnelle, que Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale, va lancer cette expérimentation en 2024. Une décision qui rompt avec la tradition scolaire française, mais dont la légitimité scientifique reste contestée. La littérature existante – principalement anglo-saxonne et asiatique – ne démontre pas d’effet positif clair de l’uniforme sur les résultats académiques. Certaines études pointent même un impact négatif sur la santé physique et psychologique des élèves appartenant à des minorités de genre, ethniques ou religieuses, sans bénéfice notable sur le climat scolaire ou le sentiment d’appartenance.

 

Éclairer le vécu des élèves et du personnel éducatif

Pour dépasser les logiques propres au politique et les polémiques médiatiques, pour comprendre ce qui se joue réellement dans les établissements et pour contribuer au débat sur des bases plus solides, nous sommes allés sur le terrain, dans trois établissements pionniers de l’académie d’Aix-Marseille: deux collèges et un lycée. Nous avons rencontré les chefs d’établissements, les conseillers principaux d’éducation, assisté aux rentrées scolaires et diffusé des questionnaires auprès des élèves et des parents afin de recueillir leur perception. Certes, cette recherche ne permettra pas de mesurer l’efficacité du dispositif en termes de résultats scolaires, de climat ou de lutte contre le harcèlement, mais elle apporte un éclairage précieux sur la manière dont cette expérimentation a été vécue au quotidien par les personnels, les élèves et leurs familles au terme d’une première année.

La personnalité des chefs d’établissement a joué un rôle déterminant dans le choix des établissements pilotes. Les deux principaux et le proviseur accueillant le dispositif sont des hommes qui affirment une forte adhésion aux valeurs républicaines. Pour lancer ce projet, susceptible de susciter des polémiques, les responsables des collectivités territoriales ont en effet préféré se tourner vers des établissements où l’opposition était plus faible, ou moins visible.

En revanche, les établissements présentent des profils très différents: le lycée accueille une population très favorisée, avec des parents « fiers de leur terroir », tandis que les deux collèges scolarisent des publics plus diversifiés, l’un en zone rurale et l’autre en périphérie urbaine. Pour ces personnels de direction, l’expérimentation n’est pas seulement une expérience pédagogique: elle représente aussi un moyen de valoriser leurs établissements et de renforcer leur compétitivité dans le marché scolaire local, notamment face aux établissements privés catholiques. Certains collèges initialement pressentis ont par ailleurs renoncé à participer à l’expérimentation, face à la mobilisation du personnel, des familles ou des élèves.

 

Adultes et adolescents, des perceptions clivées

À l’appui des nombreuses réponses collectées (1.200 élèves, 1.100 parents), les parents d’élèves se montrent largement favorables à l’expérimentation, dans un étiage de 75 % à 85 % d’avis positifs selon les établissements, et ce, quel que soit leur profil social.

Ce positionnement reflète avant tout l’adhésion aux valeurs portées par le dispositif. En effet, s’ils estiment que le port d’une tenue unique contribue à restaurer l’autorité de l’école ou à défendre la laïcité, les parents considèrent que les effets concrets restent finalement limités, voire inexistants. Ils s’accordent sur le peu d’effet sur le harcèlement, les résultats scolaires ou la qualité des relations entre élèves. En revanche, l’expérimentation semble renforcer, à leurs yeux, l’image positive des établissements de leurs enfants.

La perception du climat scolaire par les élèves est en revanche plus contrastée. Si celle des collégiens reste proche des moyennes nationales, celle des lycéens apparaît nettement plus négative. Ce sentiment est fortement lié à l’obligation de porter l’uniforme et au contrôle strict de la tenue, perçus comme autoritaristes. En d’autres termes, l’obligation d’une tenue unique participe dans ce lycée à la dégradation de la qualité du climat scolaire.

De manière générale, les élèves interrogés, quel que soit leur âge, rejettent massivement l’initiative: ils ont vécu à 70 % l’annonce de l’expérimentation comme « horrible » et souhaitent majoritairement qu’elle soit abandonnée pour pouvoir à nouveau s’habiller comme ils le souhaitent. Pour eux, le dispositif n’a aucun impact sur les résultats scolaires, n’efface pas les différences sociales – encore visibles à travers les chaussures, les sacs ou autres accessoires – et n’améliore pas le sentiment d’appartenance.

Concernant le harcèlement, la majorité rejette l’idée que le port d’un uniforme puisse réduire le phénomène, et cette affirmation est encore plus marquée chez les élèves se disant victimes de harcèlement, qui considèrent que leur situation n’a pas du tout été améliorée. Le sentiment négatif est identique, quels que soient le milieu social ou l’expérience scolaire passée dans l’enseignement privé.

Dans le cadre de cette étude, les élèves critiquent également l’inadéquation des tenues avec leur vie quotidienne et les conditions climatiques: pas assez chaudes pour l’hiver et trop pour l’été. Enfin, et surtout, ils conçoivent cette nouvelle règle comme une atteinte inacceptable à leur liberté d’expression. Ce ressentiment est particulièrement fort chez les lycéens, qui estiment que leur scolarité est gâchée par cette impossibilité d’affirmer leur individualité à travers le vêtement.

Au-delà de leurs critiques, ce qui ressort du discours des élèves, c’est le sentiment de ne pas avoir été consultés: l’expérimentation a été décidée sans eux et se déroule sans que leurs préoccupations soient prises en compte. Le contraste est frappant avec le discours des responsables, qui présentent un plébiscite de l’ensemble de la communauté scolaire. À titre d’exemple, des chefs d’établissement affirment que les élèves portent volontairement leur uniforme à l’extérieur de l’école comme marque de fierté et de sentiment d’appartenance, alors que 90 % des élèves déclarent exactement le contraire.

Quelle sera donc la suite donnée à cette expérimentation ? Outre le rejet massif par les élèves, l’adhésion des familles est à relativiser si l’on considère que l’expérimentation, intégralement financée par l’État et les collectivités locales ne leur coûte rien. La généralisation du port d’une tenue unique pose d’importantes questions de financement, plus encore dans un contexte budgétaire sous tension. La conduite de cette expérimentation interroge plus globalement la fabrique de politiques publiques d’éducation, pensées dans des situations de crise ou perçues comme telles.

 

 

Comment s’habillent les étudiantes: A l’université, s’émanciper du regard des autres ?

par Bleuenn Lollivier, doctorante en sciences de l'éducation, Université Rennes 2

The Conversation - 23 mar 2025, mis à jour: 14 sep 2025

https://theconversation.com/comment-shabillent-les-etudiantes-a-luniversite-semanciper-du-regard-des-autres-249083

 

 

Si les modes tiennent une place très forte au collège et au lycée et que les adolescents se jugent souvent les uns et les autres sur leur apparence, l’entrée à l’université tourne-t-elle la page de ce contrôle normatif ? Paroles étudiantes sur les styles vestimentaires d’un campus.

 

Depuis plusieurs années, les débats fleurissent au sein de la sphère politico-médiatique concernant les tenues des jeunes filles à l’école, et plus précisément dans le secondaire, qu’il s’agisse du port du crop top (haut court laissant apparaître le nombril) ou du port de l’abaya (robe longue traditionnelle dans les pays musulmans du Moyen-Orient).

Les jeunes filles sont sommées de s’habiller de "façon républicaine" lorsqu’elles laissent apparaître leurs épaules, leur décolleté ou leur ventre. Elles peuvent être accusées de faire du "prosélytisme religieux" lorsque leur vêtement recouvre l’intégralité de leur corps. De manière sous-jacente se pose la question du contrôle normatif pesant sur l’apparence vestimentaire des jeunes filles et, plus largement, sur leur corps.

Rappelons que le cadre est différent à l’université. En effet, bien que régis par le Code de l’éducation, ces établissements accueillant des adultes jouissent néanmoins d’une autonomie pédagogique, scientifique, administrative et financière. Le port du voile, et plus largement le port de signes religieux, est autorisé au sein des universités – non sans débats.

Si l’imposition de normes vestimentaires semble donc criante à l’école, qu’en est-il, au-delà des aspects législatifs, dans l’enseignement supérieur et, plus spécifiquement, à l’université ? À partir d’une enquête de terrain menée en 2023 dans une université française, à l’aide d’entretiens compréhensifs auprès d’étudiantes, il s’agira de comprendre ce qui se joue au niveau des normes vestimentaires des jeunes femmes qui fréquentent, pendant un temps, l’université. Nous nous appuierons sur le concept d’hexis développé par Pierre Bourdieu. Celui-ci renvoie aux schèmes de pensées et d’agir qui sont incorporés lors de la socialisation et donnent lieu à des manières d’être et donc, par extension, de se vêtir.

 

L’arrivée à l’université: la découverte d’un nouveau monde

L’entrée à l’université constitue un moment marquant pour les étudiants. Alain Coulon, sociologue, décrit cette étape comme le « temps de l’étrangeté », où les nouveaux arrivants sont confrontés à un système qu’ils ne connaissent pas, avec son fonctionnement et ses valeurs propres. « Je suis arrivée, j’ai vu plein de gens différents, de styles différents, de personnalités différentes », note Lucie, étudiante en 3e année de licence de sciences de l’éducation. Lucie témoigne ainsi de la grande diversité d’allures qu’une simple traversée de campus à la rentrée permet de constater. De la couleur des cheveux à celle des abayas, de la longueur des faux ongles à celle des jupes, du look hippie à celui du punk, en passant par le costard-cravate vintage, des corps hors norme assumés aux extravagances admirées, c’est un défilé multiculturel qui croise les questions sociétales les plus contemporaines comme celles de l’inclusion ou des divisions qui émaillent la vie en société.

En 3e année de licence de psychologie, Katell relève les différences notables entre les styles vestimentaires de ses camarades de lycée et celui des étudiants: « Ils ne s’habillaient pas du tout pareil, ils s’assumaient pleinement, alors que, dans mon ancien lycée, je pense qu’ils auraient été moqués par d’autres. Les gens me semblaient plus libres de faire un peu ce qu’ils voulaient ». Ces hexis, qui semblent libérées de toutes formes de contraintes, apparaissent possibles également au vu du nombre important d’étudiants – une vingtaine de milliers présents sur le campus.« J’ai vraiment l’impression qu’on est tous occupés à faire notre vie et on ne s’intéresse pas aux autres. C’est appréciable de ne pas être regardée de tous les côtés, de juste se fondre dans la masse », concède Prune, en 3e année de licence de psychologie. On peut, à ce titre, parler de l’université à la fois comme un monde de masse et comme un monde atomisé qui, par l’hétérogénéité de sa population, limite le possible contrôle normatif.

 

Un campus particulier ?

L’apparence des étudiants inscrits dans cette université d’arts, lettres, langues, sciences humaines et sociales est souvent moquée. Éléonore en 3e année de lettres explique que la réputation de cet établissement se diffuse jusque dans les lycées: « C’était un peu le cliché: “Bah si tu veux avoir une vie de troubadour, va te teindre les cheveux en bleu dans cette université” ».

Au-delà des stéréotypes, ces étudiants se distinguent de ceux d’autres campus par leur apparente liberté, comme le souligne la réaction d’une amie de Mathilde en 2e année de master en histoire: « Il y avait quelqu’un qui passait devant nous avec un pyjama Pikachu. Elle l’a regardé passer, elle m’a fait “Mais, dans mon université, jamais de la vie tu vois ça” ». Ainsi, les disciplines apparaissent comme des matrices de socialisation entraînant des perceptions différentes des normes vestimentaires et, par extension, de leurs déviances.

Finalement, les étudiantes interrogées apprécient le climat qui règne au sein de leur université. Il est d’ailleurs intéressant de constater que, si des valeurs d’inclusivité ainsi que d’égalité sont prônées par les étudiants, il en va de même pour l’administration de l’établissement. Ce que Katell en 3e année de licence de psychologie traduit par « une atmosphère un peu spéciale qui fait qu’il y a beaucoup d’acceptation ». Le climat inclusif propre à cet établissement permet aux personnes considérées comme appartenant à une minorité de vivre positivement leur expérience étudiante et, plus largement, leur jeunesse.

 

L’université: une safe place pour certaines étudiantes

L’apparente liberté concernant l’hexis des étudiantes évoluant au sein de l’université étudiée fait de cette dernière un espace singulier. En effet, si de manière générale, les femmes semblent sans cesse être en proie aux regards des hommes dans l’espace public, cet établissement apparaît, pour certaines, comme une exception. Chloé, étudiante en 3e année de licence de psychologie indique à propos du regard des hommes « Je ne me sens pas trop en danger à l’université ».

En outre, la diversité des styles vestimentaires existants conduit Léa, étudiante en 2e année de master d’histoire, à penser « que ça aide énormément à prendre confiance, à dire “C’est bon, là, je peux faire ce que je veux” » et à dépasser les traumatismes subis durant sa scolarité, conséquence de moqueries liées à sa corpulence. Finalement, au-delà de la notion d’inclusivité, c’est celle de la familiarité avec cette université qui apparaît. Léa indique d’ailleurs: « Je me sens un peu comme à la maison », et Prune juge que cet établissement « est comme une famille ». L’université apparaît alors aux yeux de ces étudiantes comme un lieu sûr, à l’abri des jugements: une safe place.

S’il existe un contrôle normatif important sur les corps à l’école, il semblerait que les universités ne s’inscrivent pas totalement dans cette perspective, permettant une diversité de façons d’être. L’expérience sur le campus pourrait même s’avérer transformative pour certaines jeunes femmes, comme l’indique Lola, étudiante en 2e année de master en sciences de l’éducation: « Presque tout a changé en fait dans ma perception de voir les choses ». Finalement, cette vie étudiante constitue un temps de construction de soi et de son rapport au monde.