Le Monde d'Antigone

Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
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dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.

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Dernière mise à jour : 29.12.2025
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L'Irak, au carrefour des intérêts américains et iraniens,

Publié le 12/11/2025 à 00:09 par monde-antigone

  

Les élections en Irak sont des élections confessionnelles. Les sunnites votent pour les partis sunnites, les chiites pour les partis chiites. Les résultats sont le reflet fidèle des rapports de force démographiques dans les deux communautés. La dernière fois, des candidats indépendants issus du mouvement de contestation s'étaient présentés. Ils ont disparu.

Le taux de participation dépasserait 55 %, en nette hausse par rapport à 2021 (41 %), alors que, pourtant, le leader chiite, Moqtada Sadr, appelait au boycott. Les sadristes avaient remporté les élections mais avaient refusé de siéger au gouvernement.

On était au bord de la guerre civile au moment des dernières élections. Ce n'est plus le cas aujourd'hui du fait de l'affaiblissement de l'Iran, mais la situation n'en reste pas moins explosive parce que rien n'a été résolu (corruption, inégalités, pauvreté) depuis la dernière fois..

 

>> La coalition chiite pro iranienne du Premier ministre al-Soudani remporte le plus grand nombre de sièges: 46. Mais comme la majorité est à 165 sièges, elle va devoir négocier des alliances avec une quantité de petits partis. Cela pourrait durer des mois...

Le parlement constitué va élire un président de l'Assemblée parmi les sunnites et un président de la République armi les Kurdes. Au Kurdistan, le PDK du clan Barzani a obtenu 26 sièges (10 % des voix), l'UPK du clan Talabani 15 (5 %).

 

Elections en Irak: Un scrutin sous l’œil de Téhéran et Washington

AFP, Le Matin - 11 nov 2025

https://www.lematin.ch/story/politique-elections-en-irak-un-scrutin-sous-l-oeil-de-teheran-et-washington-103449117

 

Les Irakiens se rendent mardi dans les bureaux de vote pour élire un nouveau Parlement, un scrutin peu susceptible de bouleverser le paysage politique, mais surveillé de près par Téhéran et Washington.

L’Irak a connu une stabilité inhabituelle ces dernières années, après plusieurs décennies de guerre et de répression sous le dictateur Saddam Hussein et depuis l’invasion menée par les Etats-Unis en 2003 qui l’a renversé. Mais le pays de 46 millions d’habitants souffre d’infrastructures médiocres, de services publics défaillants et d’une corruption endémique. Beaucoup d’Irakiens doutent que ces élections législatives puissent apporter un changement réel dans leur quotidien et perçoivent le scrutin comme une mascarade ne pouvant profiter qu’aux élites politiques et aux puissances régionales. (...)

Plus de 21,4 millions d’électeurs sont appelés à départager plus de 7.700 candidats, dont près d’1/3 de femmes, pour occuper 329 sièges de députés aux mandats de 4 ans. Les femmes doivent obtenir au moins 1/4 des sièges du futur Parlement, selon un système de quotas, tandis que 9 sont réservés aux minorités. Seuls 75 candidats indépendants sont en lice, la loi électorale étant perçue comme favorisant les grands partis. Et aucune nouvelle personnalité politique n’a émergé récemment. « Tous les quatre ans, c’est la même chose. On ne voit ni des visages jeunes, ni de nouvelles énergies [capables] d’apporter un changement », déplore un étudiant d’université,Al-Hassan Yassin.

Certains craignent de voir le taux de participation tomber en dessous des 41 % enregistrés en 2021, déjà un plus bas, pour ce 6e scrutin depuis la chute de Saddam Hussein. Les élections ouvrent la voie à la désignation d’un nouveau président – poste largement honorifique réservé à un Kurde – et d’un Premier ministre – traditionnellement chiite – choisi après de longues tractations. Selon la convention en vigueur dans l’Irakpost-invasion, un sunnite occupera le poste de président du Parlement.

Depuis la chute du sunnite Saddam Hussein, la majorité chiite longtemps opprimée en Irak continue de dominer, la plupart des partis conservant des liens avec l’Iran voisin. L’actuel Premier ministre chiite Mohamed Chia al-Soudani, qui mise sur un second mandat, espère une victoire. Il était arrivé au pouvoir en 2022 grâce au soutien d’une alliance regroupant des partis et factions chiites tous liés à l’Iran. Le prochain Premier ministre sera élu par la coalition qui parviendra à rassembler suffisamment d’alliés.

Lors des dernières législatives, le courant du leader chiite Moqtada Sadr avait remporté le plus grand nombre de sièges avant de se retirer du Parlement à la suite d’un différend avec les partis chiites qui ne soutenaient pas sa tentative de former un gouvernement et qui se sont plutôt regroupés entre eux. La rupture avait culminé avec des combats meurtriers dans la capitale irakienne. Cette année, M. Sadr a refusé de participer à une « élection bancale, dominée par les intérêts sectaires, ethniques et partisans », appelant ses partisans à boycotter le scrutin.

Les partis sunnites se présentent séparément, l’ancien président du Parlement Mohamed al-Halboussi étant donné favori. Dans la région autonome du Kurdistan, la rivalité entre le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) reste vive.

Téhéran et Washington à l’affût

L’Irak, proche allié de l’Iran et des Etats-Unis, cherche de longue date à maintenir un équilibre fragile entre les deux ennemis. Même si son influence s’affaiblit, l’Iran espère préserver son influence chez son voisin après avoir vu ses autres alliés régionaux (Hezbollah libanais, Hamas palestinien, Houthis yéménites) affaiblis par des frappes israélienne depuis deux ans. Téhéran a en outre perdu un allié majeur avec la chute de Bacharal-Assad en Syrie fin 2024. Et l’Irak est sous pression des Etats-Unis (qui maintiennent quelque 2.500 soldats dans le pays) pour désarmer les groupes pro-iraniens.

Début 2024, les factions pro-iraniennes classées comme groupes terroristes par Washington ont cédé à la pression interne et américaine et ont cessé de prendre pour cible les forces américaines en Irak après des mois d’attaques liées à la guerre dans la bande de Gaza. L’administration Trump a nommé un envoyé spécial pour le pays, Mark Savaya, d’origine irakienne, qui a insisté sur la nécessité de voir l’Irak « libéré des ingérences étrangères malveillantes, notamment celles de l’Iran et de ses supplétifs ».

 

Elections législatives en Irak, au carrefour des intérêts américains et iraniens

par Nicolas Falez

RFI - 11 nov 2025

https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20251111-elections-l%C3%A9gislatives-irak-pari-premier-ministre-mohamed-chia-al-soudani-tensions-regionales-infrastructures

 

Élections législatives en Irak ce mardi 11 novembre. (...) Le sort du Premier ministre sortant Mohammed Chiaal-Soudani dépendra des tractations politiques qui suivront le scrutin. Les Irakiens se rendent aux urnes dans une région en plein bouleversement: onde de choc des attaques du Hamas le 7 octobre 2023 et de la guerre à Gaza, affaiblissement de "L’Axe de la résistance" et chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie. Un défi pour l’Irak qui doit composer avec sa double alliance contradictoire puisque Bagdad entretient des liens avec l’Iran comme avec les États-Unis. (...)

À sa frontière ouest, la Syrie est désormais dirigée par un pouvoir islamiste sunnite, qui a provoqué la chute du régime de Bachar el-Assad il y a moins d’un an. « De quoi raviver le sentiment que l’Irak est encerclé par des puissances sunnites hostiles » résume le chercheur Robin Beaumont, spécialiste de l’Irak. Car la majorité irakienne est chiite, ce qui façonne sa proximité avec un autre de ses voisins: la République islamique d’Iran. C’est au nom de cette alliance que les milices chiites irakiennes dites de la "Mobilisation populaire" (créées à l’origine pour lutter contre le groupe État Islamique) ont été confrontées à un choix délicat dès le 7 octobre 2023: jusqu’où s’engager militairement au nom de la cause palestinienne ? Des attaques de drones et de roquettes ont visé les forces américaines dans la région, mais rien à voir avec l’engagement du Hezbollah libanais ou des Houthis du Yémen qui ont abondamment visé l’État hébreu dès les premiers jours de bombardement israéliens dans la Bande de Gaza.

"L’Axe de la Résistance" des alliés de l’Iran dans la région a subi le violent contrecoup de cet engagement: « la mort du chef du Hezbollah libanais [dans une frappe israélienne en septembre 2024] a convaincu les milices chiites irakiennes que la moindre provocation pourrait provoquer une riposte disproportionnée et leur annihilation », analyse Robin Beaumont. Pour le chercheur, cette retenue a été encouragée par le Premier ministre irakien Mohammed Chia al-Soudani, Elle pourrait lui être favorable dans les urnes « car il a réussi à maintenir l’Irak hors de la régionalisation de la guerre », et car il semble avoir tenu compte d’une population « qui aurait pu sanctionner électoralement quiconque aurait refait de l’Irak un terrain de guerre », poursuit Robin Beaumont.

Dans ce contexte, le scrutin de ce mardi en Irak sera suivi de près par le voisin et allié iranien mais aussi par les États-Unis. Car c’est la particularité de l’Irak qui doit équilibrer sa proximité avec Washington et avec Téhéran, ce qui sur le papier semble inconciliable. Ainsi, l’administration Trump demande le démantèlement des milices chiites irakiennes, afin de poursuivre sa lutte contre l’influence régionale de l’Iran.

Pour Téhéran, il s’agit de sauver ce qui peut encore l’être comme l’explique le chercheur Clément Therme: « si l’Irak venait à s’émanciper de l’influence iranienne, ce serait un coup très dur pour la République Islamique qui a besoin de l’Irak pour dissuader les États-Unis d’attaquer le territoire iranien et qui doit maintenir son prestige auprès de l’Axe de la Résistance, et notamment auprès des Houthis du Yémen ». Enjeu d’idéologie et d’influence régionale. Enjeu économique aussi pour l’Iran « qui a besoin de l’Irak pour accéder au dollar américain et pour contourner les sanctions internationales », poursuit Clément Therme. Le chef de la force alQods des Gardiens de la Révolution iraniens s’est rendu en Irak il y a quelques jours, signe que Téhéran n’a pas l’intention de céder de son influence en Irak.

 

Irak. La fin de l'aide internationale alimente le désenchantement

par Sihem Attalah

Orient XXI - 10 nov 2025

https://orientxxi.info/magazine/irak-apres-l-aide-internationale-le-desenchantement,8649

 

Deux décennies durant, l’Irak a été l’un des principaux récipiendaires de l’aide humanitaire internationale. Les années de chaos qui ont succédé à l’invasion étatsunienne [américaine]— laquelle a conduità la chute de Saddam Hussein en 2003—, la montée de la violence confessionnelle et de l’organisation de l’État islamique, la guerre civile en Syrie voisine et le génocide des yézidis en 2014, ont provoqué des déplacements massifs de populations et attiré un afflux de financements étrangers.

En quelques années, cette aide a donné naissance à un vaste écosystème d’ONG, façonnant l’accès aux services d’urgence, structurant le marché de l’emploi et faisant du secteur humanitaire une voie professionnelle stable et rémunératrice pour des milliers de personnes. Ces financements, supérieurs à 3 milliards de dollars annuellement au début des années 2000, encore au-dessus du milliard en 2015, et tombés à environ 230 millions de dollars en 2024, ont constitué un filet de sécurité direct ou indirect pour tout un segment de la société. Ils ont toutefois eu pour effet pervers de maintenir l’État dans une situation de faiblesse et desous-dotation. Celui-ci, bien que pourvoyeur d’emplois, a ainsi été encouragé à sous-traiter bien des services sociaux à ces acteurs privés humanitaires.

Cependant, ce modèle touche à sa fin. En 2022, l’ONU a suspendu son dispositif humanitaire en Irak afin de passer d’une aide d’urgence à des programmes de reconstruction censés bénéficier à l’ensemble de la population et non plus seulement aux victimes des crises passées. Cette décision a acté la normalisation de l’Irak, alors que l’État est largement désengagé.

Les ONG en sursis

Mais le coup le plus brutal est venu du président étatsunien Donald Trump. En février 2025, les États-Unis ont annoncé d’importantes coupes budgétaires, affectant directement l’aide extérieure. Cette décision, pilotée par le département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), sous la direction d’Elon Musk de janvier à mai 2025, vise à réduire drastiquement les dépenses fédérales, mais elle affecte toute une économie humanitaire à travers le monde.

Toutefois, ce désengagement ne se limite pas aux États-Unis et s’inscrit dans une réduction plus large de l’engagement international pour l’humanitaire et le développement. L’Allemagne, 2e donatrice mondiale et très présente en Irak, a elle aussi réduit ses aides bilatérales après avoir versé plus de 3 milliards d’euros depuis 2014.

En 2025, l’ensemble des fonds disponibles, tous donateurs confondus, est ainsi tombé à moins de 100 millions de dollars, soit presque 10 fois moins qu’en 2015. Face à la contraction des fonds, de nombreuses ONG ont dû soit quitter le pays, soit réduire leurs activités, en particulier celles dépendantes des financements étatsuniens [américains]. Lorsque l’Agence pour le développement (USAID), dont les financements en Irak s’élevaient à 95 millions de dollars en 2024, a vu son budget sabré, plusieurs organisations partenaires ont licencié à grande échelle.

Ainsi, l’association humanitaireCatholic Relief Services (CRS) a interrompu ses programmes de consolidation de la paix, le Conseil danois pour les réfugiés (DRC) a abandonné certains projets de protection, et la Fondation SEED, qui fournit des soins psychologiques, a mis fin aux contrats de plus de 170 employés àDuhok, dans le Kurdistan irakien. Ces vagues de fermetures et de licenciements ont un effet cumulatif, avec de nouvelles réductions prévues pour décembre 2025 jusqu’à fin 2026. Les effets sont tangibles sur les programmes sociaux, mais les pertes ont également un impact au niveau individuel, pour ceux travaillant pour des ONG et qui étaient directement engagés dans le cadre de leurs programmes.

Certes, les répercussions macro-économiques restent marginales et ne figurent donc pas parmi les priorités d’un gouvernement concentré sur l’économie pétrolière et la reconstruction des infrastructures. Mais les trajectoires de ces employés, qui ontœuvré à l’interface entre la société irakienne et les acteurs de la communauté internationale, reflètent une forme de relégation du pays.

Toujours le pétrole

Cependant, si l’aide internationale se retire, c’est aussi parce que l’Irak n’est plus considéré comme un pays en crise, mais comme un État doté d’importantes ressources financières, porté par sa rente pétrolière et une croissance rapide ces dernières années (+ 8 % en 2022, mais seulement + 0,5 % en 2024), sans parvenir pour autant à en faire un levier de développement social.

Classé pays à revenu intermédiaire supérieur, le pays tire près de 90 % de ses recettes budgétaires du pétrole. Il se trouve donc directement affecté par les variations des cours internationaux des hydrocarbures. L’économie, largement dépendante de ces derniers, a connu une expansion rapide depuis les années 2000. Le PIB est ainsi passé d’environ 36 milliards de dollars en 2004 à près de 167 milliards de dollars en 2015, avant d’atteindre 280 milliards de dollars en 2024. Pourtant, cette richesse se trouve concentrée dans les mains d’un petit nombre. La redistribution reste limitée dans une économie minée par la corruption. Le pays est classé au 140e rang sur 180 par Transparency International qui évalue les niveaux de corruption.

Ainsi, environ 17,5  % des Irakiens vivent sous le seuil de pauvreté monétaire. L’accès à l’éducation et aux soins de santé demeure restreint, et le secteur privé non pétrolier peine à se développer. Le chômage officiel atteint 16 % et grimpe à 35 % chez les jeunes. L’emploi formel dépend en grande partie de la fonction publique, qui occupe environ 40 % de la population active, tandis que le reste du marché du travail relève de l’économie informelle.

Les besoins restent importants. Selon le HCR, plus d’un million de personnes demeurent déplacées à l’intérieur du pays. Tandis que les fonds disponibles se raréfient, plus de 100.000 vivent encore dans des camps, principalement dans la région du Kurdistan irakien. La situation en Irak s’étant stabilisée par rapport aux années de crise, les pays donateurs concentrent désormais leurs ressources sur des crises jugées plus urgentes, comme celles de Gaza, du Soudan ou de l’Ukraine.

Le HCR souligne un paradoxe dans son rapport annuel de 2024: « La perception de l’Irak comme pays à revenu intermédiaire complique la mobilisation de ressources, car le pays est considéré comme ayant la capacité budgétaire de soutenir sa population, y compris les déplacés internes et les réfugiés. » Dans ce contexte, l’Irak est renvoyé à ses propres responsabilités pour répondre aux besoins de sa population. 20 ans durant pourtant, la dépendance à l’aide internationale a eu pour effet de marginaliser les institutions étatiques (hors secteur de la sécurité), les laissant désorganisées.

Trajectoires brisées

Au-delà des chiffres, ce basculement se traduit concrètement par des contrats raccourcis et des recrutements interrompus. Ahmed, originaire de Ninive (nord-ouest), en a fait l’expérience. Cet ancien employé du HCR et de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) a passé plus de 11 ans dans le secteur humanitaire après avoir débuté sa carrière aux côtés de l’armée américaine en 2003. Il résume la situation avec amertume: « Au pire, moi je peux toujours travailler comme chauffeur de taxi ou avoir un stand au marché. Mais pour les femmes de notre communauté [traditionnelle et religieuse], c’est plus difficile, elles seront considérées comme indignes et non respectables ».

Ces trajectoires professionnelles restent fragiles, car de nombreuses compétences humanitaires, comme la protection ou la lutte contre les violences de genre, ne trouvent que peu d’applications en dehors du secteur. Les profils techniques tels que la logistique ou les ressources humaines trouvent davantage de débouchés, mais dans un marché saturé qui absorbe difficilement ces professionnels. Longtemps pourvoyeur d’emplois attractifs et bien rémunérés, le secteur humanitaire a offert à l’échelle communautaire une stabilité en décalage avec la notion même d’urgence.

L’emploi humanitaire, tout comme l’emploi public, reste également influencé par le clientélisme. Les postes au sein des ONG sont prisés, car ils offrent non seulement un revenu, mais aussi un réseau et une influence sociale. Ils sont souvent négociés ou échangés au sein des communautés. Certains responsables gouvernementaux cherchent à y placer leurs proches, parfois par la pression ou l’intimidation.

Le retrait des ONG pèse plus particulièrement sur les femmes. Dans une société où leur reconnaissance professionnelle reste fragile, les organisations internationales représentaient une opportunité unique pour elles. Elles y bénéficiaient d’un recrutement favorisant la parité, de dispositifs de protection contre le harcèlement au travail et d’un environnement de travail plus sûr que dans le secteur privé irakien. Beaucoup y avaient trouvé non seulement un revenu, mais aussi une forme de reconnaissance sociale. « Les ONG nous ont offert de très grandes opportunités, à nous les filles. Avec les opportunités limitées dont nous disposons et l’impossibilité d’accéder à des postes au gouvernement, le mariage aurait sûrement été l’alternative », confieHezha, une jeune chargée de communication dans une ONG allemande. Sans ce travail qu’elle occupe depuis sept ans, elle serait restée chez ses parents, avec pour seule échappatoire le mariage.

Solidarités locales

Depuis la fermeture de nombreux programmes, certaines femmes ont dû accepter des emplois dans des supermarchés ou des petites entreprises, souvent avec des salaires dérisoires comparés à ceux des ONG. D’autres sont contraintes de revenir au rôle de femme au foyer. Dans ce contexte, le retrait des ONG se traduit par un profond désenchantement. « La culture joue encore un rôle important, ici l’homme reste considéré comme le principal soutien du foyer », explique Ahmed, qui observe avec inquiétude cette régression.

Au niveau des communautés, l’entraide entre familles et voisins continue de jouer un rôle pour pallier les pertes de revenus. Les familles s’aident comme elles l’ont toujours fait en Irak, mais cette solidarité ne remplace pas les services de l’État, notamment ceux destinés aux populations déplacées. Dans les camps du Kurdistan irakien, les femmes yézidies bénéficient de services de santé mentale et de protection. Si elles rentraient àSinjar, elles perdraient cet accès, car les infrastructures y sont presque inexistantes, la sécurité reste précaire et le traumatisme du génocide de 2014 demeure vif.

En Irak, la fin de l’économie humanitaire qui structurait la vie de nombreuses familles, toutefois très minoritaires, oblige le pays à trouver de nouvelles façons de vivre et de s’organiser. La chute de l’aide étrangère oblige à repenser la solidarité et génère bien des rancœurs. Elle illustreégalement combien la dépendance aux financements étrangers et le recours à une société civile qui, de facto, remplace les institutions publiques, ce que l’on a pu appeler "ongistation", sont problématiques quand ils déresponsabilisent l’État de ses tâches de redistribution.