Le Monde d'Antigone

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Dernière mise à jour : 26.09.2025
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Quand la guerre et le dérèglement climatique se rejoignent

Publié le 27/10/2023 à 00:07 par monde-antigone

 
Gaza, Yémen, Somalie... quand la guerre et le dérèglement climatique se rejoignent
[When conflict meets climate change, in Gaza and beyond]
par Lara Bullens (X)
Article adapté de l'anglais par Romain Brunet
France24 - 25 oct 2023
https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231025-%C3%A0-gaza-et-ailleurs-les-r%C3%A9gions-en-conflit-sont-aussi-les-plus-vuln%C3%A9rables-au-d%C3%A9r%C3%A8glement-climatique 


Cela ressemble fortement à une double peine. Les pays en guerre figurent également parmi les plus vulnérables face à la crise climatique. Parmi les 25 pays les plus exposés au changement climatique, selon la "Global Adaptation Initiative" de l'université américaine Notre Dame, en 2021, 14 connaissent actuellement des conflits armés, dont le Yémen, l'Afghanistan, le Soudan et la R.D. du Congo. Pour cause, s'il n'existe pas de corrélation directe entre le changement climatique et les conflits, les pays en guerre sont moins à même à faire face aux effets du réchauffement climatique car leur capacité d’adaptation est affaiblie par les divisions internes ou les violences en cours.

Le dérèglement climatique peut également attiser les tensions relatives à l'accès à des ressources de plus en plus limitées. "Un problème en exacerbe un autre", explique Yvonne Su, experte en développement international et professeure adjointe à l'Université de York. "Si un endroit est exposé au réchauffement climatique, les gens peuvent être amenés à se battre pour les ressources". Alors que la guerre est de retour dans la bande de Gaza, les experts estiment que sa population est plus fragile que jamais.

Un rapport publié en 2020 par le CICR a montré que les effets en cascade de la guerre et du réchauffement climatique peuvent faire des ravages, notamment sur les terres et les ressources. Dans un entretien accordé au CICR en février 2021, l'ancien responsable des programmes de sécurité économique de l'organisation, Ibrahima Bah, met en lumière "le cas de la République centrafricaine [qui] montre à quel point les effets du changement climatique et de l'insécurité dans des pays limitrophes, et même au-delà, peuvent avoir des répercussions sur des communautés vivant à plusieurs centaines de kilomètres".

L'instabilité dans les régions du Sahel et du lac Tchad a poussé de nombreux éleveurs et agriculteurs à se déplacer vers la République centrafricaine, à la recherche de pâturages plus verts pour leur bétail. Mais dans un pays fragile depuis plus de 60 ans et où l'insécurité alimentaire est endémique, ces déplacements constituent une nouvelle source de tensions. Les éleveurs n’empruntent plus les couloirs traditionnels de transhumance en raison des conflits armés dans la région et finissent par s'installer à proximité des villages ou des champs, où ils convoitent le même espace et les mêmes ressources que les habitants s’y trouvant déjà. Les autorités, qui contribuaient d’ordinaire au règlement des conflits, n’interviennent plus dans certaines zones pour des raisons de sécurité. Des affrontements ont inévitablement fini par éclater. "On observe une militarisation croissante de l'élevage, avec une implication renforcée des différents groupes armés qui commettent des exactions, car la transhumance est devenue une de leurs sources de revenus", explique Ibrahima Bah.

Conflits armés et dérèglement climatique, principales menaces sur la sécurité alimentaire
La Somalie, l'un des pays les plus exposés au dérèglement climatique, a connu des décennies de conflits. Ces années de violence ont été amplifiées par une série de graves sécheresses, exerçant une pression supplémentaire sur le processus de construction de cet État tout en provoquant un déplacement de population de plus en plus important.

En juillet 2023, l'ONU a rapporté que plus de 3,8 millions de personnes sont actuellement déplacées en Somalie en raison des conflits, des sécheresses et des inondations. Les différends liés aux terres et les litiges découlant de ces déplacements massifs ont aggravé les tensions, selon un rapport de la Banque mondiale. Dans le centre de la Somalie, par exemple, l'occupation des terres est un problème récurrent. À leur retour, les habitants ayant été déplacés pendant longtemps retrouvent bien souvent leurs terres occupées par d'autres, ce qui entraîne des affrontements.

Selon l'ONU, les conflits armés et le dérèglement climatique sont les deux principales menaces sur la sécurité alimentaire. La guerre peut avoir des effets dévastateurs, en particulier lorsque les pays impliqués sont des producteurs ou des exportateurs clés de matières premières. Grenier à blé de l'Europe, l'Ukraine représentait environ 15 % de la production mondiale de blé avant l’invasion russe. Ensemble, la Russie et l'Ukraine assuraient 80 % de la production mondiale de tournesol. La guerre a provoqué une pénurie de ces deux produits, contribuant ainsi à l’inflation des prix alimentaires à l'échelle mondiale.

La guerre peut également causer des ravages sur l'environnement d'un pays. Plus de 80 % des conflits se déroulent dans des points chauds de la biodiversité, qui abritent la moitié des plantes et espèces rares, selon le CICR. La dégradation de l'environnement est un cercle vicieux qui, non seulement contribue au réchauffement climatique, mais qui réduit aussi la capacité de la population à s'y adapter. La multiplication de sites industriels et la destruction d'espaces verts comme les forêts libèrent d'importantes quantités de gaz à effet de serre dans l'atmosphère tout en restreignant le potentiel de la planète à les réabsorber.

La situation à Gaza, "exemple de territoire vraiment pauvre en ressources", rappelle Yvonne Su. Les organisations internationales tirent la sonnette d’alarme depuis des années, pointant le grave manque d'infrastructures, problème bien antérieur à la guerre entre Israël et le Hamas. Abritant 2,2 millions de personnes, la bande de Gaza ne mesure que 41 km de long et 10 km de large, ce qui en fait l'un des territoires les plus densément peuplés au monde. Les habitants sont systématiquement confrontés à des pénuries de nourriture, d'eau, d'électricité et de services de santé.

Mais Gaza connaît aussi des températures en hausse, des précipitations en baisse, une montée du niveau de la mer et des événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents, tous provoqués par le dérèglement climatique, selon une publication de juin 2022 de l'Institut d'études sur la sécurité nationale de l’Université de Tel Aviv. En janvier 2022, de graves inondations à Gaza ont endommagé des centaines de bâtiments et mis hors service l'ensemble du réseau d’égouts, forçant les habitants à quitter leur domicile. Si un événement météorologique extrême venait à frapper la région maintenant, alors que l'accès aux services essentiels est impossible, la population locale n'aurait pas les moyens d'y faire face.

"L'occupation prolongée et le blocus signifient que les habitants de Gaza ont des moyens plus limités qu’ailleurs. Par exemple, l’une des stratégies d'adaptation consiste à déménager pour trouver des terres plus fertiles ou de l’eau, mais ce n'est pas une option pour les habitants de Gaza", explique Catherine-Lune Grayson, conseillère en politique humanitaire au CICR, spécialiste des questions liées au dérèglement climatique.

Même pour les pays les mieux lotis, s'adapter au dérèglement climatique nécessite une bifurcation majeure sur le plan social, économique et culturel. Mais en temps de guerre, les autorités sont trop concentrées sur la sécurité pour avoir le temps de s’occuper des défis climatiques. "Les conséquences du conflit vont au-delà de ce que nous voyons, comme la mort et la destruction des infrastructures. Cela affecte les institutions elles-mêmes", explique Catherine-Lune Grayson. "Des services essentiels comme l'accès à l'eau, à l'éducation et aux centres de santé peuvent être détruits, ce qui aura un impact sur l'économie, et par ricochet sur la cohésion sociale, ce qui signifie qu'on se retrouve avec une société fragilisée et moins capable de répondre aux chocs, alors même que les chocs liés au climat augmentent".

L’écart de financement pour l'action climatique entre les pays stables et les pays fragiles doit aussi être pris en compte, juge le CICR. De nombreux États, pourtant parmi les plus exposés, ne reçoivent pas d’aide financière suffisante. "La raison pour laquelle les financements climatiques n'atteignent guère les pays en conflit est liée au conflit lui-même. Les institutions de ces pays ne sont pas suffisamment solides et capables de gérer facilement des aides financières, voire même de les demander", estime Catherine-Lune Grayson. "Un pays en guerre a tendance à se concentrer exclusivement – et c’est bien normal – sur le retour de la sécurité dans son territoire. Il n’a pas le temps de prêter attention aux impacts à long terme des risques climatiques".

Un protocole additionnel a été ajouté aux Conventions de Genève en 1977 pour établir des règles en temps de guerre garantissant la protection de la nature. Le droit humanitaire international interdit les attaques contre ce qui est indispensable à la survie des civils, comme les zones agricoles et les infrastructures d'approvisionnement en eau potable.

Le CICR travaille actuellement au renforcement de la résilience de Gaza face aux défis actuels. "Nous examinons, par exemple, comment garantir qu'un point d'eau puisse continuer à fonctionner même s'il y a un impact sur la production d'électricité", déclare Catherine-Lune Grayson. "Nous devons renforcer la résilience face aux chocs résultant de la guerre, mais aussi face aux chocs liés au dérèglement climatique".


EDIT (21 novembre 2023)


En quoi le changement climatique joue un rôle dans les conflits, en particulier au Sahel ?
RFI - 21 nov 2023
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/questions-d-environnement/20231121-en-quoi-le-changement-climatique-joue-un-r%C3%B4le-dans-les-conflits-en-particulier-au-sahel 


(...) Le changement climatique frappe tout le monde, partout sur la planète. Pourtant, la situation est particulière au Sahel, car « 7 familles sur 10 dépendent de l'agriculture vivrière », explique le chercheur et membre du GIEC, François Gemenne. Or, lorsqu'on dépend entièrement de ce que vont donner les champs, on est aussi dépendant de la pluie et du beau temps. Le changement climatique qui dérègle toute la météo promet donc à la fois des sécheresses plus fréquentes et plus longues, une saison des pluies décalée et des pluies soudaines et très intenses qui causent des inondations. Ces dévastations sont une des causes qui poussent les populations à quitter leur foyer et à migrer. Une question de survie.

Au rythme actuel du changement climatique, la Banque mondiale chiffre à 86 millions le nombre de migrants climatiques potentiel en 2050 pour l’Afrique subsaharienne. Cela se conjugue avec la forte croissance de la population et les besoins en ressources qui augmentent et crée des tensions autour de l’usage des terres. Un exemple bien connu du phénomène au Sahel: les conflits entre éleveurs et agriculteurs. Les pâturages sont dégradés et ne sont plus suffisants pour nourrir tout le monde. Les troupeaux vont donc de plus en plus loin pour avoir de la nourriture ou de l'eau et dégradent au passage les champs. Un autre exemple est l’assèchement progressif du fleuve Niger. Il parcourt 4.180 km dans le Sahel et plus d’un million de personnes vivent de la pêche, de l’agriculture et de l’élevage juste dans le delta du fleuve.

Et cela risque donc encore de s'aggraver avec les perturbations du climat, la dégradation des sols et la perte du couvert végétal. En Afrique de l’Ouest, le nombre de jours de chaleur potentiellement létaux pourrait atteindre 100 à 250 jours par an pour un réchauffement climatique de 2,5°C, selon le dernier rapport du GIEC. Des pertes de plus de 40 % de la productivité des pâturages sont prévues pour l’Afrique subsaharienne occidentale en cas de réchauffement global supérieur à 2°C. Justement, selon les dernières données onusiennes, on se dirige vers un réchauffement compris entre + 2,5 et + 2,9°C d'ici à la fin du siècle.

Selon François Gemenne, également codirecteur de l'Observatoire défense et climat piloté par le ministère des Armées en France, les dérèglements du climat et la pauvreté se conjuguent avec les rivalités ethniques ancestrales, la corruption ou l'impunité face à la justice et laissent un terrain propice à l'installation de groupes armés. « Dans des situations de tensions foncières pour l’usage et le partage des terres, ces tensions ont souvent lieu dans des zones qui sont peu ou mal contrôlées par l’État central et où le gouvernement est incapable de faire régner l’État de droit, et cette situation est mise à profit par les groupes terroristes comme Boko Haram, ou les États autoritaires comme la Russie avec le groupe Wagner », pour servir leurs intérêts.

Une des pistes pour aider à pacifier ou stabiliser le Sahel serait de mieux prendre en compte l'adaptation nécessaire au changement climatique. « Mais tout cela ne se décrète pas, réagit le chercheur. Il faut une structure de gouvernance efficace qui, parfois, n'existe pas dans certains pays. Et puis, il faut des fonds. Les pays riches renâclent à débloquer cette aide financière. » C'est un point de blocage d'ailleurs au sein des négociations internationales sur le climat. (...)


EDIT (24 mars 2024)


La hausse des températures pourrait être responsable de la “pire crise financière mondiale”
Novethic - 24 mar 2024
https://www.novethic.fr/environnement/climat/la-hausse-des-temperatures-pourrait-etre-responsable-de-la-pire-crise-financiere-mondiale 


Pour la première fois, une étude a cartographié les risques économiques que fait peser la crise climatique sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. En cas de chaleurs extrêmes, elles pourraient perdre jusqu’à 25.000 milliards de dollars par an d’ici à 2060, dans le pire des scénarios à l’étude.

Jusqu’à présent, lorsque l’on étudiait l’impact de la hausse des températures, on se contentait de quantifier la mortalité directe ou bien la perte de productivité liée au stress thermique. Mais une récente étude, publiée dans Nature, s’est intéressée pour la première fois aux “pertes économiques indirectes” occasionnées par la hausse des températures sur les chaînes d’approvisionnement dans le monde. Les conclusions sont sans équivoque: “il pourrait en résulter la prise crise financière que le monde n’ait jamais connue”, annoncent les auteurs.
Pour Dabo Guan, co-auteur de l’étude et professeur à l’université de Tsinghua à Pékin, “les impacts économiques projetés sont stupéfiants”. “Les pertes s’aggravent à mesure que la planète se réchauffe et lorsque l’on prend en compte les effets du changement climatique sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, cela montre à quel point l’économie est menacée partout”, explique-t-il dans un communiqué.

Des pertes économiques majeures
Les chercheurs se sont penchés sur les perturbations économiques directes et indirectes imputables au changement climatique, dont les coûts liés à la santé ou aux interruptions opérationnelles dues à la chaleur excessive, ainsi les effets en cascade que ces perturbations pourraient avoir tout au long des chaînes d’approvisionnement. Ils ont modélisé ainsi trois scénarios – trois “voies socio-économiques partagées” (SSP) pour évaluer les risques économiques face à la hausse des températures d’ici à 2060. Dans tous les cas, les pertes économiques sont importantes.

Dans le scénario le plus optimiste, où le monde s’engagerait “dans une voie plus durable” à + 1,5°C, une hausse de 25 % des jours de canicule d’ici à 2060 par rapport à 2022 est constatée, se traduisant concrètement par 600 000 décès supplémentaires par an et des pertes économiques annuelles estimées à 3.750 milliards de dollars. Tandis que dans le scénario le plus pessimiste à + 7°C , le monde fera face à une augmentation de 100 % des jours de canicules d’ici 40 ans, aboutissant à 1,1 million de morts supplémentaires et des dommages évalués à 25.000 milliards de dollars. Une somme stratosphérique surtout lorsqu’on la compare au PIB mondial 2023, qui étaient de 100.000 milliards de dollars.

Une interconnectivité dangereuse
L’équipe a également calculé que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement s’aggravent progressivement à mesure que le climat se réchauffe, représentant une proportion de plus en plus grande des pertes économiques. Elles s’élèveront à 0,1 % du PIB mondial total (13 % du PIB total perdu) en cas de réchauffement de 1,5°C; 0,5 % du PIB total (25 % du PIB total perdu) en dessous de 3°C; et 1,5 % du PIB total (38 % du PIB total perdu) en dessous de 7°C, d’ici à 2060.

Et “personne n’est à l’abri”, note Dabo Guan, car à mesure que l’économie mondiale est de plus en plus interconnectée, les perturbations dans une partie du monde ont des répercussions ailleurs. Par exemple, une mauvaise récolte, une main d’œuvre à l’arrêt ou des coupures d’énergie dans une région affecteront inévitablement l’approvisionnement en matières premières d’autres régions, qui peuvent en dépendre. Comme le note New Scientist, “il est peu probable que le Royaume-Uni soit directement affecté par les températures observées à des latitudes plus basses, mais les graves conséquences de la chaleur sur les fournisseurs de blé et de grains de café en Afrique et en Amérique du Sud pourraient entraîner une baisse drastique des approvisionnements en bière ou en café au Royaume-Uni”. Cela représente donc un risque pour la sécurité alimentaire mondiale ou pour l’approvisionnement en énergie ou en minerais.