Le Monde d'Antigone

Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
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dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.

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L'onde du tremblement de terre parcourt la société turque

Publié le 16/02/2023 à 00:21 par monde-antigone

 
Le bilan provisoire du tremblement de terre qui s'est produit le 6 février sur la faille anatolienne, entre le sud-ouest de la Turquie et le nord de la Syrie (province d'Idlib) a dépassé 40.000 morts. Les pelleteuses ont pris la place des équipes de sauveteurs. On s'attend à un chiffre final aux alentours de 70.000 morts. Le secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d'urgence, Martin Griffiths, a qualifié ce tremblement de terre de "pire événement depuis 100 ans dans cette région".

Le séisme a touché de plein fouet des milliers de réfugiés syriens qui pensaient être protégés par la frontière dans une région en guerre. Le nombre de sans-abri est très important. On observe actuellement dans les zones sinistrées, parmi les réfugiés syriens notamment, d'importants déplacements de population pour trouver de nouveaux logements. L'onde de choc n'a pas fini de se déplacer.

Les conséquences à moyen terme de ce séisme sont encore difficiles à estimer, mais il y en aura. Des rumeurs circulent selon lesquelles Erdogan, mal en point dans les sondages, pourrait invoquer un état de guerre ou d'urgence humanitaire pour repousser les élections d'un an. Tout cela arrive dans un contexte économique fortement dégradé à cause de la chute de la monnaie locale et d'une inflation hors de contrôle.

Séismes en Turquie: à Antioche, la résignation prend le pas sur la colère
avec notre envoyée spéciale à Antioche, Manon Chapelain
RFI - 08 fev 2023
https://www.rfi.fr/fr/europe/20230208-s%C3%A9ismes-en-turquie-%C3%A0-antioche-la-r%C3%A9signation-prend-le-pas-sur-la-col%C3%A8re 


En Turquie et en Syrie, le séisme a tué au moins 16.000 personnes, d'après le dernier bilan humain. Deux jours après les séismes, la recherche des survivants s'est poursuivie ce mercredi 8 février. À Antioche, dans la région du Hatay, l'une des plus touchées par le séisme, des médecins arrivent de tout le pays pour aider. Mais sur place, les hôpitaux encore debout et le matériel manquent.

Devant un immeuble écroulé dans l'est de la ville, une femme fait du stop. Elle cherche une voiture pour se rendre à l'hôpital, précisément. Sa fille a disparu depuis trois jours, elle espère l'y trouver. « Je n'ai aucune idée d'où se trouve ma famille, je n'ai pas de nouvelles, car il n'y a plus de réseau et les téléphones ne marchent pas », confie-t-elle. À l'intérieur, l'hôpital est plein à craquer. Atiçé retrouve sa fille dans un brancard, blessée mais saine et sauve.

Dans le couloir, des dizaines de personnes attendent d'être prises en charge. Ibrahim patiente depuis 3 heures. « Je suis arrivé juste après avoir été sorti des décombres, dit-il. J'attends qu'on soigne ma jambe, mais il y a des cas beaucoup plus urgents que moi, donc on ne me prend pas en charge. J'attends, mais ça fait très mal ». Juste à côté, un homme nous montre une vidéo de sa mère se faire sortir des décombres. Elle dit être sur le point de s'évanouir et doit, elle aussi, attendre qu'un docteur soit disponible. Des médecins sont venus de tout le pays pour aider, mais l'équipe est clairement en sous-effectif et manque de matériel. Ayse, l'une de ces médecins, est arrivée d'Erzurum. « C'est vraiment difficile car on n'a pas un seul médicament, pas un seul équipement, on essaye juste d'aider les gens. » Très vite, elle coupe court à l'interview : « Regardez autour de vous, je n'ai pas le temps », soupire-t-elle.

Ce qui nous a marqué ce mercredi, hormis cette scène à l'hôpital ? La résignation des habitants. La veille, nous les avons vus courir partout à la recherche de secours, ou bien d'une solution pour se rendre utiles. Mais ce jour, on les sentait épuisés, voire anéantis. Les regards étaient défaits. Des rescapés continuent d'être sortis des décombres, comme cette mère et sa fille qui ont été retrouvées vivantes après 50 heures sous leur immeuble. Hélas, cela relève plutôt de l'exception désormais ; par rapport à mardi, la plupart des habitants actuellement retrouvés sont morts. Nous avons passé une partie de la journée dans l'une des morgues de la ville, qui déborde de corps. Ceux qui arrivent en continu sont à présent déposés dehors, à même le sol dans des sacs noirs, ou bien enroulés dans des couvertures.

Des familles, toute la journée de mardi en quête de leurs proches, pendant que des officiers de la Diyanet, l'agence religieuse nationale turque, enchaînaient les prières. Ce mercredi soir, le plus marquant, c'était le silence qui règne actuellement dans certains quartiers. Les habitants ne cherchent plus les corps, ils cherchent surtout à partir, quitter cette ville fantôme dévastée, toujours sans eau, sans électricité et sans réseau. Mardi, les routes à l'intérieur de la ville étaient bloquées par la circulation remplie de voitures venues déposer des vivres et des volontaires; maintenant, ce sont les routes pour en sortir qui sont pleines. Un étudiant qui faisait du stop nous a expliqué que ses amis étaient déjà en route vers des villes aux quatre coins du pays, comme Adana, Ankara, voire même Istanbul ou Izmir.

Séisme en Turquie et Syrie: plus de 15.000 morts, les critiques montent contre Erdogan
par Kadir Demir à Antakya (Turquie) et Omar Haj Kadour à Harem (Syrie)
AFP, TV5 Monde - 09 fev 2023

https://information.tv5monde.com/info/seisme-en-turquie-et-syrie-plus-de-15000-morts-les-critiques-montent-contre-erdogan-487779 


Antakya (Turquie) - Le bilan du séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie ne cesse de s'alourdir et (...) les chances de survie s'amenuisant deux jours après la catastrophe, et la montée des critiques en Turquie a contraint le président turc Recep Tayyip Erdogan à reconnaître des lacunes dans la réaction du gouvernement. Twitter est devenu inaccessible sur les principaux fournisseurs de téléphonie mobile turcs, sur fond de multiplication des critiques en ligne de la gestion de cette tragédie par les autorités. [Les élections en Turquie sont dans 3 mois; ndc]

Sur le terrain, les sauveteurs travaillent par un froid glacial depuis deux jours, après le tremblement de terre de magnitude 7,8 qui a secoué lundi à l'aube le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie voisine, suivi de puissantes répliques. (...) Dans la province turque d'Hatay (sud), la ville d'Antakya (l'Antioche antique) est en ruines, noyée dans un épais nuage de poussière due aux engins de déblaiement qui fouillent les décombres. "Antakya est finie", répètent des habitants. A perte de vue, ce ne sont qu'immeubles totalement ou partiellement effondrés. Même ceux qui tiennent encore sont profondément lézardés et personne n'ose y rester. Le comptage global officiel des victimes atteint plus de 15.000 morts, avec près de 50.000 blessés en Turquie et 5.000 en Syrie.(...). Il s'agit du pire bilan depuis le séisme de 1999, d'une magnitude de 7,4 et qui avait fait 17.000 morts dont un millier à Istanbul.

A l'épicentre du tremblement de terre, à Kahramanmaras, une ville de plus d'un million d'habitants dévastée et ensevelie sous la neige, aucune aide, aucun secours n'était parvenu mardi. "Où est l'Etat ? Où est-il ? (...) Ca fait deux jours et on n'a vu personne. (...) Les enfants sont morts de froid", s'insurgeait Ali, qui espérait encore revoir son frère et son neveu, piégés dans les ruines de leur immeuble. A Adiyaman, une autre ville du sud de la Turquie, il n'y a toujours pas de secouriste ni d'engins dans certaines zones sinistrées, a constaté une journaliste de l'AFP. Les volontaires font de leur mieux mais la colère monte dans la population.

"Bien sûr, qu'il y a des lacunes, il est impossible d'être préparé à un désastre pareil", a plaidé mercredi le président Recep Tayyip Erdogan, qui s'est rendu dans la province d'Hatay, à la frontière syrienne. "Quelques personnes malhonnêtes et déshonorantes ont publié de fausses déclarations telles que 'nous n'avons pas vu de soldats ni de policiers', a-t-il dénoncé. Les réseaux sociaux turcs sont inondés de messages de personnes qui se plaignent d'un manque d'efforts de secours et de recherches des victimes dans leurs zones, en particulier dans la région d'Hatay. La police turque a arrêté une douzaine de personnes depuis le tremblement de terre de lundi pour des publications, sur les réseaux sociaux, critiquant la manière dont le gouvernement a géré la catastrophe. Twitter était inaccessible mercredi et l'organisme de surveillance de la gouvernance de l'internet netblocks.org a souligné que l'accès à ce réseau social était restreint "via plusieurs fournisseurs d'accès Internet en Turquie".

L'aide internationale a commencé à arriver mardi, des dizaines de pays ayant proposé leurs services à Ankara dont ceux de l'Union européenne et du Golfe, les Etats-Unis, la Chine et même l'Ukraine qui, malgré l'invasion russe, envoie 87 secouristes. [En Syrie, Assad tente de tirer profit politiquement de cette catastrophe. Il a ordonné que l'aide humanitaire passe désormais par la capitale et les autorités centrales avant d'être redistribuée. Au passage, il prélèvera son pourcentage...; ndc] (...) 23 millions de personnes sont "potentiellement exposées, dont environ 5 millions de personnes vulnérables", a mis en garde l'OMS [L'OMS s'attendait mardi à un bilan proche de 20.000 morts; ndc]. (...) Dans les zones rebelles, les Casques blancs (volontaires de la protection civile) ont imploré la communauté internationale d'envoyer de l'aide. "Des gens meurent toutes les secondes sous les décombres", a déclaré à l'AFP leur porte-parole, Mohammad al-Chebli.  [Les chances de survie après un séisme deviennent infimes au-delà de 72 heures, surtout par - 5°C de température. Quand on voit des équipes de sauveteurs qui se préparent aujourd'hui à aller en Turquie "avec des tonnes de matériel", on se dit que ce sera surtout pour retirer les morts. Les hôpitaux ayant été détruits, les équipes humanitaires mettent en place des hôpitaux de campagne; ndc]


Le tremblement de terre en Turquie n’est que la dernière tragédie pour les réfugiés

[Earthquake in Turkey is only the latest tragedy for refugees]
par Mehmet Guzel, Fay Abuelgasim (à Cilvegozu), Tanya Titova (à Elbistan) et Sarah El Deeb (à Antakya)
Associated Press - 12 fev 2023
https://apnews.com/article/syria-turkey-earthquakes-fdda60024380bf8d576b169408bdce7e 


ANTAKYA, Turquie - Lorsque la guerre a éclaté en Ukraine, les proches d’Aydin Sisman ont fui vers l’ancienne ville d’Antakya, dans un coin sud-est de la Turquie frontalier de la Syrie. Ils ont peut-être échappé à une catastrophe, mais un autre les a trouvés dans leur nouvelle maison. Ils séjournaient chez la belle-mère ukrainienne de Sisman lorsque leur bâtiment s’est effondré lundi dernier alors qu’un tremblement de terre de magnitude 7,8 a rasé une grande partie d’Antakya et ravagé la région dans ce que certains en Turquie appellent la catastrophe du siècle. « Nous avons des invités ukrainiens qui ont fui la guerre, et ils sont également allongés à l’intérieur. Nous n’avons eu aucun contact », a déclaré Sisman, dont le beau-père turc a également été piégé sous les décombres de l’immeuble vieux de 10 ans. Alors que les sauveteurs creusaient dans des tas de décombres, Sisman semblait avoir perdu espoir.

Des millions de réfugiés, comme les proches de Sisman, ont trouvé refuge en Turquie, fuyant les guerres et les conflits locaux de pays aussi proches que la Syrie d’aussi loin que l’Afghanistan. Au moins 3,6 millions de Syriens ont fui la guerre de leur pays depuis 2011, arrivant au compte-gouttes ou en masse, dépassant parfois la frontière, pour se mettre à l’abri des bombardements punitifs, des attaques chimiques et de la famine. Plus de 300.000 autres sont venus pour échapper à leurs propres conflits et difficultés, selon les Nations Unies.

Pour eux, le tremblement de terre n’était que la dernière tragédie – une tragédie que beaucoup sont encore trop choqués pour comprendre.« C’est la plus grande catastrophe que nous ayons vue, et nous en avons vu beaucoup », a déclaré Yehia Sayed Ali, 25 ans, un étudiant universitaire dont la famille a déménagé à Antakya il y a 6 ans pour échapper à la guerre en Syrie à son apogée. Sa mère, deux cousins et un autre parent sont tous morts dans le tremblement de terre. Samedi, il était assis à l’extérieur de son immeuble démoli de deux étages en attendant que les sauveteurs l’aident à déterrer leurs corps. « Pas une seule famille syrienne n’a perdu un parent, un être cher » dans ce tremblement de terre, a déclaré Ahmad Abu Shaar, qui dirigeait un refuge pour les réfugiés syriens à Antakya qui est maintenant un tas de décombres.

Abu Shaar a déclaré que les gens sont à la recherche de leurs proches et que beaucoup ont refusé de quitter Antakya même si le séisme a laissé la ville sans structures habitables, sans électricité, sans eau ni chauffage. Beaucoup dorment dans la rue ou à l’ombre de bâtiments brisés. « Les gens vivent encore sous le choc. Personne n’aurait pu imaginer cela », a déclaré Abu Shaar. Certainement pas Sisman, qui s’est envolé du Qatar vers la Turquie avec sa femme pour aider à retrouver ses beaux-parents et leurs parents ukrainiens. « En ce moment, ma belle-mère et mon beau-père sont à l’intérieur. Ils sont sous les décombres... Il n’y avait pas d’équipes de secours. Je suis monté tout seul, j’ai jeté un coup d’œil et je me suis promené. J’ai vu des corps et nous les avons sortis de sous les décombres. Certains sans tête », a-t-il dit.

Les travailleurs de la construction qui passaient au crible les débris ont dit à Sisman que même si le toit du bâtiment était solide, le garage et les fondations n’étaient pas aussi solides. « Quand ceux-ci se sont effondrés, c’est à ce moment-là que le bâtiment a été rasé », a déclaré Sisman, ébranlé. Il semblait avoir accepté que ses proches n’en sortent pas vivants.

Bouleversé par le traumatisme, Abdulqader Barakat a désespérément plaidé pour une aide internationale afin de sauver ses enfants pris au piège sous le béton à Antakya. « Il y en a quatre. Nous en avons sorti deux et deux sont encore (à l’intérieur) pendant des heures. Nous entendons leurs voix et ils réagissent. Nous avons besoin d’escadrons (de sauvetage) », a-t-il déclaré.

Au refuge syrien, Mohammed Aloolo était assis en cercle entouré de ses enfants qui se sont échappés du bâtiment qui se balançait et s’est finalement plié comme un accordéon. Il est arrivé à Antakya en mai depuis un camp de réfugiés situé le long de la frontière turco-syrienne. Il avait survécu aux bombardements d’artillerie et aux combats dans sa ville natale de la province centrale de Hama, en Syrie, mais il a qualifié sa survie dans le tremblement de terre de miracle. D’autres parents n’ont pas eu cette chance. Deux nièces et leurs familles restent sous les débris, a-t-il dit, retenant ses larmes. « Je ne souhaite cela à personne. Rien de ce que je peux dire ne décrirait cela », a déclaré Aloolo.

Des scènes de désespoir et de deuil peuvent être trouvées dans toute la région qui, quelques jours plus tôt, était un refuge paisible pour ceux qui fuyaient la guerre et les conflits. Dans un cimetière de la ville d’Elbistan, à environ 200 miles (320 km) au nord d’Antakya, une famille syrienne a pleuré et prié en enterré l’un des siens. Naziha Al-Ahmad, mère de 4 enfants, a été extraite des décombres de leur nouvelle maison. Deux de ses filles ont été grièvement blessées, dont une qui a perdu ses orteils. « Ma femme était bonne, très bonne. Affectueuse, gentille, une bonne épouse, que Dieu bénisse son âme », a déclaré Ahmad Al-Ahmad. « Des voisins sont morts, et nous sommes morts avec eux ». Les tombes se remplissent rapidement.

À la frontière entre la Turquie et la Syrie, les gens ont transféré des sacs mortuaires dans un camion en attendant d’emmener les restes en Syrie pour y être enterrés dans leur pays d’origine. Parmi eux figurait le corps de la nièce de Khaled Qazqouz, âgée de 5 ans, Tasneem Qazqouz. Tasneem et son père sont tous deux morts lorsque le séisme a ravagé la ville frontalière de Kirikhan. « Nous l’avons sortie de sous la destruction, sous les rochers. Tout le bâtiment s’est effondré », a déclaré Qazqouz. « Nous avons travaillé pendant trois jours pour la faire sortir ». Qazqouz a signé le nom de sa nièce sur le sac mortuaire avant de l’envoyer dans le camion en direction de la Syrie. Il a prié en la laissant partir. « Dis bonjour à ton père et donne-lui mes souhaits. Dites bonjour à votre grand-père, à votre oncle et à tout le monde », a-t-il pleuré. « Entre la destruction et les décombres, nous n’avons plus rien. La vie est devenue si difficile.


Séisme en Turquie: "Recep Tayyip Erdogan pourrait repousser l'élection présidentielle d'un an"
Entretien avec Dorothée Schmid, chercheuse à l'IFRI
Franceinfo: - 13 fev 2023
https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/seisme-en-turquie-recep-tayyip-erdogan-pourrait-repousser-l-election-presidentielle-d-un-an-explique-une-specialiste_5657144.html 


Le pouvoir turc cherche-t-il un bouc émissaire ?
Il y a une situation d'urgence politique pour Recep Tayyip Erdogan, parce qu'il y a des dégâts matériels mais aussi un dégât d'image très impressionnant avec cette catastrophe. On a l'impression que l'État turc s'est effondré en même temps que les bâtiments. Erdogan était déjà très limite dans les sondages en 2022, où il est passé plusieurs fois derrière l'opposition. Il y a donc une urgence aujourd'hui pour le pouvoir turc à ne pas laisser l'opposition prendre la main sur le plan de la critique.


Twitter a d'ailleurs été coupé...
Oui et des personnalités qui s'exprimaient sur les réseaux sociaux ont été arrêtées. Il y a une mainmise très forte sur le débat public. C'est dû en partie au fait que la plupart des municipalités de la région frappée par le tremblement de terre sont gérées par le Parti de la justice et du développement (AKP) d'Erdogan. Ce sont des régions où il y a une misère faite de Syriens réfugiés ou encore de Kurdes déplacés de l'Est. Ce sont des régions limites du point de vue social, qui sont moins développées, à l'exception de Gaziantep. C'est toute la face un peu sombre de la Turquie qui est mise au jour par ce tremblement de terre et d'autant plus visible qu'il y a des équipes de secouristes internationaux qui se relaient sur place et racontent ce qu'elles voient.


Il est impossible d'imaginer les habitants pouvoir revenir chez eux dans les prochaines semaines ?
Quand vous comparez la zone d'impact du tremblement de terre en Turquie avec ce que ça donnerait en France, c'est gigantesque. Aujourd'hui, 20 % du territoire turc est pratiquement en situation d'urgence humanitaire. Cela prendra beaucoup de temps à reconstruire. Et pour le moment, la plupart des habitants des zones sinistrées sont en train de s'enfuir. Il y aura donc de très gros déplacements de population. Il y a beaucoup de gens qui partent à Istanbul. Les Européens craignent également qu'une partie des réfugiés syriens reprennent leur exode pour aller plus loin et repartir en Europe. Les Libanais sont également inquiets. Les réfugiés sont le premier bouc émissaire possible d'autant que, dans la préparation des élections, les programmes de l'opposition et du gouvernement prévoyaient de renvoyer les réfugiés syriens chez eux. Ce consensus sur ce point doit être relié à la crise économique très forte et à l'appauvrissement de la population turque.


À l'évidence, ce tremblement de terre aura une forte empreinte sur l'élection présidentielle prévue en mai et sur la campagne qui va débuter...
En principe, l'opposition devait annoncer le nom de son candidat aujourd'hui mais elle ne l'a pas fait. Le premier effet, c'est que ça ne semble donc pas être le bon moment pour abattre ses cartes. Cette semaine, on est surtout dans l'attente d'une éventuelle décision sur la date des élections, qui avait été avancée par Erdogan [au 14 mai]. Finalement, il n'est pas du tout évident qu'on arrive à les organiser dans les temps, surtout dans les régions sinistrées. On a un état d'urgence dans 10 provinces de la Turquie. Donc on peut s'attendre à ce que la date des élections bouge encore. Il y a même certaines rumeurs qui disent que Recep Tayyip Erdogan pourrait exhiber la situation présente pour dire qu'on est quasiment dans un état de guerre et repousser les élections d'un an.


EDIT (17 février 2023)


Turquie: Après les séismes meurtriers, les failles dans le secteur de la construction mises en cause
par Marie-Violette Bernard
France Télévisions, Franceinfo - 17 fev 2023
https://www.francetvinfo.fr/monde/seisme-en-turquie-et-en-syrie/turquie-apres-les-seismes-meurtriers-les-failles-dans-le-secteur-de-la-construction-mises-en-cause_5658158.html 


Des milliers de bâtiments se sont effondrés lors des tremblements de terre, piégeant les habitants sous les gravats. Le pays a pourtant adopté des normes parasismiques strictes pour réduire la vulnérabilité des immeubles.

"Il est évident que la plupart des destructions résultent d'erreurs humaines". A en croire le sismologue turc OvgUn Ahmet Ercan, interrogé par le Guardian, il est facile d'identifier les causes du terrible bilan des deux puissants séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie début février. Les tremblements de terre ont fait plus de 41.000 morts et des milliers de disparus, ont annoncé les autorités locales jeudi 16 février. La plupart des victimes se sont trouvées piégées dans les décombres d'immeubles qui se sont affaissés sur eux-mêmes.

Dans le sud-est de la Turquie, lourdement endeuillé, la magnitude des secousses ne suffit pas à expliquer un tel niveau de destruction. "Nos chercheurs, ingénieurs, sismographes ont tiré des enseignements des tremblements de terre passés. On a créé de nouvelles normes de construction, elles ont été bafouées", dénonce le père d'un disparu, rencontré par Le Monde à Antakya. Ici, une gigantesque résidence de luxe construite en 2013 s'est effondrée. Les promoteurs en avaient pourtant vanté les performances antisismiques.

Située dans une zone à l'activité sismique importante, la Turquie applique en effet "une réglementation similaire à celle de l'Europe et de la France", décrypte Patrick Coulombel, cofondateur de l'ONG Architectes de l'urgence. "Cela implique des normes strictes de conception et de construction des bâtiments, de manière à ce qu'ils soient renforcés", détaille-t-il auprès de franceinfo. En théorie, ces règles permettent d'éviter les dommages les plus graves. Même en cas de magnitude 7,8, comme lors de la première secousse qui a touché le pays. "Cela ne signifie pas que les immeubles ne subiront aucun dégât en cas de fort séisme. L'objectif est d'éviter qu'ils ne s'effondrent totalement, et donc de sauver des vies", précise Mustafa Erdik, ingénieur sismologue et professeur émérite à l'université du Bosphore, à Istanbul.

Le 6 février, des milliers d'immeubles ont pourtant été victimes d'un "affaissement en pancakes", qui survient lorsque les structures porteuses (murs, poteaux, poutres...) cèdent et que les étages s'effondrent les uns sur les autres. "Ce type d'effondrement, qui laisse peu de chances de retrouver des survivants, est la conséquence directe d'un non-respect des normes parasismiques", juge Mustafa Erdik.

Irrégularités et corruption dans le secteur du bâtiment
La réglementation actuellement en vigueur en Turquie remonte à 2018. "Les structures anciennes ne s'y conforment évidemment pas, souligne l'architecte Patrick Coulombel. Or, les travaux de renforcement a posteriori des bâtiments sont complexes et coûteux." La plupart des immeubles détruits par les deux séismes datent ainsi d'avant 1999, rapporte The Economist. Mais des résidences récentes se sont également affaissées, note le magazine américain. Comment l'expliquer ?

"Il faudrait une analyse des bâtiments au cas par cas. Mais sur des sujets aussi techniques, des erreurs dans la qualité du béton, dans la conception, dans la géométrie des bâtiments peuvent avoir de lourdes conséquences", dit Patrick Coulombel à franceinfo. "Il y a un manque criant de formation des ingénieurs qui réalisent les plans d'immeubles", avance Mustafa Erdik. Pour ce sismologue, cette "inexpérience" s'avère particulièrement problématique lorsque les chantiers sont réalisés de manière "précipitée". "Pour gagner du temps, certains entrepreneurs sautent des étapes, comme de prévoir l'agencement de l'acier dans le béton armé", déplore-t-il auprès de franceinfo.

Ces irrégularités révèlent la corruption qui gangrène le secteur du bâtiment, pointée par des habitants et des experts. "Tout le monde est impliqué", affirme un urbaniste à The Economist, évoquant des permis accordés par les autorités locales en échange de pots-de-vin. "Jusqu'en 2019, les constructeurs pouvaient choisir eux-mêmes l'entreprise chargée de contrôler le respect des normes sur leurs chantiers. Cela a donné lieu, dans certains cas, à des petits arrangements", ajoute Mustafa Erdik.

Des règles héritées du séisme de 1999 ignorées
Ces promoteurs se trouvent désormais au centre des soupçons. Une douzaine de personnes travaillant dans le secteur du bâtiment, accusées de mauvaises pratiques, ont été arrêtées samedi 11 février. La veille, un constructeur, sur le point de fuir le pays, avait déjà été interpellé à l'aéroport d'Istanbul. Au total, le ministère de la Justice a annoncé l'ouverture de 134 enquêtes et presque autant de mandats d'arrêts.

Mais la colère de la population vise également le pouvoir. Sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan, la Turquie a connu un boom des constructions immobilières, rappelle The Economist. Au passage, certaines règles mises en place après le tremblement de terre de 1999, qui avait fait 17.000 morts, ont été ignorées. La plupart des zones de rassemblement créées en réponse à ce drame ont ainsi été transformées en centres commerciaux ou en immeubles résidentiels, révélait la radio NPR* en 2017.

Beaucoup s'interrogent aussi sur le devenir de la "taxe séisme". Mise en place après la catastrophe de 1999, elle devait servir à développer les services d'urgence et la résilience du système de communication en cas de nouvelle secousse, explique la BBC. Mais le gouvernement n'a jamais détaillé comment il avait utilisé les plus de 4 milliards d'euros rapportés par cette taxe au cours des 20 dernières années.

En parallèle, des milliers d'amnisties ont été accordées à des constructions illégales ou ne respectant pas la réglementation depuis 1984. Au lieu d'être détruits, ces logements ont été régularisés, en contrepartie de droits d'enregistrements. Après la dernière vague d'autorisations en 2018, le président de la Chambre de génie civil avait pourtant alerté sur cette politique "dangereuse", relève le Guardian. "Cela transformera nos villes (...) en cimetières", avait-il averti. [L'Etat a préféré engranger des amendes plutôt que d'apporter des garanties de sécurité pour sa population; ndc]

"Tirer les leçons" de cette catastrophe
Alors que de nombreuses autres localités de la province de Hatay sont aujourd'hui dévastées, Erzin, ville de 42.000 habitants, est miraculée. "Nous n'avons pas eu de morts, pas de blessés, pas de destructions importantes", a déclaré le maire, Okkes Elmasoglu, à Euronews. Pour l'élu, l'explication est simple: la municipalité "n'a autorisé aucune construction" ne respectant pas les normes parasismiques, assure-t-il. Les immeubles trop hauts sont également proscrits, rapporte une journaliste turque sur Twitter.

Aux alentours d'Erzin, en revanche, les chances de retrouver des survivants s'amenuisent. "Il sera important d'identifier et poursuivre les responsables de ce désastre. Mais il sera surtout primordial de tirer des leçons de ces séismes", estime Mustafa Erdik. Il plaide notamment pour un meilleur contrôle du respect des normes imposées aux constructeurs, et pour un renforcement des bâtiments anciens trop vulnérables.

Si de telles mesures avaient été mises en place avant le 6 février, "le bilan humain aurait été bien moindre", abonde le sismologue Hakan Suleyman, interrogé par le Guardian. "Les tremblements de terre de ces derniers jours ont mis en lumière le besoin de réforme, conclut cet expert. Mais le véritable enjeu sera la capacité du gouvernement à faire appliquer la réglementation et à construire des structures plus sûres à l'avenir".


EDIT (19 février 2023)


L'économie turque soumise à de nouvelles pressions par le séisme
AFP, France24 - 19 fev 2023
https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20230219-l-%C3%A9conomie-turque-soumise-%C3%A0-de-nouvelles-pressions-par-le-s%C3%A9isme 


ISTANBUL – La Turquie qui comptait sur la générosité de quelques riches partenaires pour se remettre à flots doit désormais encaisser les conséquences du séisme du 6 février qui a rasé des dizaines de villes et laissé des millions de personnes sans abri ni emploi. Elle va devoir maintenant consacrer des milliards de dollars à la reconstruction des onze provinces du sud et du sud-est ravagées par la pire catastrophe de son histoire contemporaine.

Le président Recep Tayyip Erdogan a également promis des millions de livres turques aux populations affectées à l'approche des élections présidentielle et législatives - toujours prévues à ce stade pour le 14 mai. Tout cet argent pourrait stimuler la consommation et la production industrielle, deux indicateurs clés de la croissance économique. Mais la Turquie est à court de fonds.

Les réserves de la banque centrale, pratiquement réduites à néant, ont pu être reconstituées grâce à l'aide de la Russie et des États pétroliers du Golfe. Mais pour les économistes, cet argent sera tout juste suffisant pour maintenir les finances de la Turquie à flots et empêcher la livre turque en difficulté de s'effondrer - jusqu'aux élections de mai si elles sont confirmées. Or, M.Erdogan doit désormais réparer quelque 78,9 milliards d'euros de dégâts, selon l'estimation d'un groupe de chefs d'entreprises de premier plan. Les estimations d'autres experts sont plus conservatrices, proches de 9,4 milliards de dollars.

En prévision des élections, Erdogan a déjà promis de fournir de nouveaux logements d'ici un an aux millions de personnes touchées. S'il trouve l'argent grâce à de nouveaux versements de donateurs étrangers, le chef de l'Etat devra en allouer une grande partie au secteur du bâtiment pour reconstruire des pans entiers du pays réduits à néant. Le président a toujours compté sur ce secteur aujourd'hui montré du doigt et désigné responsable des effondrements massifs d'immeubles résidentiels pour avoir triché avec les normes anti-sismiques. Il a ainsi pu moderniser une grande partie du pays, ouvrir des aéroports, des routes, des hôpitaux.

"Les travaux de reconstruction pourraient largement compenser l'impact négatif (du séisme) sur l'activité économique", a estimé la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Avant le séisme, la région affectée contribuait à l'économie turque à hauteur du 9 % du PIB, notamment par le biais d'importantes zones industrielles à Gaziantep et le port d'Iskenderun par lequel les produits de la région sont achéminés vers le monde.

La production agricole va aussi encaisser le choc: selon Unay Tamgac, professeure agrégée d'économie à l'Université TOBB-ETU d'Ankara, la région assure 14,3% de la production agricole turque, pêche et foresterie comprises. L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a mis en garde contre les perturbations de la production alimentaire de base en Turquie et en Syrie. Le séisme a aussi affecté les infrastructures de l'énergie, du transport, les canaux d'irrigation, poursuit Mme Tamgac.

Certains regardent en arrière pour essayer de trouver un modèle à suivre. Mahmoud Mohieldin, directeur exécutif du FMI, a pourtant estimé que ce tremblement de terre, d'une magnitude de 7,8, serait moins dommageable à l'économie que celui de 1999 (7,6) qui avait fait 17.000 morts - le FMI s'est empressé de préciser que ce responsable ne s'exprimait qu'en son nom propre.

L'économie turque avait perdu de 0,5 à 1,0 % du PIB en 1999, mais le séisme avait alors touché le coeur industriel du pays, y compris sa capitale économique, Istanbul. Elle avait toutefois rapidement rebondi et engrangé une croissance de 1,5 % du PIB l'année suivante grâce aux efforts de reconstruction, selon la BERD. Le tourisme, "devenu l'une des principales sources de devises de la Turquie", devrait être relativement épargné, la région frappée par le séisme n'étant pas la première destination des touristes étrangers, selon une note partagée par Wolfango Piccoli, analyste au cabinet de conseil Teneo.

"Il est clair qu'il y aura un besoin de devises étrangères", insiste à ce propos Baki Demirel, professeur agrégé d'économie à l'Université de Yalova qui relève que la Turquie devra importer davantage. Heureusement la dette souveraine du pays est relativement faible, ce qui laisse une certaine latitude au gouvernement. D'un autre côté, les investisseurs étrangers boudent le pays en raison de la politique très peu orthodoxe de M. Erdogan qui a fait flamber l'inflation en abaissant régulièrement les taux d'intérêt. Quand la catastrophe s'est produite, la Turquie venait d'annoncer un taux officiel d'inflation de 58 %, contre plus de 85 % [sans doute plus du double en réalité; ndc] fin 2022. Mais la Turquie est soumise à des vents contraires qui risquent de bloquer sa croissance dans l'année à venir, s'accordent les experts.

20/02/2023 >> Un nouveau séisme de magnitude 6,4 frappe le sud de la Turquie.

22/02/2023 >> Le Haut Conseil de l'audiovisuel turc sanctionne trois chaînes de TV (Halk TV, Tele 1 et Fox TV) pour avoir critiqué la gestion des conséquences du séisme par le gouvernement. Ces chaînes sont condamnées à des amendes et à des suspensions de programmes.

26/02/2023 >> Alors que Erdogan demande "pardon" pour des retards dans les secours, des supporters de football de l'équipe du Besiktas Istanbul lancent un appel à la démission du gouvernement, rejoignant ceux du club rival de Fenerbahçe, 3 semaines après le séisme qui a dévasté le sud-est du pays.

06/03/2023 >> Officiellement, le nombre de morts dans les tremblements de terre du 6 février dépasse 53.000 personnes: 45.000 morts confirmés en Turquie + plus de 8.000 en Syrie. Les personnes disparus et non identifiées n'ont pas été comptabilisés. Selon un responsable turc, le nombre réel de morts pourrait atteindre 150.000, rien qu'en Turquie. Selon Erdogan, 3,5 millions de personnes ont dû quitter la région, 214.000 bâtiments ont été identifiés dans la région comme étant "effondrés, à démolir d'urgence ou fortement endommagés". 

07/03/2023 >> D'après la responsable du PNUD pour la Turquie, le chiffrage des dégâts matériels provoqués par le tremblement de terre, sur la base de données provisoires, dépasse 100 milliards de dollars. "Les coûts de reconstruction et tout ce qui aura à voir avec le fait de reconstruire mieux et de reconstruire plus écologiquement vont évidemment encore dépasser ce montant", a-t-elle ajouté.