Le Monde d'Antigone

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Dernière mise à jour : 20.11.2025
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Dans le patinage russe, des championnes "à usage unique"

Publié le 17/02/2022 à 03:22 par monde-antigone

 
Il y en a beaucoup qui regardent le foot. Moi, je regarde le patinage...

Le patinage artistique féminin, c'est la discipline reine du patinage, c'est celle qui fait le plus d'audience tv, qui intéresse le plus les photographes, qui défraie le plus la chronique (rappelons-nous de l'affaire Harding vs Kerrigan juste avant les JO de 1994). Dernièrement, ce sont des affaires de viols et d'agressions sexuelles qui ont amené la Fédération française à procéder à un début de ménage dans ses rangs.

Katarina Witt dont on rapporte les propos dans l'article ci-dessous était une diva de la glace. 2 fois championne olympique, 4 fois championne du monde, 6 fois championne d'Europe. A une époque où les sportives de la RDA se nourissaient d'anabolisants et explosaient les taux de testostérone, elle incarnait la grâce et était adulée par le régime Honecker... juste avant la chute du Mur de Berlin.

Eltsine misait sur le tennis et il a permis le développement d'académies de formation, véritables fabriques, et l'éclosion d'une ribambelle de championnes, "les poupées russes". Certaines ont été victorieuses à Roland-Garros, mais beaucoup n'ont été que des étoiles filantes. Poutine, lui, a une vision plus traditionnelle. Pour lui, la vitrine de la Russie éternelle, c'est le Bolchoï et les danseuses étoiles.

La série de revers essuyée par les patineuses russes dans les années 1990 et 2000, battues par les américaines et les japonaises, a poussé la fédération russe à ne plus s'appuyer sur des patineuses "expérimentées", comme Irina Sloutskaïa, capables de ramener des médailles pendant 10 ans. Les patineuses dont on détecte très tôt les qualités sont désormais prises en charge dans des écoles qui marchent à la baguette, sous la férule et l'emprise d'entraîneurs autoritaires, où elles dansent, patinent et sautent une grande partie de la journée.

C'est ainsi qu'à partir des JO de Turin en 2006, et dans l'optique des JO de Sotchi obtenus par Poutine, les écoles-usines à patinage ont fonctionné à plein régime. Finalement, c'est une russe, Adelina Sotnikova, qui a remporté la médaille d'or, battant Kim Yuna, coréenne tenante du titre. Depuis 2014, toutes les éditions (annuelles) des championnats d'Europe ont été remportées par des patineuses russes, toutes différentes, toutes âgées entre 16 et 17 ans, et qui ont presque aussitôt disparu de la circulation. Aux mondiaux, seule l'édition de 2018 leur a échappé. Aux JO, il n'y a guère que les japonaises et les coréennes pour contester leur suprématie.

Mais qu'on ne s'y trompe pas. Au Japon et aux Etats-Unis, on retrouve les mêmes schémas de formation. Michele Kwan a été championne du monde à 16 ans. Mao Asada montait sur les podiums des Grands Prix à 15 ans... Mais elles duraient quelques années. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les médaillées d'un jour perdent leur place dès qu'elles sont éjectées du podium de leur championnat national par des plus jeunes, et de plus en plus jeunes. Cette tendance est flagrante en Russie, mais elle existe dans les autres grands pays de patinage.

En l'espace de 10 ans, depuis Sotchi, le niveau technique s'est considérablement élevé. Pour espérer monter sur un podium international, il faut maîtriser le "quad", la quadruple rotation, les bras en l'air. Pour réussir un tel saut d'une demi seconde, en donnant une impression de facilité, il faut être légère. La morphologie d'une ado de 15 ans est forcément un avantage. 34 ans après Midori Ito qui avait été la première à réussir le triple aux JO, Kamila Valieva, 15 ans, est la première à avoir réussi le quadruple à Pékin... mais elle est depuis quelques jours au centre d'une affaire de dopage.

Que deviennent-elles par la suite ? La plupart arrêtent très tôt à cause de blessures multiples et autres problèmes de santé. Quelques unes restent dans le patinage. Elles sont intégrées dans un cadre fédéral de formation ou embauchées dans des troupes de spectacle sur glace jusqu'à la limite d'âge à 40 ans. D'autres créent leurs sociétés de conseil, bifurquent dans les métiers de la mode. Mais il y en a trop qui connaissent la dépression, des problèmes d'anorexie, d'alcool, la déchéance... Des patineuses "à usage unique", on n'en trouve pas qu'en Russie. 

>> Finalement, Valieva rate complètement son programme libre, emportée par la tempête médiatique déclenchée depuis quelques jours autour d'elle. Deux retournements, deux chutes, des fautes de déséquilibre inhabituelles, et elle tombe à la 4e place, inconsolable. Elle quitte la glace sous les reproches de son entraîneure. Ses coéquipières qui la doublent sont, l'une abattue, l'autre en larmes réclamant sa mère. Elles serrent leurs nounours dans leurs bras. Des gamines à qui on a volé leur enfance... 


JO-2022: Dans le patinage russe, des championnes "à usage unique"
AFP, France24 - 16 fev 2022
https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220216-jo-2022-dans-le-patinage-russe-des-championnes-%C3%A0-usage-unique


PEKIN – Les projecteurs braqués sur Kamila Valieva, au centre d'une retentissante affaire de dopage sur la glace olympique de Pékin, ont ouvert un débat sur la durée de vie au haut niveau des patineuses russes, sans cesse remplacées par de nouvelles virtuoses encore plus jeunes.

Regrettant ce renouvellement permanent, l'ancienne patineuse Katarina Witt, championne olympique en 1984 et 1988 sous les couleurs de la RDA, a employé l'expression de "société à usage unique". "Cela fait des années qu'on me demande pourquoi des talents russes de 15 ou 16 ans remportent les Jeux olympiques en signant des performances exceptionnelles et quittent ensuite la scène pour toujours, trop souvent pour des raisons de santé", a-t-elle écrit sur Facebook.

Dans le patinage féminin, les championnes olympiques ont toujours été jeunes. Six des sept derniers titres ont d'ailleurs été remportés par des adolescentes. Cette année ne devrait pas faire exception, Valieva, 15 ans, et ses coéquipières de 17 ans Alexandra Trusova et Anna Shcherbakova étant les trois principales prétendantes au podium. Toutes trois s'entraînent sous les ordres d'Eteri Tutberidze, coach autoritaire et controversée à la tête de l'usine à championnes qui a propulsé la Russie au sommet.

Mais le talent de ces très jeunes patineuses pourrait s'étioler avec la puberté, les laissant sujettes au burn-out et aux blessures, craignent certains observateurs. Katarina Witt a ainsi demandé à ce que l'âge minimum des patineuses sur le circuit seniors, actuellement de 15 ans, soit relevé; un débat qui apparaît régulièrement mais qui ne s'est jamais concrétisé.

L'école Tutberidze illustre parfaitement ces préoccupations: jusqu'ici, aucune de ses poupées russes n'a disputé plus d'une édition des Jeux. Sa première grande star, Yulia Lipnitskaya, n'avait que 15 ans lorsqu'elle a remporté l'or aux Jeux de Sotchi dans l'épreuve par équipes. Sa performance hypnotisante sur la musique de "La Liste de Schindler" avait ébloui le public, qui lui prédisait alors une carrière étincelante.

Mais, trois ans plus tard, Lipnitskaya avait pris sa retraite. En 2016, une sérieuse blessure à une jambe l'a stoppée dans son élan et elle n'est jamais parvenue à retrouver son niveau. Après sa dernière compétition, qu'elle avait terminée à la dernière place, elle avait confié aux médias russes être rentrée chez elle, avoir rangé ses patins au placard et ne pas les avoir ressortis depuis. Elle a aussi révélé avoir dû être suivie pour des problèmes d'anorexie.

Aux Jeux Olympiques de Pyeongchang il y a quatre ans, deux autres adolescentes russes, toutes deux élèves de Tutberidze, se sont retrouvées sur le podium. Alina Zagitova et Evgenia Medvedeva ont pris l'or et l'argent respectivement mais ont depuis été éclipsées. Elles disent toutes deux ne pas pouvoir rivaliser avec le trio Valieva-Trusova-Shcherbakova, capable de réussir des quadruples sauts.

La jeunesse serait-elle l'atout principal ? Zagitova, désormais âgée de 19 ans, explique que les quads sont devenus "trop dangereux" pour elle et qu'elle devrait perdre du poids si elle voulait les tenter. Medvedeva a, elle, souvent été victime de blessures, notamment au dos, qui ne lui permettent plus de tourner que dans un seul sens. Mais Zagitova et Medvedeva ne sont que les victimes les plus visibles. Les forums dédiés au patinage artistique regorgent de noms d'espoirs qui ont mis fin à leur carrière au bout de quelques années seulement. Et, d'après des rumeurs, Shcherbakova et Trusova patineraient cette saison en étant blessées. [Elles reçoivent des charges d'entraînement de plus en plus importantes alors qu'elles n'ont pas la constitution physique de les supporter. Les fractures de fatigue sont un premier signal. Or à l'approche d'une compétition, on les force à passer outre. On en voit marcher difficilement ou pleurer de douleur à la fin de leur programme. Beaucoup sont strappées; ndc]

Interrogée par les médias après le programme court de mardi, Shcherbakova, arrivée en 2e position, a toutefois pris la défense de Tutberidze. "Je m'entraîne avec elle depuis que j'ai 9 ans. Si je ne change pas de coach, ça veut dire que je l'apprécie, s'est-elle justifié. Nous accomplissons beaucoup de choses ensemble, comme vous le voyez".


Eteri Tutberidze, la sulfureuse coach du patinage russe
par Nicolas Lepeltier
Le Monde - 12 fev 2022
https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/02/12/jo-2022-eteri-tutberidze-la-sulfureuse-coach-du-patinage-russe_6113413_3242.html


L’annonce, vendredi 11 février, du contrôle positif de la jeune patineuse Kamila Valieva, à la fin de décembre 2021 à la trimétazidine, une substance interdite, a jeté à nouveau le discrédit sur le sport russe. Huit ans après le retentissant scandale de dopage d’Etat qui avait éclaté après les Jeux olympiques de Sotchi, l’histoire semble se répéter.

Mais l’affaire Valieva jette également une lumière crue sur les méthodes controversées d’une femme, Eteri Tutberidze, entraîneuse sulfureuse,dont l’école de patinage à Moscou a produit nombre de championnes. Kamila Valieva, 15 ans, n’en est que la dernière pépite. Avant elle, Alina Zagitova, championne olympique 2018 et championne du monde 2019; Evgenia Medvedeva, vice-championne olympique 2018 et double championne du monde (2016 et 2017), ou encore Ioulia Lipnitskaïa, championne d’Europe et vice-championne du monde en 2014, sont aussi passées entre les murs de la Sambo-70, l’école de Tutberidze.

« Eteri Tutberidze ? C’est un personnage emblématique, l’une des plus grands entraîneurs du patinage russe. Elle domine quasiment toutes les compétitions féminines », pose Romain Haguenauer, l’entraîneur du couple de danseurs sur glace français Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron. « En Russie, le patinage est quasiment un sport national. Les meilleurs talents du pays finissent tous dans l’école d’Eteri », reprend l’ancien patineur, qui, s’il avoue n’être jamais allé voir un entraînement à la Sambo-70, en connaît, de réputation, la discipline de fer.

La trajectoire de Ioulia Lipnitskaïa illustre parfaitement les dérives et l’entreprise de formatage d’Eteri Tutberidze. La jeune fille est sacrée à 15 ans championne olympique par équipes aux JO de Sotchi après avoir ému le public grâce à un programme libre exécuté sur la musique du film "La Liste de Schindler". C’est le temps de la gloire et des honneurs. La suite ne sera qu’une descente aux enfers. L’adolescente plonge dans les classements, quitte l’école de Tuberidze à la fin de 2015, enchaîne les blessures, avant de raccrocher les patins à l’été 2017, à seulement 19 ans, rongée par l’anorexie.

Mais, à la Sambo-70, un prodige en remplace vite un autre; Evgenia Medvedeva devient la protégée de Tutberidze. La nouvelle star éblouit les patinoires du monde entier, mais est éclipsée par Alina Zagitova juste avant les Jeux de Pyeonchang 2018, où cette dernière sera sacrée championne olympique. Le triomphe sera de courte durée. Zagitova est poussée à la retraite deux ans plus tard, à seulement 18 ans, par un jeune trio qui repousse les limites des figures acrobatiques: Anna Chtcherbakova, Alexandra Trusova et Kamila Valieva, soit précisément les trois patineuses qu’Eteri Tutberidze coache aux Jeux de Pékin.

Elle-même ancienne patineuse, l’entraîneuse russe d’origine géorgienne, 47 ans, a révolutionné la discipline chez les femmes. Sous sa férule, ses élèves ont été les premières à effectuer en compétition des quadruples sauts, des "quads", auxquels s’était essayée – sans succès – la Française Surya Bonaly dans les années 1990. Mais entrer en rotation quatre fois au-dessus de la glace n’est possible qu’avec un corps léger, d’adolescente, voire d’enfant de préférence.

Passée la puberté, il devient difficile pour les filles de passer un "quad". Elles sont alors mises sur la touche, remplacées par des plus jeunes qu’elles. Et, sur des corps aussi frêles, la répétition des sauts n’est pas sans dommages. C’est ainsi que nombre de filles passées par la Sambo-70 en sont ressorties blessées, déprimées, broyées. Aucune élève n’y est restée à sa majorité.

Ioulia Lipnitskaïa s’y est accrochée, jusqu’à se priver de manger pour rester « compétitive » face aux jeunes pousses de l’école. Aujourd’hui, Evgenia Medvedeva, qui s’est retirée des patinoires en 2021, est incapable de faire un saut sans d’atroces douleurs au dos. Car pour Tutberidze, pas de place pour les sentiments, seul compte le travail et les titres internationaux. La coach a un contrôle total sur les corps de ses élèves, régime alimentaire compris.

« A l’entraînement, on voit souvent les gamines en pleurs, explique Romain Haguenauer. On entend parler de beaucoup de choses, mais sans preuves. Mais de ce qui se dit, l’entraînement est relativement abusif. Chez nous, ce serait impossible; au Canada [Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron s’entraînent à Montréal, NDRL], on est régis par des règles très strictes », rappelle l’entraîneur français, qui a déjà travaillé par le passé avec des Russes. « C’est vrai qu’ils ont toujours gardé cette manière de “Pour s’entraîner bien, il faut s’entraîner dur”, il y a quelque chose de culturel ».

Une ancienne élève d’Eteri Tutberidze, Polina Shuboderova, avait témoigné il y a deux ans sur les méthodes militaires à l’œuvre à la Sambo-70. Elle expliquait alors qu’il était interdit de se plaindre. « Si tu es fatigué ou blessé, tu vas quand même sur la glace et tu travailles. Même si tu as deux orteils cassés, tu fais la même chose cent fois par jour. Deux cents fois, si nécessaire », avait-elle affirmé dans un entretien à Sport-express, quotidien sportif russe.

Championne olympique de danse sur glace en 2002 avec Gwendal Peizerat, Marina Anissina réfute les accusations prêtées à Eteri Tutberidze. Elle la connaît bien, les deux femmes ont patiné ensemble dans les écoles de Moscou. « Je trouve qu’Eteri a fait un travail colossal. Si on n’est pas exigeant, et parfois un peu dur, c’est difficile d’avoir d’aussi bons résultats. Pour moi, c’est normal: la discipline, la rigueur et la motivation, bien sûr, sont les clés du succès », avance l’ancienne patineuse. Elle ajoute: « Je ne vois pas ce côté usine à champions, parce qu’Eteri aime ses élèves. Elle est exigeante sur la glace, mais très proche d’elles en dehors ».

La coach russe imaginait faire le triplé sur le podium, jeudi 17 février, lors de l’individuel femmes avec ses trois pépites: Anna Chtcherbakova, Alexandra Trusova et Kamila Valieva. La participation de cette dernière est suspendue à une décision, attendue lundi 14 février, du Tribunal arbitral du sport, saisi par le CIO et l’Agence de contrôle internationale, instance chargée de superviser le programme olympique de dépistage.

Eteri Tutberidze a défendu son athlète, samedi, en assurant qu’elle était « absolument certaine que Valieva était propre et innocente », selon Reuters. Mais pour Romain Haguenauer, les soupçons pèsent aussi désormais sur les deux autres patineuses: « Si cette gamine a pris des médicaments, elle n’en a sans doute pas pris seule ».

18/02/2022 >> Commentaire du président du CIO au sujet de la sortie de Valieva:
« Et comment elle fut reçue par son entourage en sortant de la glace... C'était glacial, au lieu d'essayer de l'aider et de la réconforter. On sentait la distance et en interprétant son langage corporel(de son entraîneure, ndlr) c'était dédaigneux. Comment peut-on être si froid avec son athlète ? Cela ne me donne pas confiance dans son entourage, indépendamment de ce qui a pu se passer, ou va se passer dans le futur, comment (est-il possible de) traiter une athlète mineure de 15 ans comme cela ? »
>> La Fédération internationale (ISU) va proposer de relever la limite d'âge à 17 ans pour concourir en seniors.


EDIT (19 fev 2022)


Après une nuit de trouble, l'inquiétude monte pour les patineuses adolescentes
L'augmentation de l'âge minimum pour la compétition éviterait-elle aux jeunes athlètes d'être maltraités et humiliés ?
[After a disturbing night, concern rises for teenage skaters
Would raising the minimum competition age save young athletes from abuse and humiliation ?]
par Juliet Macur
The New York Times - 18 fev 2022
https://www.nytimes.com/2022/02/18/sports/olympics/olympics-skating-valieva-age.html


(...) Karen Chen, l'Américaine qui a terminé 16e de l'épreuve féminine, a expliqué cette semaine comment cela aiderait les jeunes athlètes, affirmant que lorsqu'elle avait 15 ou 16 ans, elle était complètement différente de la personne qu'elle est aujourd'hui à 22 ans. "Je ne sais pas si robot est le bon mot, mais mes entraîneurs me disaient d'aller faire quelque chose, et je le faisais", a-t-elle déclaré.

Le mot "robot" doit envoyer des signaux d'avertissement. De nombreux jeunes gymnastes dans l'affaire d'abus sexuels de Larry Nassar se sont décrits comme des robots qui ont fait ce qu'on leur disait, même s'il s'agissait d'essayer des compétences qui pourraient les blesser ou de limiter leur consommation de nourriture et même d'eau. Ils avaient aussi trop peur de remettre en question l'autorité, même lorsqu'ils étaient maltraités. La transformation de ces jeunes femmes en machines contrôlées par des adultes a failli écraser le sport. Nassar, l'ancien médecin de l'équipe nationale américaine reconnu coupable d'avoir agressé des centaines de filles et de femmes sous couvert de traitement médical, a exploité un système qui l'a soutenu comme une personne de confiance.

"Si vous avez des athlètes qui sont élevés dans une réalité abusive, ce n'est pas comme si un interrupteur bascule lorsque vous atteigniez l'âge de 17 ans et que soudainement votre sens déformé de la réalité et de la perception est éradiqué", a déclaré Rachael Denhollander, la première athlète à accuser publiquement Larry Nassar d'actes sexuels. "Quel âge avaient certaines des victimes de Larry qui (...) croyaient qu'elles recevaient des soins médicaux parce qu]on leur avait appris à ne pas se fier à leurs propres perceptions alors qu'elles n'étaient que des enfants ?" Certains de ces gymnastes n'avaient que 8 ans. Certains avaient la vingtaine.

"Nous devons faire attention aux individus et aux entités qui vont faire en sorte que l'augmentation de l'âge minimum semble être une solution facile parce qu'ils ne veulent pas démanteler le système et se débarrasser des personnes au pouvoir qui alimentent le système", dit Denhollander. "Cela nécessite beaucoup plus de travail et une restructuration complète, et les gens ne veulent pas faire ce travail."
Elle a ajouté que l'augmentation de l'âge pourrait être une pièce du puzzle, mais a déclaré que les patineurs artistiques plus âgés pourraient toujours être victimes d'abus, car les femmes matures seraient alors obligées de rester aussi petites et aussi minces que des jeunes de 15 ans. En patinage, les athlètes plus légers ont plus de facilité à tourner et à sauter. "C'est presque mieux pour eux d'arrêter rapidement le sport quand ils sont jeunes afin qu'ils puissent continuer à grandir", a déclaré Denhollander.

"Relever l'âge pourrait être comme prolonger le système abusif pendant quelques années de plus". Et cela ne résoudra pas le problème central du sport, a déclaré Polina Edmunds, qui avait 15 ans lorsqu'elle a terminé 9e aux Jeux de Sotchi en 2014 pour les États-Unis. Dans une discussion sur Instagram Live jeudi, Edmunds a déclaré qu'Eteri Tutberidze, l'entraîneur des trois Russes qui ont participé à l'épreuve féminine à Pékin, détient un pouvoir excessif dans le sport et "doit disparaître". Les patineurs de Tutberidze ont reçu des scores gonflés et n'ont pas été pénalisés pour des erreurs pendant des années, a-t-elle dit, donc si le jugement ne change pas, la limite d'âge doit le faire. "Je ne pense pas que vous devriez être retenu à votre apogée simplement parce que tout ce fiasco se produit", a déclaré Edmunds à propos de l'augmentation de l'âge minimum. "Si vous augmentez la limite d'âge et que vous ne faites rien à propos de ce que fait cette équipe d'entraîneurs, la corruption va toujours se produire".

Les patineurs de Tutberidze sont connus pour leurs quadruples sauts, et les faire atterrir aide le patineur à accumuler un grand nombre de points. Mais pour faire des quads, selon Tutberidze, les filles doivent commencer jeunes pour apprendre les bases de la technique.
Lors du patinage libre jeudi, Tutberidze a été filmée en train de dire à Valieva, juste au moment où elle sortait de la glace: « Pourquoi as-tu laissé tomber ? Pourquoi avez-vous arrêté de vous battre ? Explique-moi, pourquoi ? ». Ils ne se sont pas embrassés.
Thomas Bach, le président du CIO, s'est dit vendredi "très troublé" de voir comment l'entourage de Valieva la traitait, elle et les autres Russes. Il a déclaré que le conseil exécutif du comité avait discuté de l'augmentation de l'âge minimum de compétition mais qu'il appartiendrait aux fédérations sportives internationales de le mandater. (...)