Le Monde d'Antigone

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Dernière mise à jour : 21.11.2025
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Le Brésil, une démocratie militarisée

Publié le 15/06/2021 à 01:09 par monde-antigone

 
Le Brésil, une démocratie militarisée
par Maud Chirio, maître de conférences en histoire contemporaine, Université Gustave Eiffel
The Conversation - 03 jun 2021
https://theconversation.com/le-bresil-une-democratie-militarisee-160636


Lorsque l’ancien capitaine parachutiste Jair Bolsonaro est investi à la présidence de la République brésilienne, le 1er janvier 2019, la forte militarisation de son gouvernement attire peu l’attention des observateurs. Elle inquiète moins que l’extrême radicalité des propos du nouveau président, ses appels à la violence et le profil ultraconservateur de certains ministres civils, comme les climatosceptiques Ricardo Salles et Ernesto Araujo, qu’il nomme respectivement à l’environnement et aux relations extérieures.

Ce dernier, fidèle trumpiste et disciple du pseudo-philosophe d’extrême droite Olavo de Carvalho, incarne même ce que les journalistes baptisent « l’aile idéologique » du gouvernement, la plus encline au conspirationnisme, à la rupture sur la scène internationale et à la désignation d’ennemis dans la « guerre culturelle » que les bolsonaristes entendent mener. Elle serait opposée à une « aile militaire » plus modérée, composée du vice-président, le général Hamilton Mourao, et du tiers du cabinet qui porte l’uniforme, en particulier les figures fortes que sont les généraux Augusto Heleno (chef du Cabinet de sécurité institutionnelle, centrale de renseignement directement liée à la présidence) et Braga Netto (chef de cabinet de la présidence à partir de février 2020).

La militarisation progressive du pouvoir
Au fil des mois, la militarisation du gouvernement et de toute l’administration gouvernementale ne fait que s’accentuer: 7 des 23 ministres sont des officiers en janvier 2019; au début 2020, le gouvernement intègre deux hommes en armes supplémentaires aux postes stratégiques de chef de cabinet de la présidence et de ministre de la Santé. Parallèlement, le nombre d’officiers dans l’administration connaît une inflation étourdissante, tandis que les directions de grandes entreprises publiques sont confiées à des généraux. Il s’agit donc d’une militarisation de l’ensemble du régime.

L’alliance entre le clan bolsonariste et les états-majors est émaillée de frictions, que les militaires ne cessent de présenter comme des signes d’autonomie et même de maintien d’un "apolitisme" de l’institution armée, afin de préserver leur image publique et des portes de sortie. Pourtant, plusieurs dynamiques sont évidentes: premièrement, la présidence utilise le corps des officiers comme sa base politique, un "parti militaire" à qui distribuer des postes, des prébendes, et de qui attendre un soutien sans faille dans le rapport de forces avec l’opposition et d’autres institutions d’État.

L’hostilité que Bolsonaro et ses partisans vouent à la Cour suprême (Supremo Tribunal Federal, ou STF) depuis que ses juges ont commencé à émettre des signes en faveur de la restitution des droits de l’opposition (l’ex-président Lula au premier chef), est par exemple encouragée par les généraux qui entourent le président.

C’est d’ailleurs sous la pression publique, via Twitter, du commandant en chef de l’armée Villas-Boas, que le STF avait décrété l’incarcération de Lula en avril 2018. À quelques jours du premier tour de la présidentielle, en octobre 2018, l’un des fils Bolsonaro avait déjà promis que « pour fermer le STF il suffirait d’un caporal et un soldat ». Depuis l’élection, nombreux sont les épisodes de menaces explicites de Bolsonaro envers les juges, appuyées par des manifestations de militants bolsonaristes dans la rue ou en ligne, mais aussi par des généraux qui mettent en scène l’affrontement entre leur corporation et la haute Cour.

Deuxièmement, l’écrasante majorité des généraux considère – ou considérait jusque très récemment – Jair Bolsonaro comme le meilleur défenseur de leurs intérêts et des politiques qu’ils souhaitent mener. Il existe en effet plus de divergences de forme que de fond entre l’« aile idéologique » et l’« aile militaire ». Tous ces acteurs évoluent dans des imaginaires ultraconservateurs, où la « gauche » doit être exclue du jeu politique; où l’Occident est en « guerre culturelle » contre des idéologies hostiles à l’unité des nations, à leurs traditions chrétiennes, à l’ordre social et domestique; où le « communisme » n’est pas mort et la dictature militaire (1964-1985) est un âge d’or où il a été courageusement combattu; où les démocraties occidentales sont agonisantes et dans l’attente d’une régénération. Ces imaginaires communs sont la raison pour laquelle les états-majors ont très tôt (dès 2014) coopté Bolsonaro et ont ensuite contribué décisivement à son accession au pouvoir.

Une armée qui n’a jamais vraiment renoncé au pouvoir
La militarisation du pouvoir brésilien est donc le résultat d’un pacte scellé entre l’outsider fascisant Bolsonaro et des généraux ultraconservateurs désireux de se rapprocher, voire de revenir au pouvoir. Ce phénomène contredit la représentation qui était la nôtre de la trajectoire politique du pays: celle d’une transition démocratique consolidée, qui avait pour clés de voûte non seulement la soumission des forces armées au pouvoir civil, mais également leur renoncement à tout agenda politique. Comment comprendre cette situation ? Trois ensembles de facteurs semblent à considérer, à différentes échelles de temps.

Le premier est l’incomplétude de la transition démocratique brésilienne, sans justice, sans épuration des forces de l’ordre, et sans véritable imposition de l’autorité civile sur l’institution armée. Depuis 1985, tous les présidents brésiliens ont dû prendre des pincettes avec leurs états-majors, pour mettre en place des dispositifs de justice transitionnelle, nommer les ministres de la Défense ou envisager des réformes de la formation militaire. Rappelons que le premier ministre de la Défense choisi par Lula, le diplomate José Viegas, avait été contraint à la démission en 2004 car il avait osé s’opposer à l’éloge de la dictature par de hauts commandants. La culture institutionnelle militaire est demeurée hostile à la classe politique civile, avec l’imaginaire d’une corruption et d’une incompétence généralisées; et laudatrice à l’égard de la dictature. Cependant, jusqu’en 2018, les états-majors se sont gardés d’intervenir ouvertement dans le jeu politique, même lors des élections de l’ancien syndicaliste Lula (2002, 2006) puis de l’ancienne guérillera Dilma Rousseff (2010, 2014). Les pressions se sont essentiellement réalisées en coulisses et sur des questions concernant la corporation, ou ses agissements pendant la dictature.

Dans cette institution rétive à l’intégration dans une démocratie civile, les secteurs très radicaux, ouvertement nostalgiques d’un ordre autoritaire et très sensibles à l’essor de la "Nouvelle droite" dans l’espace occidental ont été considérés comme beaucoup plus isolés qu’ils ne l’étaient réellement – c’est le second facteur. Des officiers à la retraite, pour beaucoup d’anciens membres de l’appareil répressif, ont créé dès les années 1990 des groupuscules activistes, véritables creusets d’une fusion entre les imaginaires contre-insurrectionnels de la guerre froide, et la pensée de la Nouvelle droite états-unienne.

Le communisme n’était pas mort: ses nouveaux visages étaient les combats culturels progressistes (féminisme, droits des populations périphériques, indigènes et LGBTQ+, défense de l’environnement, du multilatéralisme), la défense des droits humains et les politiques mémorielles, promus par des partis fardés en socio-démocrates (comme le Parti des Travailleurs) mais ayant en réalité des ambitions totalitaires. Ce système de pensée, longtemps perçu comme anachronique et délirant, se diffuse en fait dès le milieu des années 2000 au sein de l’armée d’active.

Un dernier ensemble de facteurs a trait aux missions des forces armées sous le régime démocratique : la défense du territoire y est périphérique, en comparaison des opérations de sécurité urbaine (lutte contre le narcotrafic, "pacification" des favelas) et d’administration du territoire. Les forces armées se convertissent, adaptent leur formation et assurent leur légitimité publique en devenant des polices – violentes – et des constructeurs de routes, de ponts, des agents palliant l’État là où il est peu présent.

Cette compétence s’exporte dans le cadre d’opérations de maintien de la paix, encadrées par les Nations unies, notamment dans le cadre de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), dont le commandement est assuré par des officiers brésiliens pendant tout son exercice (2004-2017). Cette corporation très autonome, méfiante à l’égard de la classe politique et du pouvoir civils, renforce dans ce contexte sa conviction qu’elle sait et peut gouverner. Notons ainsi que les anciens commandants de la MINUSTAH, parfois également impliqués dans de grandes opérations de maintien de l’ordre au Brésil, font ou ont fait partie de la garde rapprochée de Bolsonaro.

La fin de l’alliance entre Bolsonaro et l’armée ?
Ces facteurs imbriqués ont sous-tendu, dans le milieu des années 2010, la mise sur pied d’un projet de pouvoir. Alors que le premier mandat de Dilma Rousseff (2010-2014) est déstabilisé par des contestations populaires, une crise économique et des scandales de corruption, une partie des officiers adhère à une distorsion du jeu démocratique dont ils espèrent tirer bénéfice.

Ils sont particulièrement échaudés par la Commission nationale de la Vérité (2012-2014), qui relate et condamne officiellement les crimes commis sous la dictature: ils y voient une manifestation du « revanchisme » d’une gauche communisante. Des officiers se positionnent partout : dans le judiciaire, dans les milices digitales, dans l’administration, et se portent candidats par centaines dans toutes les assemblées du pays. Une partie des états-majors appliquent des stratégies de « guerre hybride » des manuels militaires occidentaux, destinés à déstabiliser discrètement des systèmes politiques tout en feignant d’en respecter les règles.

Les forces armées ont donc joué un rôle central, bien qu’en coulisses, dans la sortie de route de la démocratie brésilienne depuis le coup d’État institutionnel contre Dilma Rousseff (2016) jusqu’à l’élection de Jair Bolsonaro (2018). Le mandat actuel est leur rétribution pour ce rôle, mais l’ex-capitaine qu’ils estimaient disposé à servir leurs intérêts est actuellement de plus en plus discrédité par sa gestion catastrophique de la crise sanitaire due à la Covid-19.

Certains commencent à quitter le navire, à grand fracas comme lors des démissions collectives du 29 mars dernier (départs du ministre de la Défense et des commandants des trois forces), ou plus discrètement avec la pratique d’« effacement de traces digitales » de militaires ultra-politisés: depuis quelques semaines, on observe en effet la suppression de dizaines de comptes et d’historiques, sur les réseaux sociaux, d’hommes en armes ayant participé à la politisation de leur corporation.

Bolsonaro, politiquement isolé, n’est plus protégé que par la popularité qu’il conserve encore auprès d’un tiers de la population. En s’éloignant du président, les états-majors n’entendent cependant pas quitter définitivement les structures du pouvoir ; ils souhaitent au contraire se donner les moyens de survivre politiquement à une chute, ou à une non-reconduction au pouvoir, du président. Les conséquences de ce projet de pouvoir pour la survie de la démocratie brésilienne dans les années à venir sont difficiles à anticiper.


Article nourri de plusieurs chapitres de l’ouvrage "Os militares e a crise brasileira" (Joao Roberto Martins Filho org., Alameda, 2021), en particulier ceux de Manoel Domingos Neto, Eduardo Costa Pinto, Adriana Marques, Piero Leirner et de l’auteure elle-même.


EDIT (10 août 2021)


Aux abois, Bolsonaro assiste à un défilé militaire inédit
AFP, Boursorama - 10 aot 2021
https://www.rtbf.be/info/monde/detail_la-lettonie-declare-l-etat-d-urgence-a-sa-frontiere-avec-la-bielorussie?id=10821811


Jair Bolsonaro a assisté mardi à un défilé militaire inédit à Brasilia, une tentative de démonstration de force et d'intimidation de la part d'un président visé par plusieurs enquêtes et dont la popularité a fondu, estiment les analystes. Le président d'extrême droite a assisté à ce défilé dans un climat de crise aiguë, la Cour suprême et le Tribunal supérieur électoral (TSE) ayant ont ouvert des enquêtes à son encontre après ses attaques répétées contre le système électoral. Flanqué des chefs de l'Armée de Terre, de l'Air et de la Marine et de plusieurs ministres dont celui de la Défense, Jair Bolsonaro a suivi le défilé d'un convoi de chars d'assaut et de blindés devant le Palais de Planalto, siège de la présidence.

Officiellement, la cérémonie était destinée à la remise au chef de l'Etat d'une invitation à un exercice militaire annuel ayant lieu depuis 1988 à 80 km de la capitale, à Formosa, dans l'Etat de Goias. Mais les analystes ont souligné que c'était la première fois qu'un défilé de blindés et autres véhicules militaires avait lieu devant le siège des trois pouvoirs dans la capitale depuis le retour de la démocratie au Brésil en 1985.

Cette initiative a été interprétée comme une tentative de démonstration de force à l'heure où la popularité de l'ancien capitaine de l'Armée est en chute prononcée et où il est l'objet d'enquêtes notamment pour "diffusion de fausses informations" autour du système électoral. Pour Mauricio Santoro, professeur en sciences politiques de l'Université d'Etat de Rio (UERJ), Bolsonaro "utilise ce défilé de blindés pour intimider la Cour suprême et le Parlement". Il veut "montrer que les forces armées sont de son côté et soutiennent ses demandes, même les plus controversées, comme le retour au vote papier", explique-t-il à l'AFP. La participation des forces armées aux "manœuvres politiques" de Bolsonaro est inédite depuis la fin de la dictature, ajoute-t-il, "personne ne les avait utilisées de cette manière jusqu'ici".

Lors du défilé qui a duré une dizaine de minutes, une petite foule de ses partisans s'est réunie devant la présidence, certains exhibant des pancartes réclamant une intervention militaire pour "sauver le Brésil". "Bolsonaro gouverne très bien et les militaires font partie de son gouvernement", a déclaré à l'AFP Marissa Soares Gil, une retraitée. "Je ne ressens ni effroi, ni panique, au contraire je soutiens les forces armées, elles nous protègent contre les forces ennemies".

Mais ce défilé a lieu au moment où les députés doivent se pencher sur une proposition de révision constitutionnelle qui modifierait le système électoral, dont Bolsonaro assure qu'il a entraîné des fraudes et l'a privé d'une victoire dès le 1er tour en 2018. Bolsonaro, comme la Marine, ont nié tout lien entre le défilé, organisé par cette dernière, et ces débats.

De plus en plus discrédité en raison notamment de sa gestion de la pandémie de coronavirus, Bolsonaro veut se représenter en 2022 mais les sondages lui promettent une cinglante défaite face à son ennemi juré, l'ancien président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva. Le chef de l'Etat a contre-attaqué ces dernières semaines en multipliant les allégations de fraude électorale avec l'actuel système de vote électronique. Il s'en est pris aux juges de la Cour suprême et du TSE.

Sans réclamer la remise en cause du vote électronique en vigueur depuis 1996 au Brésil, il exige l'impression sur papier d'une preuve de vote afin de permettre un recomptage des bulletins en cas de contestation. C'est sur ce thème qu'il a mobilisé des milliers de manifestants ces derniers week-ends dans les rues de grandes villes brésiliennes. Tout en menaçant d'agir "en dehors de la Constitution".

Le gouvernement de Bolsonaro est aussi sur le grill d'une commission d'enquête sénatoriale (CPI) pour sa gestion de la tragique pandémie de coronavirus (564.000 morts), et est soupçonné de corruption. Le chef de la CPI, le sénateur Omar Aziz, a vu dans le défilé de mardi "une scène pathétique" qui "met en évidence la fragilité d'un président cerné par les enquêtes anticorruption".


EDIT (7 septembre 2021)  Ce 7 septembre, jour de la fête nationale, Bolsonaro a prévu de faire converger ses partisans vers Brasilia et le Tribunal fédéral suprême (STF). A l'instar de Trump, il lance déjà des accusations de fraudes et d'élection présidentielle truquée, mettant en doute la fiabilité du vote électronique. Le 21 août, il avait appelé à préparer un "contrecoup" contre le STF, mais aussi contre le Congrès national. Les forces de gauche craignent un coup d'éclat, un assaut comme celui contre le Capitole à Washington, le 6 janvier dernier.
C'est aussi le jour qu'il a choisi pour prendre un décret qui limite la modération concernant les fausses informations sur les réseaux sociaux (notamment sur le Covid), et s'oppose à la suppression des discours de haine racistes ou homophobes de ses partisans sur les plateformes.
La cote de popularité de Bolsonaro est au plus bas, à 24 % contre 37 % il y a un an. La présidentielle est prévue pour octobre 2022. Bolsonaro n'a pas l'intention de partir.>>
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15/08/2021 >> Le Sénat annule le décret signé par Bolsonaro qui modifie les règles de la modération de contenu sur les réseaux sociaux.
solsonaro harangue ses partisans et menace les institutions
par Valeria Pacheco et Pascale Trouillaud à Rio de Janeiro
AFP, TV5 Monde - 07 sep 2021
https://information.tv5monde.com/info/bresil-bolsonaro-harangue-ses-partisans-et-menace-les-institutions-423298


Acclamé par des dizaines de milliers de partisans à Brasilia, le président brésilien Jair Bolsonaro a adopté mardi un ton menaçant envers la Cour suprême, au risque d'aggraver la crise institutionnelle en cette journée de manifestations dans tout le pays. Le président d'extrême droite a voulu faire de la fête nationale du 7 septembre une démonstration de force en appelant "des foules gigantesques" à lui apporter leur soutien.

C'est à Brasilia, quadrillée par plus de 5.000 policiers, qu'a commencé cette fête de l'Indépendance atypique. Bolsonaro a survolé en hélicoptère l'immense esplanade des Ministères avant de haranguer la foule importante qui l'a accueilli aux cris de "Mito, Mito !" ("le Mythe", son surnom). "À partir d'aujourd'hui, une nouvelle histoire commence à être écrite au Brésil", a-t-il lancé sous les ovations.

Il a ensuite attaqué avec virulence un des juges de la Cour suprême, Alexandre de Moraes, qui a ordonné l'ouverture d'enquêtes contre lui et son entourage, notamment pour dissémination de fausses informations. "Soit le chef de ce pouvoir (la Cour suprême) remet (ce juge) à sa place, soit ce pouvoir va subir des conséquences dont personne ne veut", a-t-il déclaré. Des propos clairement menaçants, alors que Jair Bolsonaro avait déjà présenté cette journée de mobilisation comme un "ultimatum" contre la Cour suprême.

"Nous ne voulons pas de rupture. Nous ne voulons pas nous battre avec les autres pouvoirs. Mais nous ne pouvons pas permettre que quiconque mette en péril notre liberté", a-t-il ajouté, sous les applaudissements des manifestants ceints dans les drapeaux vert jaune du Brésil. Pratiquement aucun d'entre eux n'utilisait de masque, alors que, malgré l'avancée de la vaccination, la pandémie est loin d'être contrôlée dans un pays où plus de 580.000 personnes sont mortes du Covid-19.

De nombreux manifestants portaient des pancartes exigeant la destitution des juges de la Cour suprême. L'une d'elle réclamait: "intervention militaire avec Bolsonaro à Brasilia". "Je suis venu pour défendre notre liberté et libérer le pays de cette bande immonde de politiciens corrompus de la Cour suprême qui veulent nous la retirer", a déclaré à l'AFP à Brasilia Marcio Souza, un agent de sécurité portant un t-shirt arborant le visage de Jair Bolsonaro.

"Ce qui est le plus inquiétant, c'est ces discours du président contre des institutions démocratiques, notamment la Cour suprême, du jamais vu depuis le retour de la démocratie" après la dictature militaire de 1964-1985", déplore le politologue Mauricio Santoro. "C'est un peu comme en Hongrie, en Pologne, au Venezuela ou aux Etats-Unis à l'époque de Trump: un discours autoritaire qui affaiblit la démocratie de l'intérieur", conclut-il.

La journée était à haut risque alors que l'opposition manifestait elle aussi. Elle réclame le départ d'un président accusé de menacer la démocratie, d'avoir géré pitoyablement la crise du Covid, de même que l'économie avec un chômage quasi record et une inflation préoccupante. Mais les cortèges de bolsonaristes et d'anti-Bolsonaro, faiblement mobilisés en début d'après-midi, ne devaient pas se croiser pour écarter les risques de violences. En tout cas théoriquement.

En début d'après-midi, les manifestants commençaient à se disperser à Brasilia et Rio de Janeiro, où ils étaient rassemblés sur la plage de Copacabana, sans qu'aucun incident grave n'ait été déploré. Mais dans la nuit de lundi à mardi, des centaines de bolsonaristes, à bord de camions, ont brisé des barrières et pénétré dans l'avenue menant au Congrès et à la Cour suprême, qu'ils menaçaient d'"envahir".

La mobilisation à Brasilia a été importante, mais certains commentateurs politiques disaient néanmoins à la mi-journée qu'ils s'attendaient à voir une foule plus nombreuse. Et surtout "au vu des sommes investies pour mobiliser les partisans du président", avec notamment une grande campagne sur les réseaux sociaux, a estimé Mauricio Santoro. Mais c'est à Sao Paulo, dans l'après-midi, que le président espérait marquer les esprits: il a annoncé compter sur "2 millions" de sympathisants sur l'Avenue Paulista, où il devrait prononcer un discours plus enflammé qu'à Brasilia.`

Avec 51 % des Brésiliens défavorables à sa gestion, Bolsonaro n'a jamais été aussi impopulaire depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2019. Il est largement distancé par l'ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva (Lula) dans les intentions de vote pour l'élection d'octobre 2022, et même parfois battu dès le 1er tour.

15/08/2021 >> Le Sénat annule le décret signé par Bolsonaro qui modifie les règles de la modération de contenu sur les réseaux sociaux.

10/11/2021 >> Bolsonaro va rejoindre le Parti libéral pour tenter d'être réélu en 2022. Le Parti libéral est un des partis du "Centrao", groupe informel de formations qui monnaient leur soutien en échange de postes importants pour leurs membres ou de subventions pour les fiefs électoraux de leurs élus.