Le Monde d'Antigone

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Dernière mise à jour : 26.12.2025
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A propos de "2034: Un récit de la prochaine guerre mondiale"

Publié le 28/04/2021 à 00:08 par monde-antigone

 
James Stavridis: "Je suis très inquiet que les Etats-Unis et la Chine se lancent dans une guerre"
Entretien avec James Stavridis, amiral, commandant des forces de l’OTAN de 2009 à 2013
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
RTS - 27 avr 2021
https://www.rts.ch/info/monde/12152089-james-stavridis-je-suis-tres-inquiet-que-les-etatsunis-et-la-chine-se-lancent-dans-une-guerre.html


Dans son livre "2034: un récit de la prochaine guerre mondiale" ("2034: a novel of the next world war"), l'amiral américain James Stavridis imagine un conflit entre la Chine et les Etats-Unis autour de Taïwan. Dans une interview accordée à la RTS, l'officier dans l'US Navy et ancien commandant des forces de l'OTAN en Europe estime qu'un tel conflit est "très probable", même avant 2034.


Le scénario de votre livre est-il réaliste ?
Malheureusement, ce scénario est très probable. Les désaccords entre les Etats-Unis et la Chine sont nombreux: sur la souveraineté en mer de Chine du Sud que Pékin considère comme ses eaux territoriales; sur la façon dont la Chine traite les Ouïghours, les musulmans dans la province du Xinjiang; sur le traitement de Hong Kong; sur la pression qu'elle exerce sur Taïwan, ainsi que sur l'espionnage qu'elle pratique à des niveaux industriels et sur ses cyberactivités menées au détriment des Etats-Unis.
Il s'agit donc d'un échantillon très étoffé de désaccords. Plus la Chine montera en puissance, plus les Etats-Unis vont adopter une position davantage conflictuelle. Je suis très inquiet que, d'ici dix à quinze ans, ces deux pays se lancent dans une guerre sans forcément le vouloir. J'espère qu'avec ce livre, je fournis un récit éclairant qui nous encouragera tous à éviter une telle issue.


Pensez-vous que l'Occident sous-estime la Chine ?
Oui. Dans les 15 prochaines années, la Chine disposera d'une capacité militaire bien plus importante qu'aujourd'hui, notamment en matière de cyberfurtivité, de nano- et microélectronique, ainsi que de missiles de croisière hypersoniques. Tout cela ressemble à de la science-fiction, mais c'est réel. Les Etats-Unis doivent comprendre qu'ils ne seront plus la seule superpuissance dans 10 à 15 ans.


Dans votre récit, vous présentez les Etats-Unis comme un pays plutôt faible qui se laisse, en tout cas, surprendre par les capacités militaires et techniques de la Chine. Ce qui se jouera en 2034 se prépare maintenant. Est-ce que les Etats-Unis ne se préparent pas suffisamment ?
Je crains que les Etats-Unis ne suivent pas le rythme de la Chine dans trois domaines critiques. Le premier est le cyberespace, à la fois offensif et défensif. Je pense que la Chine progresse très rapidement là-dedans et j'y inclus l'intelligence artificielle.
Un deuxième domaine de préoccupation est la taille de la flotte. Les Etats-Unis, bien sûr, sont une puissance mondiale qui exploite des navires de guerre dans le monde entier. Mais, aujourd'hui, la Chine possède déjà plus de navires de guerre que les Etats-Unis.
Le troisième domaine, qui me préoccupe particulièrement, est la capacité croissante de ce que l'on appelle les missiles hypersoniques. Il s'agit de missiles à très haute vitesse qui atteignent 5 à 7 fois la vitesse du son. Ce sont à mon avis les trois domaines-clés dans lesquels les Etats-Unis doivent maintenir au moins l'égalité, sinon un avantage, sur la Chine.


Vos anciens collègues, les stratèges militaires et les membres du gouvernement sont maintenant aux commandes. Ils ne parviennent pas à anticiper cela...
Le commentaire le plus fréquent que j'ai reçu à propos de ce livre est le suivant: "Amiral, vous avez écrit un livre brillant, mais vous vous êtes trompé sur un point important: la date". Nombreux sont mes collègues qui pensent que tout cela arrivera bien avant 2034. Et si vous regardez les gros titres de ces trois ou quatre derniers mois, vous voyez que ces tensions sont croissantes et que cette affirmation est grandissante de la part de la Chine.


Votre livre est une prédiction, une certitude, une conviction personnelle ou un avertissement ?
Il s'agit très clairement d'un avertissement. Ce sera une prédiction seulement si nous le permettons. Nous avons encore le temps de réduire les tensions avec la Chine. Nous pouvons trouver des domaines de coopération.
L'un d'eux pourrait être, par exemple, le climat. Un autre pourrait être de nature économique. Un autre encore pourrait être la préparation à la prochaine pandémie. Nous devons chercher des domaines de coopération avec la Chine. Nous devons maintenir l'égalité militaire, car c'est ce qui dissuadera toute action. En fin de compte, personne ne veut attaquer un adversaire s'il pense qu'il va perdre le conflit.
Enfin, nous avons besoin d'un engagement diplomatique. Et c'est là que les Etats-Unis se tourneront vers leurs alliés, partenaires et amis dans le monde, vers l'OTAN. Il existe donc des outils diplomatiques, des outils militaires, des outils économiques et des domaines potentiels de coopération. Si nous les mettons en oeuvre, je pense que nous pouvons éviter l'histoire que je raconte en 2034.


L'un de vos personnages le dit: "Les Etats-Unis et la Chine sont deux nations qui ont un immense intérêt à préserver l'ordre du monde". Mais est-ce que la Chine veut vraiment préserver l'ordre existant ?
Les gens me disent parfois que je me suis trompé sur le fait que deux pays dont les économies sont si imbriquées ne vont jamais se mettre en guerre dans le monde réel.
Et pourtant, en 1914, une grande puissance montante, l'Allemagne, a défié une puissance établie, le Royaume-Uni. Ces économies étaient totalement entrelacées et interconnectées. Les familles royales étaient unies par le sang et le mariage et pourtant toute l'Europe, à l'exception de la Suisse, s'est retrouvée dans une terrible guerre mondiale, qui a duré dans les faits de 1914 à 1945.
Donc, dire que les Etats-Unis et la Chine ne finiront pas en guerre parce que leurs économies sont entrelacées et parce qu'ils ont tous deux un intérêt à maintenir l'ordre mondial existant... L'histoire n'est pas encourageante sur ce point.


La prochaine guerre mondiale, dont on espère évidemment qu'elle n'aura pas lieu, aura-t-elle une composante nucléaire ?
C'est ce qui se passe dans mon livre. Et je pense que si nous nous retrouvons dans une guerre mondiale, les chances qu'une ou les deux nations utilisent une arme nucléaire tactique est tout à fait possible.
Et là, l'erreur de calcul des nations est qu'elles pensent pouvoir contrôler l'échelle de l'escalade. Une fois que vous commencez à tirer des missiles et des torpilles, il n'y a, malheureusement, qu'un pas relativement petit à franchir pour utiliser une arme nucléaire tactique. Cela devrait nous préoccuper très, très profondément.


Franchement, la période que nous traversons est déjà très inquiétante. Est-ce qu'on avait vraiment besoin d'un livre comme le vôtre ?
Mon meilleur argument est que cela vaut la peine si nous pouvons réaliser à quoi ressemblera un futur que nous ne voulons pas du tout. Le livre nous permet de faire de "l'ingénierie invers", de déconstruire ce futur que nous ne voulons pas, de remonter vers le début et d'utiliser les outils pour éviter le type de résultat que je décris dans "2034".


La Chine est très attentive à ce qui se dit sur elle. Est-ce que vous avez eu des retours de ce pays sur votre livre ?
Je n'ai reçu aucun retour direct du gouvernement chinois. Par contre, j'ai reçu quelques commentaires de la part d'un certain nombre de collègues chinois de haut rang, des personnes que je connais depuis que je suis doyen de la Fletcher School de droit et de diplomatie, et d'autres collègues militaires.
La teneur générale des commentaires reçus est la même des deux côtés. Tout le monde dit que nous devons éviter cela et veut avoir une conversation sur ce que nous devrions faire maintenant pour éviter les événements de '2034'. C'est l'aspect le plus encourageant de la publication de ce roman.


Ce qui est clair dans votre livre, c'est qu'il n'y aurait pas de vainqueur après un tel conflit...
Il n'y a pas de vainqueur. Je dis souvent au public que ce n'est pas un livre avec des gentils et des méchants. Le méchant, c'est la guerre. Raison de plus pour réfléchir de manière cohérente, d'un point de vue politique, à la façon dont nous pouvons éviter le résultat de 2034.


James Stavridis: « L’enjeu taïwanais crée un risque réel de conflit sino-américain »
Entretien avec l’amiral James Stavridis
Propos recueillis par Adrien Jaulmes
Le Figaro - 28 mar 2021
https://www.lefigaro.fr/international/james-stavridis-l-enjeu-taiwanais-cree-un-risque-reel-de-conflit-sino-americain-20210328


Le risque d’une guerre entre les États-Unis et la Chine à propos de Taïwan est-il réel ?
Oui, il existe un risque significatif de conflit dans la région indo-pacifique, et Taïwan est l’un des principaux points où il peut éclater. Le commandant de l’US Navy sur ce théâtre a rappelé ces derniers jours qu’il était extrêmement préoccupé par la possibilité d’un affrontement armé dans les cinq années à venir.
Les événements qui se sont déroulés à Hongkong l’année dernière sont un très mauvais indicateur des intentions du gouvernement chinois en ce qui concerne Taïwan. Les habitants de l’île ont, de façon correcte, estimé que la fin du statut administratif spécial de Hongkong les concernait directement. La Chine a rompu les engagements qu’elle avait pris en 1997, lors de la rétrocession du territoire par les Britanniques, de maintenir un statut autonome à Hongkong conformément au principe "un pays, deux systèmes". Pékin a décidé de mettre fin unilatéralement à ce statut bien avant 2047, le terme de la période prévue par l’accord.
Taïwan a observé ces événements avec beaucoup d’attention. Cela n’a pas renforcé la confiance des Taïwanais dans la parole de Pékin. La présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, est une femme résolue, de caractère, qui prend au sérieux les menaces chinoises d’une réunification par la force. Elle considère qu’une telle réunification de l’île avec la Chine continentale ne peut intervenir que si la décision est prise par le peuple de Taïwan. Et les États-Unis souhaitent aussi que le peuple de Taïwan puisse prendre cette décision librement. C’est pourquoi nous devons contribuer à sa défense.


Que peuvent faire les États-Unis pour assurer cette défense ?
Je pense qu’il existe aujourd’hui un consensus bipartisan aux États-Unis sur la nécessité d’avoir une politique ferme et cohérente face à la Chine. Il est nécessaire d’adopter une position de dissuasion militaire ferme, qui passe par le soutien à Taïwan. De façon concrète, cela signifie fournir aux Taïwanais des moyens de défense, notamment des systèmes de défense antimissiles, des moyens de défense cybernétique, du renseignement, et de pratiquer des entraînements conjoints, en particulier des forces spéciales, ainsi que des visites régulières à haut niveau. Il existe à Washington un consensus autour d’une série de mesures destinées à dissuader la Chine de se lancer dans une aventure militaire contre Taïwan.
La Chine est patiente, et joue un jeu à long terme. Mais Pékin sait aussi que Taïwan se défendra et que les États-Unis pourraient utiliser leurs capacités militaires pour rendre une opération militaire chinoise contre Taïwan très coûteuse. Pékin a considérablement accru ses capacités, notamment dans le domaine naval, mais aussi en matière de missiles supersoniques, de guerre cybernétique, et en fortifiant des îles en mer de Chine: la Chine se prépare clairement pour une bataille possible. Mais si elle se produisait, ce serait une bataille très difficile pour les deux côtés. Les États-Unis disposent d’une marine puissante, avec des porte-avions nucléaires et des sous-marins d’attaque, et de nombreuses bases dans la région. Un affrontement serait très dur pour les deux camps. Les conséquences seraient aussi très graves pour le monde entier. La meilleure façon de prévenir que la situation en arrive là est de créer un équilibre militaire qui dissuade Pékin de se lancer dans une aventure militaire. J’espère que la diplomatie pourra prévaloir et que ne s’enclenchera pas par accident un engrenage qui pourrait conduire au pire.


Les exemples historiques de rivalité navale entre grandes puissances ne sont-ils pas inquiétants ?
La course aux armements navale est évidemment préoccupante. Au début du XXe siècle, la rivalité entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne impériale pour la construction de leur flotte de guerre a été l’une des causes des tensions qui ont conduit à la Première Guerre mondiale. Le parallèle avec la situation actuelle est valide, et dangereux. La marine chinoise a récemment dépassé la marine américaine en nombre de bâtiments. Il ne faut cependant pas surestimer les capacités navales de la Chine, et les chiffres peuvent être trompeurs. Les États-Unis restent une puissance planétaire et cela ne va pas changer. Un programme de construction navale est en cours pour augmenter le nombre de bâtiments de guerre dans l’US Navy, en ajoutant notamment à la flotte des navires automatiques. Ces nouveaux bâtiments, de surface et sous-marins, opéreront conjointement avec les navires conventionnels dans un système intégré, impliquant des satellites et des systèmes cybernétiques.
Mais la situation est telle que personne n’est à l’abri d’un incident qui déclencherait une escalade militaire incontrôlée. Il suffit parfois d’une erreur de calcul, ou d’un événement fortuit qui dégénère pour entraîner un conflit. Je viens de publier un ouvrage de politique-fiction imaginant un incident naval en mer de Chine entre des destroyers américains et un navire chinois, qui débouche sur un affrontement armé. Il faut que nous évitions au maximum toute erreur de calcul.
La rhétorique nationaliste du gouvernement chinois envoie aussi des signaux inquiétants. Un autre parallèle historique à garder à l’esprit est celui du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique: le Japon impérial, qui se voyait à l’époque acculé par les sanctions économiques américaines, avait considéré qu’il existait une occasion de remporter une guerre courte et rapide contre les États-Unis avant que leur domination navale ne devienne trop importante. On a vu comment cela s’est terminé.
Il faut absolument que les États-Unis prennent en compte les perceptions de la Chine. Nous devons les comprendre, et communiquer nos intentions pour éviter tout malentendu.


Quel rôle peuvent jouer les Européens ou l’OTAN dans cette équation ?
L’un des grands avantages dont bénéficient les États-Unis est leur système d’alliance. Les États-Unis ont de nombreux alliés dans la région avec lesquels ils coopèrent étroitement. Mais les Européens et l’OTAN ont aussi un rôle à jouer. Le secrétaire général de l’OTAN a indiqué qu’il l’envisageait et plusieurs pays européens, tels que la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, ont indiqué leur volonté de participer à des patrouilles navales. La Chine n’est pas propriétaire de la mer de Chine et nous ne pouvons pas laisser Pékin se comporter comme si c’était le cas.


Un dialogue est-il encore possible avec la Chine ? La première rencontre entre les représentants de la nouvelle Administration américaine et les diplomates chinois a plutôt tourné au dialogue de sourds ?
Tout n’est pas forcément un sujet de confrontation avec la Chine. Les premiers échanges entre l’Administration Biden et les Chinois ont commencé sur le ton de la confrontation, mais les discussions à Anchorage se sont poursuivies et personne n’a quitté la réunion. Il existe un certain nombre de dossiers sur lesquelles les États-Unis et la Chine peuvent coopérer. Je pense notamment au changement climatique ou à la Corée du Nord. La pandémie de coronavirus a aussi été un révélateur de la nécessité d’une coopération accrue dans le domaine sanitaire. Et il existe des gens intelligents et raisonnables dans les deux pays, qui savent l’intérêt qu’il y a à faire baisser la tension. Mais il ne faut pas s’aveugler: les tendances actuelles sont dangereuses et risquent de l’être encore plus dans un futur proche. Et la question de Taïwan est cruciale.


La phrase du jour: « La façon dont nous combattrons dans la prochaine grande guerre sera très différente de la façon dont nous avons combattu dans les dernières » (Lloyd Austin, secrétaire américain à la Défense, lors d'un voyage au Commandement américain du Pacifique basé à Hawaï, 30/04/2021). Ses remarques intervenaient la veille du retrait d'Afghanistan, dans le but de redéfinir les priorités du Pentagone.