Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
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trouve toujours son origine dans une imposture.
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Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour :
14.09.2025
8565 articles
Covid19: Nous avons nous-mêmes déchaîné cette pandémie
par David Quammen
Le Partage - 18 mar 2020
https://www.partage-le.com/2020/03/18/nous-avons-nous-memes-dechaine-cette-pandemie-de-coronavirus-par-david-quammen/
Le virus a peut-être vu le jour dans une cave, avec une chauve-souris, mais ce sont les activités humaines [et, plus précisément, les activités de la civilisation industrielle, NdT] qui l’ont déchaîné.
Le dernier virus en date qui attire l’attention du monde entier, a provoqué le confinement de 56 millions de personnes en Chine, a perturbé des plans de voyage dans le monde entier et a déclenché une course à l’approvisionnement en masques médicaux de Wuhan, dans la province de Hubei, à Bryan, au Texas, est connu provisoirement sous le nom de « nCoV-2019 ». Un surnom maladroit pour une menace effrayante.
Le nom, choisi par l’équipe de scientifiques chinois qui a isolé et identifié le virus, est l’abréviation de « novel coronavirus of 2019 ». Il reflète le fait que le virus a été reconnu pour la première fois comme ayant infecté des humains à la fin de l’année dernière — dans un marché de fruits de mer et d’animaux vivants à Wuhan — et qu’il appartient à la famille des coronavirus, un groupe notoire. L’épidémie de SRAS de 2002–2003, qui a infecté 8 098 personnes dans le monde entier et en a tué 774, a été causée par un coronavirus, tout comme l’épidémie de MERS qui a débuté dans la péninsule arabique en 2012 et qui persiste encore (2.494 personnes infectées et 858 décès en novembre).
Malgré ce nouveau nom, et ainsi que les personnes qui l’ont baptisé le savent bien, le nCoV-2019 n’est pas aussi nouveau qu’on pourrait le croire.
Une chose qui lui ressemble beaucoup a été découverte il y a plusieurs années dans une grotte du Yunnan, une province située à environ mille miles au sud-ouest de Wuhan, par une équipe de chercheurs attentifs, qui ont consigné son existence avec inquiétude. La propagation rapide du nCoV-2019 — plus de 4.500 cas confirmés, dont au moins 106 décès, ce mardi matin, et les chiffres auront augmenté au moment où vous lirez ceci — est étonnante mais pas imprévisible. Que le virus soit apparu chez un animal non humain, probablement une chauve-souris, et peut-être après être passé par une autre créature, peut sembler effrayant, mais cela n’a rien d’étonnant pour les scientifiques qui étudient ces choses.
Parmi lesquels on retrouve Zheng-Li Shi, de l’Institut de virologie de Wuhan, le principal auteur de l’ébauche d’étude (pas encore examinée par des pairs et jusqu’à présent disponible uniquement en version préliminaire) ayant attribué au nCoV-2019 son identité et son nom. Ce sont Mme Shi et ses collaborateurs qui, en 2005, ont montré que l’agent pathogène du SRAS était un virus issu des chauves-souris qui s’était répandu chez les humains. Depuis, Mme Shi et ses collègues ont étudié les coronavirus chez les chauves-souris, soulignant que certains d’entre eux sont particulièrement adaptés pour provoquer des pandémies humaines.
Dans un article publié en 2017, ils ont expliqué comment, après presque 5 ans de collecte d’échantillons de selles de chauves-souris dans la grotte du Yunnan, ils avaient trouvé des coronavirus chez plusieurs individus de quatre espèces différentes de chauves-souris, dont une appelée » chauve-souris intermédiaire en fer à cheval », en raison du lambeau de peau semi-ovale qui dépasse comme une soucoupe autour de ses narines. Le génome de ce virus, a annoncé Mme Shi et ses collègues, est identique à 96 % à celui du virus de Wuhan récemment découvert chez l’homme. Et ces deux virus constituent une paire distincte de tous les autres coronavirus connus, y compris celui qui cause le SRAS. En ce sens, le nCoV-2019 est nouveau — et peut-être même plus dangereux pour l’homme que les autres coronavirus.
« Peut-être », parce que jusqu’à présent, non seulement nous ne savons pas à quel point il dangereux, mais nous ne pouvons pas le savoir. […] Les coronavirus […] mutent souvent en se reproduisant et peuvent évoluer aussi vite qu’une monstrueuse goule mythique.
Peter Daszak, président EcoHealth Alliance, un organisme de recherche privé basé à New York qui se concentre sur les liens entre la santé humaine et la santé des animaux sauvages, est l’un des collègues de longue date de Mme Shi. « Cela fait 15 ans que nous luttons contre ces virus », m’a-t-il dit vendredi, avec un sentiment de frustration tranquille. « Depuis le SRAS. » Peter est le co-auteur de l’étude de 2005 sur les chauves-souris et le SRAS, et de l’article de 2017 sur les multiples coronavirus semblables au SRAS dans la grotte du Yunnan.
M. Daszak m’a confié que, lors de cette deuxième étude, l’équipe de terrain a prélevé des échantillons de sang sur 2.000 personnes du Yunnan, dont environ 400 vivaient près de la grotte. Environ 3 % d’entre eux étaient porteurs d’anticorps contre les coronavirus liés au SRAS.
« Nous ne savons pas s’ils sont tombés malades. Nous ne savons pas s’ils ont été exposés quand ils étaient enfants ou adultes », m’a-t-il expliqué. « Mais ce que cela vous dit, c’est que ces virus font le saut, de façon répétée, des chauves-souris aux humains. » En d’autres termes, cette urgence de Wuhan n’est pas un événement nouveau. Elle s’inscrit dans une contingence de phénomènes qui s’étendent dans le passé, et elle se reproduira dans l’avenir, tant que les circonstances actuelles persistent.
Donc, quand vous aurez fini de vous inquiéter de cette pandémie, préoccupez-vous de la prochaine. Ou faites quelque chose pour remédier aux circonstances qui l’ont déchaînée.
Celles-ci comprennent un dangereux commerce d’animaux sauvages pour la nourriture, avec des chaînes d’approvisionnement s’étendant à travers l’Asie, l’Afrique et, dans une moindre mesure, les États-Unis et ailleurs. Ce commerce a maintenant été interdit en Chine, à titre temporaire; mais il a également été interdit pendant le SRAS, puis a pu reprendre — avec des chauves-souris, des civettes, des porcs-épics, des tortues, des rats de bambou, de nombreuses sortes d’oiseaux et d’autres animaux entassés sur des marchés comme celui de Wuhan.
Elles incluent également 7,6 milliards d’humains affamés: certains d’entre eux sont pauvres et en manque de protéines; d’autres sont riches et gaspilleurs et ont le pouvoir de voyager partout en avion. Ces facteurs sont sans précédent sur la planète Terre: nous savons, grâce aux fossiles, qu’aucun animal à gros corps n’a jamais été aussi abondant que les humains le sont aujourd’hui, et encore moins aussi efficace pour s’approprier les ressources. Et l’une des conséquences de cette abondance, de cette puissance et des perturbations écologiques qui en découlent est l’augmentation des échanges viraux — d’abord d’animal à humain, puis d’humain à humain, parfois à l’échelle d’une pandémie.
Nous envahissons les forêts tropicales et autres paysages sauvages, qui abritent tant d’espèces d’animaux et de plantes — et au sein desquelles évoluent tant de virus inconnus. Nous coupons les arbres; nous tuons les animaux ou les mettons en cage et les envoyons sur les marchés. Nous perturbons les écosystèmes et nous débarrassons les virus de leurs hôtes naturels. Lorsque cela se produit, ils ont besoin d’un nouvel hôte. Or, c’est sur nous qu’ils tombent.
La liste de ces virus émergeant chez l’homme sonne comme une sinistre laïus: Machupo, Bolivie, 1961; Marburg, Allemagne, 1967; Ebola, Zaïre et Soudan, 1976; Sida, reconnu à New York et en Californie, 1981; une forme de Hanta (maintenant connu sous le nom de Sin Nombre), sud-ouest des États-Unis, 1993; Hendra, Australie, 1994; grippe aviaire, Hong Kong, 1997; Nipah, Malaisie, 1998; West Nile, New York, 1999; SRAS, Chine, 2002–2003; MERS, Arabie Saoudite, 2012; Ebola à nouveau, Afrique de l’Ouest, 2014. Et ce n’est qu’une petite sélection. Désormais, nous avons nCoV-2019, le dernier en date.
Ces circonstances comprennent également des bureaucrates qui mentent et dissimulent les mauvaises nouvelles, des élus qui se vantent auprès de la foule de couper les forêts pour créer des emplois dans l’industrie du bois et l’agriculture, ou de réduire les budgets de la santé publique et de la recherche. La distance entre Wuhan ou l’Amazonie et Paris, Toronto ou Washington est très faible pour certains virus, mesurée en heures, étant donné la facilité avec laquelle ils peuvent se déplacer dans les avions. Et si vous pensez que le financement de la préparation à une pandémie est coûteux, attendez de voir le coût final de la pandémie liée au virus nCoV-2019.
Heureusement, ces circonstances comprennent également des scientifiques brillants et dévoués ainsi que des médecins spécialisés dans la lutte contre les épidémies — comme ceux de l’Institut de virologie de Wuhan, de l’Alliance EcoHealth, des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (C.D.C.), du C.D.C. chinois et de nombreuses autres institutions. Ce sont ces personnes qui se rendent dans les grottes, les marécages et les laboratoires de confinement de haute sécurité pour chauves-souris, souvent au péril de leur vie, pour obtenir des excréments et du sang de chauves-souris et d’autres éléments précieux pour étudier les séquences génomiques et répondre à des questions clés.
Tandis que le nombre de cas de nCoV-2019 ne cesse d’augmenter, et que le nombre de décès suit la même tendance, une mesure, le taux de létalité, est restée assez stable jusqu’à présent: environ 3 % ou moins. À la date de mardi, moins de trois cas confirmés sur 100 étaient morts. Nous pouvons nous estimer relativement chanceux, ce taux est plus élevé que celui de la plupart des souches de grippe, mais meilleure que celui du SRAS.
Cette chance pourrait ne pas durer. Personne ne sait comment le virus va évoluer. Dans quatre jours, le nombre de cas pourrait se chiffrer en dizaines de milliers. Dans six mois, la pneumonie de Wuhan pourrait n’être qu’un mauvais souvenir. Ou pas.
Nous sommes confrontés à deux défis mortels, sur le court terme et le long terme. Sur le court terme: nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, avec intelligence, calme et peu importe les coûts économiques, pour contenir et éteindre cette épidémie de nCoV-2019 avant qu’elle ne devienne, comme elle pourrait le devenir, une pandémie mondiale dévastatrice. Sur le long terme: nous devons nous rappeler, lorsque la pression retombera, que le nCoV-2019 n’était pas un événement nouveau ou un malheur qui nous est arrivé. Cette pandémie était — est — une conséquence d’un ensemble de choix que nous, les humains, faisons.
Le texte qui suit est une traduction d’un article de Katarina Zimmer initialement publié, en anglais, sur le site du magazine National Geographic, le 22 novembre 2019. Il est à mettre en lien avec cet article: "De l’avènement de la civilisation au coronavirus de Wuhan: trajectoire d’un désastre logique". L’un et l’autre illustrent bien cet aphorisme apocryphe selon lequel « la civilisation n’est qu’une course sans espoir visant à trouver des remèdes aux maux qu’elle génère ».
https://www.nationalgeographic.com/science/2019/11/deforestation-leading-to-more-infectious-diseases-in-humans/
La déforestation génère toujours plus de maladies infectieuses chez les humains
[Deforestation is leading to more infectious diseases in humans]
par Katarina Zimmer
Le Partage - 07 mar 2020
https://www.partage-le.com/2020/03/07/la-deforestation-et-la-degradation-des-milieux-naturels-en-general-generent-davantage-de-maladies-infectieuses-chez-les-humains-par-katarina-zimmer/
Des scientifiques craignent que la prochaine pandémie mortelle soit une conséquence de la déforestation que l’on observe tout autour du globe.
En 1997, des nuages de fumée planaient au-dessus des forêts tropicales d’Indonésie, où une zone de la taille de la Pennsylvanie, environ, avait été brûlée pour faire place à l’agriculture, et où les incendies avaient été exacerbés par la sécheresse. Étouffés par la brume, les arbres n’ont pas pu produire de fruits, laissant les chauves-souris frugivores sans autre choix que de voler ailleurs à la recherche de nourriture, emportant avec elles une maladie mortelle.
Peu de temps après que les chauves-souris se soient installées sur les arbres des vergers malaisiens, les porcs autour d’elles ont commencé à tomber malades — probablement après avoir mangé les fruits tombés que les chauves-souris avaient grignotés — tout comme les éleveurs de porcs locaux. En 1999, 265 personnes ont développé une grave inflammation du cerveau et 105 en sont mortes. C’était la première apparition connue du virus Nipah chez l’homme — virus qui, depuis lors, a provoqué une série d’épidémies récurrentes dans toute l’Asie du Sud-Est.
Il s’agit d’une des nombreuses maladies infectieuses auparavant circonscrites à la faune sauvage et qui se sont propagées à l’homme dans une région soumise à un déboisement rapide. Au cours des deux dernières décennies, de nombreuses preuves scientifiques ont été produites qui suggèrent que la déforestation, en déclenchant une cascade complexe d’événements, crée les conditions pour qu’une série d’agents pathogènes mortels — tels que les virus Nipah et Lassa, et les parasites qui causent le paludisme et la maladie de Lyme — infectent l’être humain.
Tandis qu’un incendie global se poursuit aujourd’hui dans les forêts tropicales de l’Amazonie et de certaines régions d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, des experts ont exprimé leur inquiétude quant à la santé des personnes vivant aux frontières de la déforestation. Ils craignent également que la prochaine pandémie grave ne se déclare dans les zones déboisées de notre planète.
« Il est assez bien établi que la déforestation peut être un facteur important de transmission de maladies infectieuses », affirme Andy MacDonald, écologiste spécialisé dans les maladies à l’Institut de recherche sur la terre de l’Université de Californie à Santa Barbara. « C’est mathématique: plus nous dégradons et détruisons les habitats forestiers, plus il est probable que nous nous retrouvions dans ces situations où des épidémies de maladies infectieuses se produisent. »
Un lien direct
Le paludisme — qui tue plus d’un million de personnes chaque année en raison de l’infection par des parasites Plasmodium transmis par les moustiques — est depuis longtemps soupçonné d’aller de pair avec la déforestation. Au Brésil, si des efforts de lutte ont considérablement réduit la transmission du paludisme dans le passé — ramenant le nombre de nouveaux cas déclarés, par année, de 6 millions dans les années 1940 à seulement 50.000 dans les années 1960 —, le nombre de cas n’a cessé d’augmenter depuis, parallèlement au défrichement rapide des forêts et à l’expansion de l’agriculture. Au début du siècle, il y avait plus de 600.000 cas par an dans le bassin amazonien.
Des travaux réalisés à la fin des années 1990 par Amy Vittor, épidémiologiste à l’Institut des pathogènes émergents de l’Université de Floride, et d’autres, ont suggéré une raison à cela. Le défrichement de parcelles de forêt semble créer un habitat idéal, en bordure de forêt, pour la reproduction du moustique Anopheles darlingi, le plus important vecteur du paludisme en Amazonie. Au cours d’enquêtes minutieuses en Amazonie péruvienne, elle a trouvé un nombre plus élevé de larves dans des mares chaudes et partiellement ombragées, du genre de celles qui se forment le long des routes coupées dans les forêts, et des flaques derrière où l’eau n’est plus absorbée par les arbres. « C’était les endroits où Anopheles darlingi proliférait », se souvient Vittor.
Au travers d’une analyse complexe de données satellitaires et sanitaires publiée récemment dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (« Actes (ou comptes-rendus) de l’Académie américaine des sciences »), MacDonald et Erin Mordecai, de l’université de Stanford, ont fait état d’un impact significatif de la déforestation dans le bassin amazonien sur la transmission du paludisme, conformément à certaines recherches antérieures.
Entre 2003 et 2015, en moyenne, ils ont montré qu’une augmentation annuelle de 10 % du déboisement entraînait une hausse de 3 % des cas de paludisme. En un an d’étude, par exemple, 1 600 km² de forêt défrichée — l’équivalent de près de 300.000 terrains de football — ont été liés à 10.000 cas supplémentaires de paludisme. Cet effet a été plus prononcé à l’intérieur de la forêt, où certaines parcelles de forêt sont encore intactes, fournissant l’habitat humide de lisière que les moustiques aiment tant.
Étant donné que les incendies en Amazonie se poursuivent, ces résultats ne sont pas de bon augure. Les dernières données, publiées cette semaine, révèlent qu’une zone 12 fois plus grande que la ville de New York a d’ores et déjà été détruite cette année. « Je suis préoccupé par ce qui va se passer avec la transmission après la fin des incendies », déclare MacDonald.
Il est difficile de généraliser, en ce qui concerne l’écologie des moustiques, qui varie selon les espèces et les régions, souligne Vittor. En Afrique, des études ont montré qu’il y avait peu de liens entre le paludisme et la déforestation, peut-être parce que les espèces de moustiques de ce continent aiment se reproduire dans des plans d’eau ensoleillés et préfèrent les terres agricoles ouvertes aux zones forestières ombragées. Mais dans l’État du Sabah, dans la partie malaisienne de l’île de Bornéo, les épidémies de paludisme se produisent également en tandem avec les défrichements de forêts pour l’huile de palme et d’autres plantations.
La fièvre de la jungle
Les moustiques ne sont pas les seuls animaux qui peuvent transmettre des fléaux mortels aux humains. En réalité, 60 % des nouvelles maladies infectieuses qui émergent chez l’homme — dont le VIH, le virus Ebola et le virus Nipah, qui proviennent tous d’animaux vivant dans les forêts — sont transmises par tout un éventail d’autres animaux, dont la grande majorité sont des animaux sauvages.
Dans une étude réalisée en 2015, des chercheurs de l’Ecohealth Alliance, une organisation à but non lucratif basée à New York qui étudie les maladies infectieuses à l’échelle mondiale, et d’autres chercheurs, ont découvert que « près d’une épidémie sur trois de maladies nouvelles et émergentes est liée à un changement d’utilisation des terres comme la déforestation », ainsi que l’a tweeté le président de l’organisation, Peter Daszak, au début de l’année.
De nombreux virus existent de manière inoffensive, avec leurs animaux hôtes, dans les forêts, ayant coévolué avec eux. Mais les humains peuvent devenir des hôtes involontaires d’agents pathogènes lorsqu’ils s’aventurent dans les forêts ou lorsqu’ils altèrent les milieux forestiers. « Nous sommes en train de complètement changer la structure de la forêt », note Carlos Zambrana-Torrelio, un écologiste spécialiste des maladies à l’Ecohealth Alliance.
[NdT: Parmi de nombreux autres exemples, l’auteur aurait pu mentionner la maladie de Chagas, une infection parasitaire, potentiellement mortelle, transmise par un insecte hématophage (une variété de punaise, appelée triatome ou réduve), qui sévit principalement sur le continent américain. D’après l’OMS, « 6 à 7 millions de personnes dans le monde, principalement en Amérique latine, sont infectées dans le monde par Trypanosoma cruzi (T. cruzi), le parasite à l’origine de la maladie ». La maladie de Chagas « était jadis entièrement confinée à la Région des Amériques – principalement l’Amérique latine – mais elle s’est propagée à d’autres continents ». La maladie de Chagas est « guérissable si le traitement est institué peu de temps après l’infection ». Autrement: « jusqu’à 30 % des patients souffrent de troubles cardiaques et jusqu’à 10 % de troubles digestifs (généralement méga œsophage ou méga côlon), neurologiques ou les 2 à la fois. Plus tard, l’infection peut conduire au décès soudain dû à une arythmie cardiaque ou à une insuffisance cardiaque progressive provoquée par la destruction du muscle cardiaque et de son système nerveux. » Selon l’OMS près de 13.000 personnes meurent du mal de Chagas et 300.000 nouveaux cas se déclarent chaque année. Ainsi que l’explique un article du Financial Times, publié le 18 avril 2017, et intitulé « Chagas disease: The Brazilian forest bites back » (« Maladie de Chagas: la forêt brésilienne riposte »): « Aujourd’hui, selon des chercheurs, la propagation de la maladie de Chagas dans la région amazonienne est liée à des facteurs humains tels que la déforestation et la consommation croissante de produits de palme, comme l’açaí, un fruit local. Privé de son habitat et de la proximité des animaux sauvages, autrefois sa principale source de nourriture, le barbeiro [l’insecte qui transmet la maladie, NdT] envahit de plus en plus les implantations humaines. »]
Attraction mortelle
Des maladies peuvent également apparaître lorsque de nouveaux habitats attirent hors de la forêt des espèces porteuses de maladies.
Au Liberia, par exemple, les coupes des forêts pour l’installation de plantations de palmiers à huile attirent des hordes de souris typiquement forestières, alléchées par l’abondance des fruits de palmiers autour des plantations et des habitations. Les humains peuvent contracter le virus Lassa lorsqu’ils entrent en contact avec de la nourriture ou des objets contaminés par des excréments ou de l’urine de rongeurs porteurs du virus ou des fluides corporels de personnes infectées. Chez l’homme, le virus provoque une fièvre hémorragique — le même type de maladie déclenchée par le virus Ebola — et au Liberia, il a tué 36 % des personnes infectées.
Des rongeurs porteurs de virus ont également été repérés dans des zones déboisées au Panama, en Bolivie et au Brésil. Alfonso Rodriguez-Morales, chercheur médical et expert en maladies tropicales à l’Université Technologique de Pereira en Colombie, craint que leur aire de répartition n’augmente suite à la résurgence des incendies en Amazonie cette année.
De tels processus ne se limitent pas aux maladies tropicales. Certaines des recherches de MacDonald ont révélé une curieuse association entre la déforestation et la maladie de Lyme dans le nord-est des États-Unis. Borrelia burgdorferi, la bactérie responsable de la maladie de Lyme, est transmise par des tiques qui dépendent des cerfs vivant dans les forêts pour se reproduire et obtenir suffisamment de sang pour survivre. Cependant, la bactérie est également présente chez la souris à pieds blancs, qui prolifère dans les forêts fragmentées par des infrastructures humaines, explique MacDonald.
La propagation des maladies infectieuses à l’homme est plus susceptible de se produire dans les tropiques car la diversité globale de la faune et des agents pathogènes est plus élevée, ajoute-t-il. Là-bas, un certain nombre de maladies transmises par un large éventail d’animaux — des insectes suceurs de sang aux escargots — sont liées à la déforestation. En plus des maladies connues, les scientifiques craignent qu’un certain nombre de maladies mortelles encore inconnues se cachent dans les forêts, qui pourraient être dispersées massivement, au fur et à mesure de leur destruction.
Zambrana-Torrelio remarque que la probabilité de retombées sur les populations pourrait augmenter avec le réchauffement climatique, qui pousse les animaux, ainsi que les virus qu’ils transportent, à migrer vers des régions où ils ne vivaient pas auparavant. La question de savoir si ces maladies restent confinées aux lisières des forêts ou s’installent chez l’homme, déclenchant une pandémie potentielle, dépend de leur transmission, explique Vittor. Certains virus, comme Ebola ou Nipah, peuvent être transmis directement d’humain à humain, ce qui leur permet, théoriquement, de se propager à travers le monde tant qu’il y a des humains.
Le virus Zika, découvert dans les forêts ougandaises au XXe siècle, n’a pu parcourir le monde et infecter des millions de gens que parce qu’il a trouvé un hôte chez Aedes aegpti, un moustique qui se développe dans les zones urbaines. « Cela me déplait de penser qu’un ou plusieurs autres agents pathogènes pourrait faire une telle chose, mais il serait insensé de ne pas considérer cela comme une possibilité à laquelle il faut se préparer », déclare Vittor.
Un nouveau service
Les chercheurs de l’Ecohealth Alliance ont proposé que le confinement des maladies puisse être considéré comme un nouveau service écosystémique, c’est-à-dire un avantage que les humains tirent gratuitement des écosystèmes naturels, tout comme le stockage du carbone et la pollinisation. [sic, la financiarisation de la nature, NdT]
Pour étayer cette thèse, leur équipe a travaillé à Bornéo, en Malaisie, pour déterminer le coût exact du paludisme, jusqu’à chaque lit d’hôpital et à la seringue utilisée par les médecins. En moyenne, ils ont découvert que le gouvernement malaisien dépense environ 5.000 $ pour traiter chaque nouveau patient atteint de paludisme dans la région — ce qui est beaucoup plus que ce qu’il dépense, dans certains endroits, pour le contrôle du paludisme, explique Zambrana-Torrelio.
Avec le temps, cela s’accumule, et dépasse les profits qui pourraient être réalisés en abattant les forêts, et cela constitue donc un argument financier convaincant en faveur du fait de laisser certaines forêts en place, explique Daszak. Ses collègues et lui commencent à travailler avec le gouvernement malaisien pour incorporer ces coûts dans l’aménagement du territoire, et entreprennent un projet similaire avec des responsables libériens pour calculer le coût des épidémies de fièvre de Lassa dans ce pays. MacDonald perçoit la valeur de cette idée: « Si nous pouvons préserver l’environnement, alors peut-être que nous pouvons aussi protéger la santé », dit-il. « Voilà le côté positif que nous devons garder à l’esprit ».
EDIT (14 mai 2020)
Déforestation et pandémie - « Nous sommes en train de jouer avec le feu »
AFP, 20minutes - 14 mai 2020
https://www.20min.ch/fr/story/nous-sommes-en-train-de-jouer-avec-le-feu-219071225385
L'intervention humaine dans des zones à la faune et flore indigènes peut provoquer des déséquilibres écologiques et propager des maladies depuis le coeur de la jungle. Avec la déforestation de l'Amazonie, la prochaine grande pandémie pourrait être brésilienne, prévient le chercheur David Lapola. « L'Amazonie est un grand réservoir à virus », affirme ce scientifique de 38 ans. « Nous sommes en train de jouer avec le feu ». La plus grande jungle tropicale du monde a encore de vastes zones préservées, « mais il y a toujours plus de déforestation, de destruction (...). Quand on provoque ce déséquilibre écologique (...) il peut y avoir une transmission du virus (des animaux aux hommes) », explique-t-il dans un entretien à l'AFP.
Spécialiste de l'environnement, David Lapola rappelle que le VIH, l'Ebola et la dengue ont sévi ou sévissent encore sur le globe. « C'est historique, tous ont été des virus qui se sont fortement disséminés à partir de déséquilibres écologiques ». Il précise que, selon les études, ces transmissions ont lieu plus fréquemment en Asie du Sud et en Afrique, où se trouvent certaines familles de chauves-souris. Mais la diversité de la faune et la flore amazonienne pourraient faire de cette région « le plus grand dépôt de coronavirus du monde », dit-il, en référence au coronavirus en général et non au nouveau coronavirus parti de Chine. Mais « ce n'est pas la faute des chauves-souris, il ne faut pas sortir les tuer », précise le chercheur brésilien du Centre de recherches météorologiques et appliquées à l'agriculture de l'Unicamp. « C'est une raison supplémentaire pour ne pas faire cet usage irrationnel, qui est en hausse actuellement, de notre Amazonie », estime-t-il.
David Lapola prévient que le contexte actuel au Brésil, où le Covid-19 a déjà fait plus de 13.000 morts, rend encore plus difficile la surveillance de la jungle tropicale, qui est menacée. « Nous devons répondre à cette crise sanitaire et tous nos efforts doivent tendre vers ce but (...) Mais c'est inquiétant car nous avons une hausse très importante (de la déforestation), alors que ce n'est même pas la saison », assure-t-il.
Durant les quatre premiers mois de 2020, 1.202 km² de jungle ont disparu, selon les données satellitaires de l'Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE). Cela représente une augmentation de 55 % par rapport à la même période de l'année dernière, la plus élevée depuis que ces observations mensuelles ont commencé, en août 2015. (...)
Le président brésilien d'extrême droite Jair Bolsonaro, un climato-sceptique qui préconise l'ouverture des terres protégées à l'exploitation minière et à l'agriculture, a envoyé cette semaine des militaires pour combattre la déforestation. « La question la plus grave est l'utilisation de l'armée pour toutes sortes de problèmes au Brésil. Cela démontre une certaine crise institutionnelle et le démantèlement de l'agence environnementale Ibama », poursuit-il. « Il est démontré que l'avancée de la déforestation dépend de ceux qui nous gouvernent. La bonne nouvelle c'est que les gouvernements passent. J'espère que lors d'une prochaine administration nous ferons plus attention à cet énorme trésor biologique, sans doute le plus grand de la planète », dit-il au sujet de l'Amazonie, dont plus de 60 % est en territoire brésilien. Le chercheur estime aussi qu'il est également nécessaire de « refonder le rapport de la société avec les jungles ».
Pour David Lapola, la propagation de nouvelles maladies depuis le fin fond de la jungle « est un processus trop complexe pour être prévu, il vaut mieux appliquer le principe de précaution et ne pas joueur avec le feu » en provoquant des désastres écologiques.
EDIT (17 décembre 2020)
Dans la forêt vierge gabonaise, sur la piste des virus émergents
AFP, Sciences & Avenir - 16 dec 2020
https://www.sciencesetavenir.fr/sciences/dans-la-foret-vierge-gabonaise-sur-la-piste-des-virus-emergents_150244
Est-ce un film de science fiction ? Une série dystopique ? Six hommes en combinaison jaune, couverts de la tête aux pieds, grimpent laborieusement vers une cavité perdue au cœur de la forêt gabonaise, à la recherche de virus émergents.
Ces chercheurs au Centre interdisciplinaire médical de recherches de Franceville (CIRMF) se rendent dans la grotte de Zadié, dans le nord-est du Gabon, pour étudier les chauves-souris, suspectées d'être à l'origine de la plupart des épidémies transmises à l'homme ces dernières années: le SRAS en 2003, le MERS en 2012, Ebola et aujourd'hui le SARS-CoV-2 à l'origine du Covid-19 qui paralyse la planète.
Le chemin est jonché d'humus, d'écorces et de feuilles roussies qui exhalent le parfum de la forêt vierge de ce petit pays d'Afrique centrale, dont le climat tropical, chaud et humide, et la faune luxuriante, offrent un terrain particulièrement favorable à la prolifération de virus, ce dont n'ont pas conscience les populations locales. Peu à peu, l'odeur de la terre humide laisse place à celle du guano, les excréments des chauves-souris. D'abord légère, elle devient suffocante. L'air se fait irrespirable. Des abeilles et des papillons aux reflets argentés tournoient près des visages concentrés des chasseurs de virus. Sous la combinaison, la chaleur est étouffante. La sueur perle sur les lunettes de protection des chercheurs. Au-dessus d'eux, la cime des arbres se perd dans des nuages menaçants et les lianes semblent descendre du ciel.
Soudain, comme une bouche ouverte sur la forêt, l'entrée de la grotte apparaît. Un flot bruyant de chauves-souris s'échappe du trou noir béant. Leurs déjections recouvrent d'un épais manteau blanc glissant le sol et les parois rocheuses. "Tirez !", ordonne le professeur Gaël Maganga, jusqu'à ce que le filet servant à capturer les mammifères soit tendu sur toute la largeur. Les animaux sentent la présence des visiteurs. Le flux se tarit légèrement.
Mais lorsque l'un des scientifiques s'avance et allume sa lampe torche, une nuée de chauves-souris fonce vers la sortie et le piège se referme sur elles. Les prélèvements peuvent commencer. "C'est quel sexe ? Il est jeune lui !", s'exclame M. Maganga, enseignant-chercheur à l'université de Franceville, la 3e ville du pays, siège du CIRMF. A l'aide d'écouvillons stériles, il effectue des prélèvements buccaux et rectaux.
"Notre travail consiste à identifier les agents pathogènes qui pourraient représenter un danger pour les populations humaines et comprendre les transmissions inter-espèces", explique à l'AFP le scientifique, également codirecteur de l'unité Émergence des maladies virales du CIRMF, qui abrite l'un des deux laboratoires P4 d'Afrique, une classification internationale autorisant la manipulation des virus les plus dangereux dans ces bâtiments hermétiquement clos.
Le 29 octobre, le groupe d'experts de l'ONU sur la biodiversité (IPBES) prévenait dans un rapport que les pandémies comme le Covid-19 allaient se multiplier et faire de plus en plus de morts, évoquant un immense réservoir de 1,7 million de virus inconnus dans le monde animal, dont 540.000 à 850.000 "auraient la capacité d'infecter les humains". D'ailleurs, 70 % des nouvelles maladies (Ebola, Zika) et "presque toutes les pandémies connues" (grippe, sida, Covid-19) sont des zoonoses, c'est-à-dire issues de pathogènes animaux.
"Il faut arrêter de penser que l'Homme est d'un côté, et l'Animal de l'autre. En matière de santé, ce qui se passe chez l'un va avoir un impact chez l'autre. Protéger la faune sauvage, protéger la Nature, c'est protéger l'Homme", souligne Pauline Grentzinger, vétérinaire du Parc naturel de la Lékédi, qui œuvre pour la préservation de la biodiversité, tout près de Franceville. "Les comportements humains sont souvent à l'origine de l'émergence de virus. Aujourd'hui, avec la pression démographique, l'intensification de l'agriculture, ou encore la chasse, les contacts entre les humains et les animaux sont de plus en plus fréquents", renchérit le professeur Maganga.
Au Gabon, toutes les épidémies d'Ebola se sont déclarées dans la région de la grotte de Zadié, tout près de la frontière avec le Congo. Les chercheurs du CIRMF y ont prélevé des chauves-souris porteuses du virus, ce qui leur a permis de découvrir que l'animal était l'organisme hôte à l'origine de l'épidémie.
Le professeur Maganga a également mis en évidence la présence d'un certain nombre de coronavirus en circulation chez ces chauves-souris, dont certains proches de coronavirus humains. Pour autant, cela n'empêche pas les villageois des alentours de pénétrer dans les grottes pour chasser la chauve-souris, tout comme l'antilope, la gazelle, ou encore le singe.
Au Gabon, malgré l'interdiction en avril de la vente de pangolin et de chauve-souris, les villageois continuent de traquer les animaux sauvages pour s'assurer un moyen de subsistance dans cette région reculée. "En une nuit, je peux gagner ce que je gagne en un mois", plaide Aristide Roux, 43 ans, habitant un village proche de la grotte, qui expose sur un tronc coupé en bordure de route une gazelle tuée dans la nuit. Le Covid ? "Il n'est pas encore arrivé jusqu'au village", tranche le chasseur. Pour Just-Parfait Mangongwé, un autochtone de 20 ans dans l'équipe du CIRMF, les gens de son village "ne croient pas" aux virus. D'où l'importance "de sensibiliser ces chasseurs qui vivent depuis toujours de cette ressource", assène le professeur Maganga.