Le Monde d'Antigone

Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
Seule une révolution mettra fin à un système
dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.

Rubriques

>> Toutes les rubriques <<
· 37 - Lointains échos dictatures africain (400)
· 00 - Archivage des brèves (783)
· .[Ec1] Le capitalisme en soins intensifs (550)
· 40 - Planète / Sciences (387)
· 10 - M-O. Monde arabe (383)
· . Histoires et théories du passé (222)
· 20 - Japon, Fukushima (237)
· .[Ec2] Métaux, énergies, commerce (253)
· 24 - USA (306)
· 19 - Chine [+ Hong Kong, Taïwan] (321)

Statistiques

Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour : 24.12.2025
8682 articles


Rechercher

Bouteflika, l’autre nom de la rente pétrolière

Publié le 05/03/2019 à 03:18 par monde-antigone

 
Ce serait marrant si Bouteflika clamsait à Genève où il est hospitalisé depuis le 24 février pour, dit-on, un "simple contrôle médical". Le FLN se retrouverait tout d'un coup sans candidat déclaré alors que la date limite de dépôt des candidatures est passée...
Mais le FLN, qui excelle dans la culture du secret, serait parfaitement capable de planquer le cadavre et de le faire croire vivant (par exemple, en utlisant d'anciennes vidéos inédites), le temps que l'appareil s'accorde sur un successeur "acceptable".
L'élection présidentielle est programmée pour le 18 avril. D'ici là, il peut se passer bien des choses.

Pour le moment, rien de bien sérieux. Quand on leur aura donné un dirigeant capable de parler et de voyager, ils rentreront chez eux.


Bouteflika, l’autre nom de la rente pétrolière
Entretien avec Omar Benderra, économiste et membre de l’équipe d’Algeria-WatchOp
réalisé par Marwan Andalussi, le 2502/2019
Mondafrique - 03 mar 2019
https://mondafrique.com/bouteflika-lautre-nom-de-la-rente-petroliere/


Qu’est ce qui explique la formidable mobilisation des Algériens ce 22 février dans plusieurs villes du pays, alors que personne ne sait qui a appelé à la marche ? Cela ressemble, toutes proportions gardées, aux événements d’octobre 1988. On savait qu’il allait se passer quelque chose, mais on ne savait pas d’où ça venait.
Interpréter les intentions d’un système politique hermétique, violent et cynique, qui pratique depuis toujours une forme d’endogamie régressive au sommet de structures décisionnelles clandestines est un exercice où la tentation paranoïaque est permanente. Cette tentation est nourrie par une propagande visant à représenter ce régime sans visage comme un système omniscient et omnipotent. Ce qui n’est évidemment pas le cas au vu de la dégradation continue et bien trop perceptible de l’État et des menaces grandissantes qui pèsent sur le pays. Il est donc essentiel de rester lucide et vigilant, de ne pas verser dans le conspirationnisme et d’éviter d’attribuer ces manifestations à un ou des marionnettistes invisibles qui orchestreraient les expressions du mécontentement. Même si des centres de pouvoir – ceux qui estiment que leurs intérêts ne sont pas suffisamment pris en compte dans les équilibres actuels – ont très probablement stimulé ou favorisé la réunion des conditions d’une mobilisation populaire massive.
Qui peut prétendre l’ignorer ? Les appareils du système, en premier lieu la police politique sous les diverses appellations dont elle s’affuble, peuvent en effet instrumentaliser la rue pour régler des conflits entre groupes d’intérêts au sein du système. Tous l’ont compris en effet lors des événements d’octobre 1988 et, dans une autre logique, lors des "marches spontanées" de soutien en 1995 à la candidature de Liamine Zeroual – déjà un général retraité…
Mais en l’occurrence, s’agissant de la mobilisation de ce vendredi de février, ces milieux n’ont fait qu’embrayer sur une situation plus que mûre pour des contestations sur ce mode. Autrement dit, si certains groupes au sein du régime ont favorisé les manifestations du 22 février, ils n’en sont en aucune façon les architectes. La population s’est prise en charge elle-même, elle a choisi ses mots d’ordre et ses formes d’expression. L’opinion algérienne est depuis longtemps au-delà de l’exaspération et ce n’est que par les traditions de patience et de refus de la violence que la société s’est maintenue par elle-même dans une posture de retrait par rapport au régime et ses parodies, de désobéissance civile non dite et d’indifférence devant les gesticulations de ceux qui contrôlent l’État. Comme on avait déjà pu l’observer au cours de la "campagne" du 4e mandat en 2014, où l’opinion avait manifesté une souveraine indifférence à la communication du régime.
Sur tous les plans, la situation a bien évolué depuis lors. En effet, et je crois que tous s’accordent sur ce point, les Algériennes et les Algériens se sont sentis insultés par cette indigne mascarade d’un 5e mandat qui consiste à imposer un vieillard à l’agonie en tant que candidat de l’espoir et du renouvellement. Cet élément a joué comme un détonateur de mécontentement, la goutte d’eau qui a fait déborder un vase d’indignation et d’amertume. Ce que les populations contestent et rejettent ne se limite pas à la reconduction d’un président-zombie. Le peuple algérien est exaspéré et ne veut plus de cette dictature brutale et incompétente, corrompue au-delà de toute expression et qui conduit, au vu et au su de tous, le pays vers de sombres lendemains.


Le refus du 5e mandat est-il la raison exclusive de cette mobilisation inédite ?
On a bien vu au rythme des slogans et des mots d’ordre des manifestants que les revendications vont bien au-delà. Certains "progressistes" et d’autres publicistes en service commandé essaient de transformer ce refus générique du système en simple remise en cause de Bouteflika. La manœuvre peut paraître grossière, mais elle est bien en action: il s’agit pour ces milieux de canaliser l’indignation populaire vers le rejet du 5e mandat pour promouvoir un candidat du consensus militaro-policier, présenté comme une alternative novatrice et crédible. C’est ainsi qu’entre quelques lièvres plus ou moins farfelus préposés à l’animation d’arrière-cour, on nous offre un général sorti du néant comme alternative. Cette opération de recyclage de général remisé pourrait convaincre les milieux "éclairés" qui se représentent comme des élites dont certains feignent de croire au miracle électoral.
Ces cercles chargés de valider des options fantomatiques font leur office habituel. Mais je ne suis pas sûr qu’ils disposent d’une grande audience auprès d’une population revenue de toutes les fourberies. Les Algériennes et Algériens n’attendent ni homme providentiel ni n’espèrent de caudillo reconverti sorti d’une pochette surprise ou de faqih (juriste musulman) recyclé [Slogan "ni autocrate, ni général, ni imam; ndc]. Ils aspirent à vivre librement en citoyens respectés dans une société libre, dirigés [Etre "dirigés", n'est ce pas contradictoire avec la liberté ?; ndc] par des femmes et des hommes qu’ils auront librement choisis dans un contrat politique opposable à tous et uniquement régi par le droit. Le peuple est pour un changement radical et contre le 5e mandat.


Mais pourquoi donc le régime s’obstine-t-il à reconduire un président si visiblement amoindri ?
Pour comprendre ce phénomène qui conduit à une situation absurde et une image gravement dégradée de notre pays, il est utile de rappeler qu’Abdelaziz Bouteflika a été l’un des fondateurs du système militaro-policier algérien au lendemain immédiat de l’indépendance en 1962. Il connaissait donc parfaitement les codes, le mode de fonctionnement, les usages et les composantes de cette organisation de pouvoir. Il ne pouvait en aucun cas trahir un système dont il a été, aux côtés de Houari Boumediene (mort en 1978), l’une des chevilles ouvrières.
Après une longue traversée du désert, Abdelaziz Bouteflika a été exhumé en 1999 de son exil doré aux Émirats arabes unis pour succéder à Liamine Zeroual (chassé sans gloire du pouvoir par ceux-là mêmes qui l’avaient fait roi en 1995), avec force marches de soutien "spontanées". Bouteflika a d’abord été choisi en raison de ses qualités de diplomate: il avait été ministre des Affaires étrangères pendant 13 ans – de 1965 à 1978 –, durant la période ascendante du régime algérien. Les généraux "janviéristes" et leurs subordonnés, auteurs du coup d’État du 11 janvier 1992 ayant annulé la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS), ont tablé sur son entregent substantiel pour juguler la menace que la justice internationale faisait planer sur les crimes contre l’humanité qu’ils ont commis dans les années 1990 lors de la "sale guerre" déchaînée contre les islamistes et l’ensemble de la population algérienne.
Avec l’aval et l’appui des dirigeants français, Abdelaziz Bouteflika, aidé par une conjoncture favorable (les attentats du 11 septembre 2001 modifiant radicalement la posture des Occidentaux vis-à-vis de l’islam politique), va mener à bien la mission qui lui a été confié. Son activisme externe, grâce à une batterie de dispositions et de lois exorbitantes d’amnistie et d’effacement des crimes, a permis (provisoirement ?) de lever les hypothèques qui pesaient sur les chefs de l’armée et des services secrets.
Un bonheur n’arrivant jamais seul, Abdelaziz Bouteflika a pu consolider son emprise à la faveur de l’exceptionnelle période d’"embellie financière" due à l’augmentation durable et substantielle des prix pétroliers. La base de corruption du système s’élargit alors au-delà de toute espérance, puisque dans la période 2002-2013 l’Algérie enregistre près de 1.000 milliards de dollars de recettes pétrolières. De marchés publics en sociétés écrans, cette manne profite à des réseaux de commissionnements et de corruption composés de chefs militaires et de leurs hommes d’affaires. Ces derniers, au fil de la constitution de fortunes considérables et de rôles de plus en plus significatifs d’intermédiation avec l’étranger, ont pris progressivement une place décisive au sommet du pouvoir.
Depuis 2013, l’impotence du président a eu pour effet de conforter les principaux dirigeants du système dans des positions politico-administratives qui s’apparentent à de véritables baronnies au-dessus du droit commun et ne souffrant ni supervision ni intrusion d’aucune autorité supérieure. Les dossiers exigeant un arbitrage au sommet de l’État sont négociés ponctuellement avec l’entourage familial du président. Ce dispositif, totalement contre-productif pour la gouvernance du pays, n’en est pas moins très confortable pour les nouveaux "seigneurs de guerre" sur lesquels ne s’exerce aucune supervision.
Ces dirigeants et leurs businessmen civils, constitués en groupes d’intérêts, maintiennent contre vents et marées Bouteflika au pouvoir pour conserver leur accès à une rente qui, bien que se contractant, reste la source d’enrichissement massif et continu. Il s’avère au fil des mandats qu’il est particulièrement ardu pour ces bureaucraties de pouvoir de s’entendre sur une alternative consensuelle au président malade. Ceux qui contestent le 5e mandat au sein de cette organisation ne sont pas à la recherche d’une évolution du régime. Il s’agit purement et simplement pour des groupes qui ont été écartés plus ou moins brutalement du pouvoir, de retrouver l’accès à la rente.


Les manifestations à Alger sont bannies depuis près de 20 ans, qu’est-ce qui explique la non-intervention de la police qui était pourtant déployée massivement ?
Je pense que ceux qui ont décidé de faire preuve de retenue l’on fait non pas pour des considérations "démocratiques", si j’ose dire, mais bien par calcul. Ils savent que la contestation est massive et généralisée, que l’exaspération est grande. Il ne s’agit que d’un pur constat d’évidence: l’Algérie toute entière, du sud au nord et d’ouest en est, arrive au bout d’une patience légendaire. Or, dans un tel état d’esprit à l’échelle de la nation, entrer d’emblée dans un cycle de répression directe et de confrontation violente avec la population peut mener à des ruptures imprévisibles… Ces "décideurs" savent aussi que leurs appareils de répression, police, gendarmerie, armée, ne sont pas imperméables ou insensibles, loin de là, à ce qui se déroule dans la société. La mesure dont a jusque-là fait preuve la police semble bien la preuve que le régime cherche à la ménager, à économiser ses forces, à prévenir son usure, traduisant une vraie appréhension de sa part devant une situation dégradée et qui pourrait s’envenimer, à Dieu ne plaise, au moindre dérapage. Il faudra alors au régime assumer une répression durable d’une ampleur inédite…


Quelle sera la riposte du régime ? Au lendemain de la manifestation du 22 février, des rumeurs parlent de contre-manifestation de ceux qui sont favorables au 5e mandat (FLN et RND seraient derrière, ils ont le savoir-faire en termes de marches spontanées). Si cela arrive, ne risque-t-il pas d’y avoir une fracture violente du pays ?
Ces partis "bidons" que vous citez disposent largement de moyens matériels pour convoquer des clientèles achetées à vil prix. Il existe en Algérie, comme dans toutes les sociétés humaines, des franges sans morale prêtes à toutes les manipulations. Il faut espérer que cette riposte n’advienne pas et que ceux dans l’armée et les services de sécurité qui ont conservé le sens de l’État et qui n’ont pas totalement rompu avec l’héritage politique du 1er novembre 1954, s’il en reste, auront leur mot à dire pour empêcher des aventures dont le prix et les conséquences sont incalculables. La responsabilité de ces milieux est directement engagée [L'Etat clanique tel qu'il existe aujourd'hui en Algérie était en germe dès 1954, en même avant. Il s'est construit, non pas de bas en haut, mais de haut en bas. L'état-major issu de la lutte d'indépendance est devenu celui de l'Etat (comme le PC chinois après la "Longue marche" et la guerre contre les nationalistes). Puis il s'est imposé définitivement après l'élimination du mouvement rival, le MNA; ndc].
Pour leur part, les centaines de milliers de manifestants à travers tout le pays ont montré au monde avec éclat la hauteur de principes de non-violence et d’expression policée des revendications conforme à une tradition établie. Ce peuple, que d’aucuns se plaisent à injurier du haut de leur mépris d’arrivistes oublieux de trajectoires douteuses, a exprimé avec noblesse et dignité son refus du désordre et de la tyrannie. Avec une force de conviction et une énergie évocatrices des glorieuses journées décoloniales de décembre 1960 [La société aura peut-être une chance de changer en Algérie le jour où'elle prendra conscience que ce langage met une population au garde-à-vous et que ce lyrisme patriotique que l'on pourrait croire tiré du quotidien El Moudjahid est un poison qui l'empêche d'évoluer; ndc].


Tout le monde aura remarqué le silence honteux des médias publics le jour de la manifestation (et des tergiversations des médias privés). Les partis dits d’opposition semblent, eux, sonnés par la mobilisation populaire et ils sont très discrets. Qu’est-ce qui explique ces attitudes (la presse et les partis d’opposition) ?
Il n’existe pas de médias libres en Algérie, pas plus qu’il ne peut exister de partis politique autonomes dans une scène hermétiquement verrouillée et totalement contrôlée par la police politique. Les chaînes de télévision publiques et privées n’ont pas du tout fait état ni couvert les manifestations. Les journaux liés à la police politique et à des oligarques ont mis l’accent sur le rejet du 5e mandat en faisant généralement l’impasse sur la contestation radicale du régime.
C’est une question de pur bon sens: une presse libre peut-elle exister dans un environnement liberticide ? Non, bien entendu. Depuis le coup d’État militaire du 11 janvier 1992, les libertés fondamentales constitutives de l’État de droit sont foulées au pied par le système. Les libertés d’expression, de réunion, de manifestation sont prohibées. Il est interdit d’exercer le journalisme et il est interdit de faire de la politique. Il est en revanche permis d’être des propagandistes du régime et de servir d’opposition-alibi dans un environnement institutionnel intégralement fabriqué.
Les hommes et femmes politiques indépendants et respectables existent pourtant et tous savent leurs noms. Ceux-là n’ont pas voix au chapitre, et quand ils peuvent s’exprimer, ils sont au mieux ignorés. Quand les dirigeants de la police politique les jugent dangereusement audibles par la population, les contre-feux de la diffamation, de l’injure et de la calomnie sont rapidement allumés… Il est évident que dans un tel climat, les expressions politiques indépendantes et sincères émergent très péniblement et soient difficiles à identifier. Il faut espérer que ces mobilisations de la population permettent enfin l’émergence de cadres et militants politiques jeunes et courageux, susceptibles d’assumer massivement une relève dont le pays a vitalement besoin.
Le même constat de carence peut s’appliquer aux médias. À l’exception de quelques rares journalistes honorables dont les noms sont également connus de tous, la presse est massivement constituée d’éléments parfaitement disciplinés de cette milice de la désinformation. Les agences de presse étrangères, ainsi que l’a montré la couverture francophone tronquée et trompeuse des manifestations, ne dérogent pas à la règle. Les journalistes qui activent dans la presse étrangère, française en particulier, métropole oblige, sont trop souvent – heureusement pas toujours – des agents en service commandé chargés de maintenir la confusion et le trouble sur la nature réelle des faits politiques qui émaillent le quotidien de l’Algérie.
Mais au grand dam des praticiens de l’intoxication et des manipulateurs d’opinion, le règne de l’information contrôlée est révolu. Les réseaux sociaux pallient très largement et très efficacement ce déficit de médias autonomes. Les coupures d’Internet et les ralentissements organisés de flux ne sont que des moyens d’arrière-garde. Les sites électroniques du régime tentent vainement de la capter à leur profit, mais l’opinion est infiniment mieux informée que ce que souhaiterait la dictature. Aucun artifice ni interdiction ne peut aller contre ce courant. Ce 22 février 2019, ces médias et ces valets de presse ont simplement achevé de se discréditer.


Il y a un élément d’une grande importance dans ce qui s’est passé le 22 février qui mérite d’être souligné fortement. Je veux parler des gens qui ont protesté contre les prêches commandés des imams, certains ont même quitté la mosquée comme à Béjaïa, et accompli leur prière à l’extérieur. Le verrou de la pression par la religion a-t-il sauté ?
Dans le vide moral politique et culturel créé et entretenu par la dictature, la religiosité est devenue un liant qui a permis le maintien de la cohésion sociale. La religion demeure ainsi un refuge premier et ultime pour beaucoup. La spiritualité des Algériens exprime aussi, intensément, le refus de l’ordre – plutôt du désordre – sans éthique imposé par la force au nom de valeurs que chacun connaît et reconnaît, ancrées dans l’histoire et les usages. Mais nous ne sommes plus dans les années 1980 ou 1990.
Au fil du drame et de l’impasse, des enjeux mis à nu et de l’identification des acteurs, la société a évolué et mûri. Le niveau général, politique et critique, est incomparablement plus élevé. L’expérience accumulée au cours de ces décennies de sang, de violence et d’injustice a forgé les consciences et permet de mieux résister aux méthodes démagogiques de toutes formes et de toutes apparences.
Le régime, très cyniquement, avec ses prédicateurs-charlatans et ses imams au garde-à-vous, a tenté de faire fructifier l’obscurantisme et d’orienter les pratiques religieuses vers la bigoterie, les anathèmes et la régression. Mais le succès de cette manœuvre d’empoisonnement de la foi semble avoir fait long feu. La population aguerrie n’est plus aussi facilement tenue par les discours d’adhésion ou d’autorité, quelle qu’en soit la source et quels que soient les habits dont les propagandistes se revêtent… Il n’y a pas d’allégeance mécanique ni de gourous intouchables. Les Algériens, croyants ou non, pratiquants ou pas, respectent le sacré et savent ce qui relève de la politique, inévitablement distinct de ce qui relève du spirituel et de la religion [Alors, à quand la fin de l'islam comme religion d'Etat ? A quand la liberté de ne pas jeûner pendant le ramadan ? A quand la fin des arrangements passés avec les islamistes après la guerre civile ?; ndc].
(...)


EDIT (15 mai 2019)


Crise en Algérie: Un pays malade de sa caste dirigeante et de son pétrole
par Michel Lachkar
Franceinfo: - 15 mai 2019
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/algerie/crise-en-algerie-un-pays-malade-de-sa-caste-dirigeante-et-de-son-petrole_3442879.html


L’Algérie est un pays fragile, soumis aux aléas du prix des hydrocarbures dont il dépend à 95 % pour ses exportations. Avec son économie largement étatisée, le pays ne peut espérer résorber le chômage qui touche 29 % des moins de 25 ans. Il doit trouver un nouveau modèle. Première économie du Maghreb, l’Algérie est parvenue, grâce aux prix élevés de son pétrole et de son gaz, à faire reculer la pauvreté de 20 % entre 1990 et 2010 et à faire progresser de près de 17 ans l’espérance de vie à la naissance. Des avancées sociales mises à mal depuis 2010, par la baisse du prix du pétrole.

Le boom pétrolier a aussi permis d’investir massivement dans les infrastructures (routes, barrages) et d'améliorer la scolarisation primaire et universitaire. 97 % des enfants sont aujourd'hui scolarisés, même si la qualité de l’éducation dispensée n’est pas à la hauteur, puisque le pays se classe 71e sur 72 dans l’étude PISA de 2015, qui mesure les compétences des jeunes de 15 ans. Mais l’Algérie aurait pu faire beaucoup mieux, sans la corruption à tous les étages de l’administration et la prédation organisée par une petite caste au pouvoir. Malgré la richesse du pays, le chômage touche toujours plus de 11 % de la population et 29 % des jeunes.

Pour le réduire, l'Algérie a besoin d'une croissance annuelle de 6 % à 7 %. On en est loin, s’inquiète la Banque mondiale qui a abaissé ses prévisions de croissance pour le pays de 2,5 à 1,5 %, en 2019. L’institution de Bretton Woods dit également s’attendre à une aggravation du déficit budgétaire qui devrait atteindre 8,5 % du PIB en 2019. Déficit financé ces dernières années par la planche à billets mise à l'œuvre par la Banque centrale à la demande des autorités.

L’économie algérienne suit les aléas des prix du pétrole et du gaz. "Tout retournement des tendances mondiales du prix des hydrocarbures compliquera la situation économique et la réduction des déficits", affirme Rabah Arezki, économiste en chef de la Banque mondiale pour la région. Comme pour le Venezuela, les rentes gazière et pétrolière ont servi à distribuer des subventions, que cela soit pour le logement, l’essence ou la farine, afin d’assurer la paix sociale au pouvoir politique en place. Mais quand la conjoncture se retourne, l’Etat croule sous la dette et ne maîtrise plus l'inflation (comme dans la crise vénézuelienne). Et par ailleurs, la manne pétrolière enrichit en priorité les dirigeants du pays.

La Sonatrach, le géant public des hydrocarbures, a été secouée ces dernières années par une série de scandales financiers. Depuis la démission le 2 avril 2019 du président Abdelaziz Bouteflika, la justice a ouvert une série d’enquêtes contre plusieurs hommes d'affaires liés à l'ancien clan présidentiel et à cette entreprise publique, au cœur de l'économie algérienne.

Par le hasard de la géologie, l’Algérie se retrouve assise sur une rente, et au lieu d’en faire bon usage pour diversifier l’économie, les différents gouvernements qui se sont succédé depuis l’indépendance ont dilapidé cette manne, qui ne sera pourtant pas éternelle. Il faut dire que les élites au pouvoir sont les premières à tirer avantage de cette situation. Mais quand le prix de l’or noir est divisé par 2, comme il l’a été il y a quelques années, c’est la panique, car il n’y a pas d’autres secteurs économiques pour prendre la relève.

La jeunesse algérienne, souvent au chômage, ne supporte plus ce système rentier, où ce sont toujours les mêmes qui captent le pouvoir et la manne financière. "L’impunité longtemps assurée aux chefs prédateurs a fini d’achever définitivement la confiance entre une société désenchantée et des dirigeants politiques et économiques disqualifiés", affirme le quotidien algérien El Watan. La dernière élection un tant soit peu ouverte avait vu la victoire des islamistes du FIS en juin 1990, avant que l'armée ne reprenne la situation en main. De quoi figer un pays déjà tétanisé politiquement et économiquement. Le "printemps politique" en cours pourrait permettre à l'Algérie de sortir de son impasse.