Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
Seule une révolution mettra fin à un système
dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.
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Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour :
18.11.2025
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Le Burkina cède des pans entiers de son territoire aux jihadistes
AFP, Africa n°1 - 26 sep 2018
http://www.africa1.com/news/le-burkina-cede-des-pans-entiers-de-son-territoire-aux-jihadistes-138843
Le Burkina, longtemps préservé, est entré dans un cycle de violence jihadiste qui s'accélère avec des attaques incessantes et des zones d'insécurité de plus en plus grandes. Le Burkina "est en train de perdre le Nord, dans les deux sens du terme", estimait une source occidentale dès le mois d'août. Elle pourrait désormais ajouter l'Est.
Attaques, enlèvements, explosions...Il ne se passe plus une semaine sans que les jihadistes ne fassent parler la poudre. Mercredi, 8 soldats ont perdu la vie en sautant sur un engin explosif artisanal (IED - Improvised Explosive Device) dans le nord près de Djibo. Dimanche, trois gendarmes avaient été tués après le rapt d'un Indien, un Sud-Africain et d'un Burkinabè travaillant dans les mines d'or. Une double attaque dans des villages avait fait 9 morts dans l'Est le 15 septembre et la nouvelle explosion d'un IED en coûté la vie à deux soldats le 5. Le mois d'août avait déjà été sanglant avec 13 personnes tuées par l'explosion de deux IED ainsi que la mort d'un douanier dans une attaque.
L'armée a perdu pied, incapable d'enrayer la spirale malgré des déclarations volontaristes mais sans effet du président Roch Marc Christian Kaboré. La France, l'ancienne puissance coloniale de ce pays très pauvre, est très inquiète. "Jusqu'à la fin de Blaise Compaoré (président de 1987 à 2014, renversé par la rue) il y avait une garde présidentielle qui était la force armée principale, qui était entièrement dévouée à Compaoré et que Kaboré a sabordé complètement", souligne un haut responsable français. "Derrière ça, il n'y avait quasiment rien, pas de culture militaire alternative. Il faut qu'ils constituent une armée digne de ce nom et cela prend du temps", ajoute cette source. En plus de l'armée, Compaoré avait mis en place des réseaux qui étaient en relation avec les groupes jihadistes, ce qui a pu aider à préserver le pays, selon des sources sécuritaires concordantes.
"La situation s’est détériorée lentement. On a fonctionné dans une logique de déni. Comme si cela n’existait pas", estime Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, qui souligne aussi que "l'instabilité politique" entre 2014-2015 (gouvernement de transition) n'a pas aidé alors que le pays avait à cette époque "largement le temps de développer une politique de prévention de l’extrémisme". Le chercheur souligne "l’absence d’Etat", très peu actif dans le Nord et l'Est qui ne bénéficient que de peu d'infrastructures et services publics, une situation "toujours profitable aux groupes extrémistes".
Les groupes jihadistes l'ont très bien compris. "Faire fuir l’Etat fait partie de la stratégie pour que les populations adhèrent. Les populations n’adhèrent pas forcément au niveau idéologique mais elles ont un besoin de protection. Or, c’est un désert sécuritaire", explique M. Sambe. Les jihadistes ont attaqué des gendarmeries isolées mais aussi des écoles ou des chefs religieux pour fragiliser l'Etat, tout en prêchant un "islam véritable". A l'image d'Ibrahim Malam Dicko, chef jihadiste burkinabè probablement mort en mai 2017 après une opération française, qui avait su s'attirer des sympathies locales auprès des populations les plus démunies. Les groupes jihadistes se sont aussi adaptés à la surveillance et aux écoutes: "Il n’y a plus la logique de coordination des groupes, plus de commandement centralisé.Il y a une multiplication des fronts (...).Ils ont pour objectif la création de zones d’instabilité", précise M. Sambé.
L'armée n'occupe plus le terrain et cela facilite d'autant plus la pose d'IED.Rendant encore plus difficile les déplacements de soldats.Un cercle vicieux sans fin. "Les IED vont se généraliser.Malheureusement ca va continuer et ne s'arrêtera plus.C'est facile à faire avec un peu d’explosif et des connaissances vues sur internet.Et, ils peuvent les poser à volonté !", souligne un ancien militaire français, qui prend l'exemple de l'Irak où les engins ont tué plus de soldats américains que les combats. "Le Burkina est certainement un sujet de préoccupation.C'est une menace à extension régionale, avec des groupes qui franchissent les frontières et vont vers les régions de moindre pression sécuritaire", estime une source proche du gouvernement français
Pour Bakary Sambé, après le Nord, "si l’Est est pris, il y a le risque de débordement vers des pays qui étaient très éloignés de l’épicentre du jihadisme comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire". "Le Burkina constitue un verrou entre le Sahel et les pays côtiers, dans la lutte contre le terrorisme, s'il saute ces voisins seront atteints" a averti le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry.
La situation se dégradait déjà en début d'année au nord du pays, dans les zones frontalières avec le centre du Mali...
Le nord du Burkina Faso en passe d’échapper à l'Etat
Slate Afrique - 29 avr 2018
http://www.slateafrique.com/848956/le-nord-du-burkina-faso-en-passe-d%E2%80%99echapper-
Des assassinats ciblés qui se multiplient, plus de 200 écoles et récemment un tribunal fermés pour "raison de sécurité": le nord du Burkina Faso, en proie à des attaques djihadistes récurrentes depuis 3 ans, est en passe d'échapper à l'Etat, craignent des analystes. (...) Quelque 20.000 élèves et 800 enseignants sont privés d'école. Mi-avril, un maître d'école a été kidnappé parce qu'il "parlait français aux élèves", selon le groupe jihadiste Etat islamique dans le grand Sahara qui a revendiqué l'enlèvement. Mercredi dernier, le tribunal de Djibo, chef-lieu de la province du Soum, frontalière du Mali, a été fermé "jusqu'à nouvel ordre" pour "raisons de sécurité", le personnel craignant des représailles jihadistes. (...)
Longtemps épargné par les groupes armés actifs au Sahel, le Burkina Faso est confronté depuis mars 2015 à des attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières visant la partie nord du pays. Un bilan officiel fait état de 133 morts dans 80 attaques dans cette région. A quoi s'ajoutent trois attaques jihadistes qui ont frappé la capitale, Ouagadougou, en 2 ans, dont la dernière en mars, qui ont fait au total près de 60 morts. "Que ce soit les enlèvements de fonctionnaires ou d'élus locaux, les assassinats ciblés, l'utilisation d'engins explosifs et les incursions de jihadistes dans les écoles, les marchés, tout porte à croire que la région du Sahel burkinabè est sérieusement menacée", estime Karamoko Traoré, expert en sécurité.
Au printemps 2017, le renforcement de la présence militaire dans le Nord et les opérations conjointes menées avec le Mali et les forces françaises de l'opération Barkhane avaient permis à l'armée burkinabè de reprendre l'ascendant et de rassurer les populations. La semaine passée, des opérations de ratissage ont permis d'interpeller une centaine de personnes et de neutraliser des engins explosifs, selon l'état-major. Mais "malgré de nombreux efforts, le manque d'effectifs et de moyens militaires conséquents entraînent un risque grandissant de perdre cette région ou de la voir devenir un no man's land", souligne M. Traoré.
7 des 9 départements de la province du Soum ont déjà été touchés par des attaques terroristes, contraignant des populations de ces localités à s'enfuir", note Souleymane Ouédraogo, activiste et analyste politique. Selon la Croix-Rouge, plus de 5.000 personnes ont dû quitter leurs foyers de la province du Soum pour rejoindre des localités plus au sud, depuis janvier. Un chiffre "minimisé" selon M. Ouédraogo, qui estime les déplacés à "14.000 ou 15.000". "Les villages se vident peu à peu et ceux qui y restent sont constamment menacés par les combattants d'Ansarul Islam, qui font la navette avec le Mali", pays avec lequel le Burkina partage une frontière de plus de 1.000 km, affirme-t-il.
Fondé par le Burkinabè Malam Dicko, le groupe islamiste Ansarul Islam a revendiqué de nombreuses attaques contre l'armée burkinabè, dont la plus sanglante avait tué 12 soldats en décembre 2016. Fin février, les Etats-Unis ont placé ce groupe sur leur liste noire "terroriste". "Les forces de l'ordre paraissent impuissantes devant des combattants prêts à mourir", estime Karamoko Traoré, évoquant l'assassinat mercredi dernier de trois personnes, dont un chef traditionnel. (...) Le gouvernement avait lancé en juin 2017 un programme d'urgence sur 3 ans doté de 455 milliards de francs CFA (700 millions €) pour améliorer la sécurité, l'éducation, la santé et l'approvisionnement en eau potable dans la région burkinabè du Sahel.
EDIT (6 novembre 2018)
Niger: Des groupes jihadistes veulent s'implanter dans l'ouest
AFP, African°1 - 06 nov 2018
http://www.africa1.com/news/niger-des-groupes-jihadistes-veulent-s-implanter-dans-l-ouest-140779
Assassinats, rapts, extorsion, prêches, destruction d'écoles: des groupes jihadistes venus du Mali et du Burkina Faso tentent d'étendre leur influence dans l'ouest du Niger, où l'armée s'est massivement déployée depuis une dizaine de jours. Placée sous état d'urgence depuis 2017, la région de Tillabéri, située dans la zone enclavée du Litpako Gourma, à cheval sur les frontières du Niger, du Burkina et du Mali, subit les incursions meurtrières de groupes armés. Le Niger n'abritait pas jusqu'à présent de bases arrière de groupes jihadistes, mais le secteur dit des "trois frontières", déjà "théâtre d'attaques, d'assassinats ciblés et d'enlèvements fréquents" est "en passe de devenir un sanctuaire de groupes terroristes et criminels", a alerté fin octobre le général Ahmed Mohamed, patron des armées du Niger lors d'une réunion à Niamey du G5-Sahel. (...)
"Depuis deux mois, nous vivons un phénomène nouveau: des groupes lourdement armés circulent à moto pour terroriser les gens et prélever la zakat", s'inquiète Soumana Hassane, un député de Tillabéri. La zakat est l'aumône légale, troisième pilier de l'islam. Des villages ont versé entre 700.000 francs CFA (1.000 €) et 900.000 FCFA (plus de 1.300 €) au titre de la zakat."Si vous refusez de payer, ils vous tuent", affirme l'élu. "Ces bandits obligent les villageois à écouter leurs prêches et vont brûler les écoles après", s'indigne-t-il. "Ils comptent les têtes de votre bétail et prélèvent de gré ou de force la zakat en fonction du nombre", a témoigné sur une télévision locale un élu d'Inates, une commune nigérienne proche du Mali.
"Apparemment ces groupes armés veulent s'installer définitivement dans la zone", estime Amadou Bounty Diallo, ex-militaire et ressortissant de Tillabéri. "La nuit ils implantent le fanion noir (drapeau du jihad) dans les villages isolés et ils font l'exégèse" du Coran, soit un prêche public obligatoire, en menaçant de s'en prendre aux enseignants et aux forces de sécurité, a indiqué M. Diallo citant des témoignages d'autochtones. Interpellé samedi dernier au Parlement, le ministre nigérien de l'Intérieur Mohamed Bazoum a déclaré que deux opérations militaires étaient en cours depuis une dizaine de jours pour juguler l'insécurité qui a atteint "son paroxysme il y a deux semaines".
Dans le nord de Tillabéri, "des forces importantes" ont été déployées dans le cadre d'une opération militaire dénommée "Dongo" (la foudre en songhaï), et elles ont chassé "des terroristes" venus de Menaka (Mali) et qui collectaient la zakat, a affirmé le ministre. Dans le sud-ouest, un état-major tactique spécial a investi une petite forêt de la préfecture de Torodi, le long de la frontière avec le Burkina Faso et "tous les camps (des groupes armés) qui s'y trouvaient sont en train d'être nettoyés". Les soldats progressent pour investir une autre grande forêt, a-t-il détaillé. Le ministre a précisé à l'AFP que les groupes qui écument la zone très boisée de Torodi "ont la même filiation idéologique" que les groupes actifs dans le nord du Burkina Faso, notamment Ansarul Islam créé par un prêcheur local, Ibrahim Dicko, qui était proche du prédicateur malien Hamadoun Koufa, le fondateur de la Katiba Macina, un groupe jihadiste.
La situation sécuritaire s'est considérablement dégradée depuis trois ans au Burkina Faso, notamment dans ses régions nord et est, infiltrée par des groupes islamistes. Le Mali connaît une instabilité chronique depuis 2012, avec la présence de nombreux groupes jihadistes.
04/12/2018 >> Les attaques jihadistes se multiplient dans le nord et l’est du pays ces derniers mois. Attaques de gendarmeries, mines, embuscades: les forces de sécurité burkinabées sont directement exposées. Plus de 240 civils ou militaires ont été tués depuis 2015, selon un bilan officiel datant de la mi-octobre.
EDIT (26 février 2019)
Comment le djihad armé se diffuse au Sahel
par Yvan Guichaoua, maître de conférences sur les conflits internationaux à l'University of Kent et Héni Nsaibia, chercheur à The Armed Conflict Location & Event Data Project
The Conversation - 24 fev 2019
https://theconversation.com/comment-le-djihad-arme-se-diffuse-au-sahel-112244
Ceux qui s’intéressent à la guerre qui sévit au Mali depuis 2012 ont entendu plusieurs fois le même récit:
Lorsque les djihadistes sont venus d’Algérie au Mali, au début des années 2000, ils n’étaient qu’une poignée et étaient hautement vulnérables. Leur première base était située dans la région de Tombouctou. Ils ont depuis prospéré militairement et financièrement, au point d’occuper les trois grandes provinces du nord du Mali – Kidal, Gao, Tombouctou – pendant l’essentiel de l’année 2012. L’intervention militaire française Serval les a chassés des centres urbains. Mais ils ont essaimé dans les espaces ruraux, au-delà même des zones qu’ils tenaient en 2012. Aujourd’hui, les mouvements historiquement issus d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) ont pris pied dans le centre du Mali; ils opèrent au Burkina Faso, et, plus sporadiquement, au Niger. L’expansion géographique de leurs actions militaires est spectaculaire.
Commençons par quelques précisions méthodologiques.
Premièrement, la localisation des actions armées, par laquelle on mesure l’expansion géographique des mouvements djihadistes, n’est qu’un reflet imparfait des zones où ils sont de fait présents. Leurs attaques sont parfois éloignées de leurs bases, de même qu’ils ne commettent pas forcément d’action violente là où ils trouvent refuge. Il peut exister des "cellules dormantes" clandestines dans des endroits n’ayant pas connu d’incidents sécuritaires. Ces cellules dormantes sont, par définition, impossibles à placer sur une carte.
Deuxièmement, "présence" ne signifie pas "contrôle". Entre la présence clandestine et le contrôle effectif, il existe un continuum de relations variées entre un mouvement armé et son environnement local, physique et social.
Deux types d’explications dominent pour rendre compte de la diffusion de l’activité djihadiste armée au Sahel. L’un s’intéresse aux flux de recrutement des mouvements, l’autre s’appesantit sur des variables d’ordre tactique.
La question du recrutement est généralement traitée sous l’angle de la radicalisation, c’est-à-dire des processus qui conduisent des individus à rejoindre les mouvements armés et commettre des actes violents en leur nom. L’accent est alternativement mis sur les dispositions sociologiques ou psychologiques de ces individus et sur les stratégies qu’adoptent les groupes armés pour les enrôler. Les dimensions territoriale et collective – et donc spécifiquement politique – de ces processus sont généralement reléguées à l’arrière-plan.
L’autre angle d’approche de la diffusion géographique de l’insurrection armée est familier des militaires. Il fait la part belle à la topographie du théâtre de guerre. Les insurgés vont là où ils ont le moins de chance d’être atteints par les forces contre-terroristes, dans les montagnes, les marécages ou les forêts denses. Exemple désormais connu: le prosopis juliflora est devenu un allié de choix de Boko Haram. Mais les stricts déterminismes géographiques ne suffisent pas à expliquer l’implantation d’un mouvement armé. Les montagnes offrent de nombreuses cachettes, encore faut-il y être approvisionné en carburant, nourriture, connaître les passages protégés entre deux abris, etc. Tout choix d’implantation géographique implique nécessairement une insertion sociale locale, des connexions humaines opérationnellement utiles.
Des cheminements collectifs
Dans l’intervalle situé entre processus individuels de radicalisation et choix tactiques façonnés par les caractéristiques physiques des théâtres armés, il existe un espace sous-étudié au Sahel, celui de l’interaction collective entre les mouvements armés et leur environnement social immédiat. Rejoindre les groupes armés ou coopérer avec eux est aussi le produit de cheminements collectifs.
Il n’existe pas, à notre connaissance, de revue systématique des raisons pour lesquelles, au Sahel, des groupes humains se rangent ensemble derrière la bannière djihadiste. Il existe, en revanche, beaucoup d’éléments empiriques pavant la route d’une telle démarche. C’est le cas du travail de Tor Benjaminsen et Boubacar Ba qui montre comment des segments des sociétés pastorales du centre du Mali embrassent la cause djihadiste pour des raisons d’accès à la terre, de défiance vis-à-vis des politiques étatiques, mais aussi pour subvertir les hiérarchies rigides de leur propre communauté. Un précédent article consacré à la région de Tillabéry, au Niger, exposait comment le djihad sert de véhicule à des rivalités communautaires alimentées par du vol de bétail. Ailleurs, comme dans le sud-ouest du Burkina Faso, ce sont des groupes criminels qui rejoignent les rangs djihadistes.
Déstabiliser l’ennemi
Sur un plan strictement tactique, les états-majors connaissent le coût exorbitant que fait peser sur les dispositifs anti-terroristes l’expansion géographique des actions armées. Des sommes colossales doivent être engagées pour déployer des moyens militaires sur des zones auparavant épargnées par les violences. Plus l’étendue à couvrir par les armées régulières est grande, plus les ressources de l’entreprise contre-terroriste sont mises sous tension. Les hommes et le matériel souffrent. Les budgets de la défense ne sont pas illimités.
Les armées du G5 Sahel – l’organisation régionale censée assurer la sécurité des frontières communes du Tchad, du Niger, du Burkina Faso du Mali et de la Mauritanie – ne sont pas prêtes. La France, via l’opération Barkhane et ses forces spéciales, dispose de la seule force régionale véritablement efficace et remporte d’incontestables victoires tactiques, éliminant un à un les commandants djihadistes. Mais elle s’expose aussi de plus en plus aux accusations d’ingérence. Étirer l’étendue du champ de bataille est le plus sûr moyen pour les djihadistes de déstabiliser leur ennemi. Cette tactique permet aussi d’activer dans de nouveaux endroits des réseaux antérieurement constitués par les djihadistes déjà enrôlés et originaires de ces zones.
Armer les clivages locaux
Au plan politique, le "succès" des djihadistes tient dans leur capacité à faire percoler des griefs collectifs hétéroclites. Ils arment, littéralement, les clivages locaux existants, préalablement exprimés de manière non violente ou restés silencieux du fait d’un rapport de forces défavorable, puis les re-labellisent en tant que djihad armé. Ils utilisent souvent la coercition et l’intimidation. Mais ils s’efforcent aussi de persuader, patiemment, par le bas, les communautés de la supériorité de leurs normes de gouvernance là où l’État n’a généralement pas brillé par sa compétence ni son impartialité.
En somme, ils font de la politique au plus près des acteurs. Ces approches ne marchent pas à chaque fois, loin s’en faut. Aucune communauté n’est monolithique et ne s’offre sans conditions ni déchirements internes douloureux aux hommes en armes. Ne pas abandonner ces communautés est une responsabilité essentielle des États de la région.
Dans les conférences internationales sur la sécurité au Sahel mêlant militaires, diplomates ou analystes, peu de phrases sont plus ressassées que « nous ne gagnerons pas la guerre sans le concours des populations ». Peu de phrases sont aussi dramatiquement démenties par la pratique.
Ces derniers mois, le contre-terrorisme a emprunté des voies hautement dangereuses, couvrant des massacres contre les civils, entretenant des liens ambigus avec des milices coupables d’exactions, ou alimentant des amalgames à l’égard de communautés entières. Les exemples abondent, qu’il s’agisse du Mali, du Burkina Faso, ou, plus anciennement, du Nigéria. Ces pratiques sont autant d’arguments tendus sur un plateau aux djihadistes pour obtenir des soutiens locaux.
Les djihadistes apparaissent, pour l’heure, comme de meilleurs sociologues et politiciens que les représentants de l’État. Ne pas tirer les conséquences de ce constat, c’est gravement compromettre les chances de l’État de construire localement sa légitimité.
La menace complexe et croissante des groupes islamistes militants au Sahel
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, rapporté par Tamoudre - 21 fev 2019
http://www.tamoudre.org/geostrategie/la-menace-complexe-et-croissante-des-groupes-islamistes-militants-au-sahel/
Compilé par le Centre d’études stratégiques pour l’Afrique, ce graphique montre les événements violents impliquant les groupes actifs en 2018.
https://africacenter.org/wp-content/uploads/2019/02/Sahel-MIG-2018-FR-map.png
Les données sur les attaques ou les décès ne font pas la distinction entre les auteurs des événements. Les listes de groupes sont uniquement destinées à des fins d’information et ne doivent pas être considérées comme des désignations officielles. En raison de la nature fluide de nombreux groupes, les affiliations répertoriées peuvent changer. [Sources: Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), Menastream, Groupe de renseignement SITE, Consortium de recherche et d’analyse sur le terrorisme (TRAC)]
– Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimeen (JNIM). Le JNIM, fondé en mars 2017 et dirigé par le chef de Ansar Dine, Iyad Ag Ghalyest est la coalition des groupes islamistes militants suivants:
* Ansar Dine – Fondé par Iyad Ag Ghaly, après avoir échoué à devenir le dirigeant du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), qui militait pour faire sécession du Mali en 2012, le groupe opère dans la région de Kidal.
* Front de libération du Macina (FLM) – Fondé en 2015 par Amadou Koufa (présumé mort) et opérationnel dans la région de Mopti. Le groupe comprendrait notamment d’anciens membres du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
* Katiba Serma – Dirigé par Abu Jalil al Fulani et opérationnel dans la région de Serma entre Gao et Mopti, le groupe est un sous-groupe semi-autonome de FLM.
* AQIM Sahara – Branche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dirigée par Djamel Okacha (al-Yahya Abu al Hammam). Le groupe est actif à travers le Mali et le sud-ouest du Niger.
* Al Mourabitoun – Dirigé par Hasan al Ansari (décédé) après que son cofondateur, Mokhtar Belmokhtar, ai disparu (passé dans la clandestinité ou mort). Al Mourabitoun est la fusion du groupe "Ceux qui signent par le sang" (El-Mouaquiine Biddam) de Belmokhtar et MUJAO. C’est le groupe le plus actif dans la région autour de Gao.
– Ansaroul Islam – Fondé en 2016 par Malaam Ibrahim Dicko (décédé) et basé dans la province du Soum au Burkina Faso. Le groupe a étendu ses opérations plus au sud du pays en 2018.
– État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) – Fondé en mai 2015 par Abu Walid al Sahrawi, ancien membre de la faction du MUJAO, devenu al Mourabitoun. L’activité du groupe s’étend le long des frontières communes du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
– Katiba Salaheddine – Fondée par le sultan Ould Badi, ancien membre d’AQMI et co-fondateur du MUJAO en 2011. Badi s’est allié à al Sahrawi de l’ISGS, un associé de son temps avec le MUJAO en 2016.
– Non affiliés – Groupes islamistes militants actifs qui ne peuvent ou ne veulent pas revendiquer la responsabilité de leurs attaques.
Points clés
Un bilan des événements violents impliquant des groupes islamistes militants au Sahel entre 2010 et 2018 montre que:
- Le nombre d’événements violents signalés liés à l’activité d’un groupe islamiste militant au Sahel a doublé chaque année depuis 2016 (de 90 en 2016 à 194 en 2017 à 465 en 2018). Les décès signalés liés à des groupes islamistes militants ont également doublé ces dernières années (de 218 en 2016 à 529 en 2017 à 1.110 en 2018).
-La violence à l’encontre des civils s’est également accrue. Les actes de violence à l’encontre de civils signalés sont passés de 18 en 2016 (soit 20 % de tous les épisodes de violence) à 39 en 2017 et ont atteint 160 en 2018. La violence à l’encontre de civils a représenté environ 34 % de tous les actes de violence signalés liés à des groupes islamistes militants au Sahel en 2018.
- Le Mali reste le foyer le plus important de ces violences, représentant environ 64 % des événements signalés au Sahel en 2018.
- L’augmentation de l’activité reflète la capacité opérationnelle et la coopération accrues des groupes islamistes militants de la région. Environ la moitié de tous les actes de violence en 2018 sont liés à la coalition Jama’at Nusrat al Islam Wal Muslimin (JNIM), formée en mars 2017. Le Front de libération de Macina (FLM) était associé à plus de 40 % de l’activité du JNIM en 2018. Deux des groupes militants les plus récents, l’Etat islamique du Grand Sahara (ISGS) et Ansaroul Islam, sont liés respectivement à 26 % et 15 % de tous les événements violents signalés au Sahel depuis le début de 2018.
- Après des années passées à éviter la violence islamiste militante, le Burkina Faso a connu une croissance rapide du nombre d’événements rapportés (de 3 en 2015 à 12 en 2016, 29 en 2017 à 137 en 2018).
- Les groupes islamistes militants du Sahel opèrent généralement dans des concentrations géographiques distinctes. Quatre théâtres se démarquent:
JNIM au centre et au nord du Mali, Ansaroul Islam dans les environs de Djibo au Burkina Faso, EIGS le long de la frontière Mali-Niger, JNIM et EIGS dans l’est du Burkina Faso
Une analyse chronologique met en évidence l’accélération rapide des épisodes de violence liés aux groupes islamistes militants au Sahel en 2018. Avant 2012, un seul groupe islamiste militant, AQMI, opérait au Mali. En 2018, plus de 10 groupes étaient actifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Les épisodes de violence en 2018 ont dépassé toutes les activités observées entre 2009 et 2015.
Nombre de décès au Sahel par année, depuis 2009:
https://africacenter.org/wp-content/uploads/2019/02/Nombre-de-deces-au-Sahel-par-annee.png
12/05/2019 >> Depuis 4 ans, le Burkina Faso est confronté à des attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières. La pauvreté et la fragilité des institutions en font une zone poreuse à l'influence jihadiste. Enclavé entre 6 frontières dont celles du Mali et du Niger, le Burkina Faso est dans l'oeil du cyclone des crises régionales.
10/12/2019 >> 128 tués dont 71 soldats dans une attaque jihadiste contre un camp militaire à Inates à l'ouest du Niger. C'est le plus lourd bilan subi par l'armée nigérienne depuis 2015. Le nord de la région de Tahoua et la région voisine de Tillabéri sont la cible d'attaques de plus en plus fréquentes, menées par des jihadistes venus du Mali.