Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
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dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.
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Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour :
24.12.2025
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Situation tendue autour d'une décharge de déchets polluants près de Moscou
par Maxime Popov
AFP, Yahoo! actualités - 30 mar 2018
https://fr.news.yahoo.com/russie-situation-tendue-autour-dune-decharge-dechets-polluants-115225743.html
MOSCOU - Les autorités russes tentaient vendredi de calmer la colère d'habitants d'une petite ville près de Moscou, qui ont manifesté par milliers pour réclamer la fermeture d'une décharge de déchets polluants dont les émissions avaient provoqué l'hospitalisation d'enfants. Les actions de protestations liées à la présence de décharges se sont multipliées ces dernières semaines dans plusieurs villes situées autour de la capitale russe, où la colère est alimentée par l'impression des habitants d'être "des citoyens de seconde zone".
A Volokolamsk, ville de 20.000 habitants située à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Moscou, où la situation est la plus aiguë, la mairie a annoncé avoir commencé à distribuer des masques respiratoires à la population et mis en place un plan de surveillance de la situation, selon les agences russes. Les autorités ont également assuré que les habitants souffrant de problèmes respiratoires pourraient se faire soigner dans des sanatoriums. Le ministère russe des Situations d'urgence a néanmoins jugé qu'il n'y avait "pas de nécessité" de mettre en place un régime d'exception ou d'organiser l'évacuation des habitants. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a pour sa part indiqué que le président Vladimir Poutine suivait la situation et était "en contact permanent" avec les autorités locales. "Il s'agit d'un problème complexe, qui ne peut pas être résolu en une nuit. Le travail se poursuit", a déclaré M. Peskov aux journalistes.
Les habitants de Volokolamsk dénoncent depuis des mois les nuisances liées à la décharge voisine de Iadrovo, mise en exploitation en 1979, et dont les émissions toxiques ont affecté une cinquantaine d'enfants le 21 mars. Plusieurs milliers de personnes se sont encore rassemblées jeudi devant la mairie pour réclamer la mise en place d'un régime d'exception et la fermeture de la décharge. Les autorités ont promis de recouvrir la décharge de terre d'ici la fin du mois et d'installer un système de dégazage en juin. Mais la situation continue de s'aggraver: de nouvelles émissions toxiques ont eu lieu dans les nuits de mercredi et jeudi, forçant les autorités à reporter les cours dans les écoles. Une nouvelle manifestation pour réclamer des mesures de la part des autorités est prévue dimanche à Volokolamsk.
Inspirés par l'exemple de Volokolamsk, des manifestations exigeant la fermeture de décharges ont eu lieu dans plusieurs autres villes de la ceinture entourant Moscou, où sont emmenés les déchets générés par la géante capitale russe. A Kolomna, ville de 140.000 habitants à une centaine de kilomètres au sud-est de Moscou, plus d'une centaine de personnes tentent depuis une semaine de bloquer nuit et jour la circulation des camions sur la route menant à la décharge de produits ménagers "Volovitchi". Selon l'ONG OVD-Info, spécialisée dans le suivi des arrestations, une trentaine de manifestants ont été brièvement interpellés par la police mercredi à Kolomna avant d'être relâchés. Trois d'entre eux ont été inculpés pour trouble à l'ordre public ou refus d'obtempérer. "Nous sommes comme des citoyens de seconde zone. Pourquoi devons nous être traités plus mal que les autres ? Pourquoi devons nous être traités plus mal que les Moscovites ?", s'indigne une manifestante dans un dialogue avec un responsable local, selon une vidéo diffusée sur internet. D'autres villes, comme Kline au Nord-ouest de Moscou, craignent pour leur part que la situation autour de leur propre décharge n'empire après les promesses faites par les autorités de régler la situation à Volokolamsk
Face à la multiplication des plaintes de Russes mécontents dans tout le pays ces derniers mois, les autorités ont reconnu que le système de mesure de la qualité de l'air était défaillant dans le pays. Faute de financements, ce système est tout simplement absent ou caduc faute d'avoir été modernisé depuis la chute de l'URSS. Ces protestations s'inscrivent dans un contexte social particulièrement tendu en Russie après un incendie ayant fait 64 morts dont 41 enfants dimanche à Kemerovo en Sibérie, qui a soulevé une vague de colère dans tout le pays face aux violations choquantes des normes de sécurité constatées par les enquêteurs.
La Russie malade de ses déchets
par Anton Ramov
Le Courrier de Russie - 28 mar 2018
https://www.lecourrierderussie.com/societe/2018/03/des-dechets-encombrants/
À peine l’élection présidentielle s’était-elle achevée en Russie qu’un scandale éclatait dans la petite ville de Volokolamsk (à 120 km de Moscou), où 57 enfants se retrouvaient à l’hôpital, présentant des signes d’empoisonnement (nausées, maux de tête, troubles de l’orientation). Raison supposée : des émanations de gaz en provenance du centre de déversement de déchets de Iadrovo, situé à seulement 4 km des écoles primaires et secondaires de l’agglomération. Le problème du traitement des déchets en Russie, soulevé depuis longtemps par les experts, resurgit avec une acuité toute particulière.
Le 21 mars, entre 800 et 1.200 habitants de Volokolamsk se sont rassemblés spontanément devant l’hôpital municipal. Les manifestants en colère ont presque agressé le responsable du district, Evgueni Gavrilov (lui arrachant ses lunettes et déchirant son blouson), ils ont lancé des boules de neige sur le gouverneur de la région, Andreï Vorobiev, et tenté de bloquer l’entrée de la déchetterie d'Iadrovo. Les autorités régionales ont interdit l’accès au site et promis d’aider financièrement les familles touchées en envoyant leurs enfants se faire soigner et se reposer dans des centres spécialisés. La région a aussi fait savoir qu’une entreprise hollandaise viendrait, en urgence, se charger de la décontamination de la décharge.
Le pays produit chaque année environ 60 millions de tonnes de déchets ménagers solides, dont 20 % à Moscou (7,9 millions de tonnes). La capitale en entrepose plus de 90 % dans ses banlieues, dans des décharges à ciel ouvert. Par ailleurs, elle ne possède que trois incinérateurs (construits en 1975, 1983 et 2003), capables de traiter seulement 1 million de tonnes de déchets par an. Près de 10 millions de tonnes d’ordures sont ainsi entassés, chaque année, dans la région de Moscou. Aujourd’hui, l’État se voit contraint de réagir: les écologistes dénoncent les nuisances environnementales et la population, inquiète pour sa santé, organise des actions de protestation.
Les déchets au temps de l’URSS et ensuite - L’idée de déverser les déchets ménagers dans des zones dédiées à cet effet est un héritage de l’époque soviétique. Mais l’URSS produisait dix fois moins d’ordures que la Russie d’aujourd’hui. Dans la société soviétique, coupée du reste du monde et où régnait la pénurie, la possession du moindre bibelot en provenance d’Occident conférait à son propriétaire un certain statut social et celui-ci n’était pas pressé de s’en séparer. Même les sacs en plastique étrangers, ornés de logos de grandes marques occidentales, étaient considérés comme des objets de prestige: les Soviétiques, surtout dans les dernières années de l’URSS, les lavaient soigneusement et les réutilisaient à l’infini. Le pays s’était en outre doté d’un vaste système étatique de collecte de matières premières secondaires (vieux papiers, verres consignés, chutes de métal, etc.), qui étaient ensuite envoyées au recyclage.
Avec l’effondrement de l’URSS et le passage au libéralisme économique, le marché a été inondé de toutes sortes de marchandises et de produits, alors que le système de collecte des matières recyclables était abandonné. Le pays s’est mis à produire de plus en plus de déchets solides, et les autorités n’avaient plus ni le temps ni les moyens de s’occuper de leur élimination. Rapidement, ce vide a été occupé par des groupes mafieux qui, dans de nombreuses régions du pays, ont monopolisé la collecte des déchets et leur déversement dans des décharges, sur le "modèle soviétique". Résultat: on a vu fleurir un peu partout de gigantesques dépotoirs, tandis que le secteur continuait de fonctionner "au noir", sans que personne n’investisse sérieusement dans son développement et sa modernisation. Précisons que ces « rois des poubelles » envoyaient tous leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.
Brûler plutôt qu’enfouir - En juin 2017, lors de la "Ligne directe", l’émission télévisée annuelle du président Poutine, les habitants de la ville de Balachikha, qui abritait l’un des plus gros sites de déversement de déchets du pays (jusqu’à 600 tonnes par an), se sont plaints de la catastrophe écologique qu’ils subissaient quotidiennement. Vladimir Poutine a alors exigé la fermeture immédiate de la décharge, et le maire de Balachikha a été limogé.
Cependant, le fait du prince ne suffit pas à résoudre un problème systémique. Il faut bien entreposer les déchets quelque part. A la fin des années 2000, la région de Moscou a ainsi fermé 24 de ses 39 décharges, leur capacité maximale ayant été atteinte. Les décharges sauvages se sont multipliées le long des autoroutes de la banlieue de Moscou: 52 était recensées en 2017. À la fin de janvier 2018, le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, a annoncé le lancement accéléré de la construction de trois incinérateurs, pour une mise en service d’ici à 3 ou 4 ans.
Le projet, qui doit permettre de réduire de 30 % le volume des déchets déversés dans la région de la capitale, est géré par l’entreprise RT-Invest, contrôlée par l’entreprise publique Rostec (que préside Sergueï Tchemezov, proche du président Poutine). Chacun des incinérateurs devra être en mesure de traiter un total de 700.000 tonnes de déchets par an, qui, en brûlant, produiront chaque année 70 MW d’électricité. Une énergie extrêmement coûteuse pour l’État: 7 fois plus chère que celle d’une centrale nucléaire.
Et cela ne résout pas tous les problèmes liés au traitement des déchets solides. Avant d’être brûlées, les ordures doivent être triées par ceux qui les produisent: les Moscovites. Ces derniers vont-ils désormais respecter les contraintes du tri sélectif qu’ils ont, pour la plupart, ignoré superbement jusqu’à aujourd’hui ? « Les équipements prévus sont de bonne qualité, ils ont fait leurs preuves en Europe… Mais là-bas, on respecte à la lettre les consignes de triage, à toutes les étapes », souligne Igor Mazourine, expert de l’Institut énergétique de Moscou, cité par le quotidien Kommersant.
Moscou à l'avant-garde - Mis à part une poignée d’enthousiastes et de militants de Greenpeace, personne, en Russie, ne prend réellement le problème au sérieux. On a plusieurs fois tenté d’introduire le tri sélectif à Moscou. Mais les habitants de la capitale continuent de jeter dans les mêmes conteneurs sacs en plastique, thermomètres au mercure, lampes à incandescence, piles électriques usagées, gadgets électroniques obsolètes et déchets médicamenteux… Selon le département municipal de l’exploitation des ressources naturelles, seuls 30 % des Moscovites seraient prêts à passer au tri sélectif et seulement 8 % d’entre eux seraient équipés de conteneurs adéquats. Les autorités municipales ont, quant à elles, tendance à n’agir en la matière que pour la forme… Si des conteneurs ont bien été installés au pied des immeubles, leur contenu, lors de l’enlèvement, est souvent déversé dans une seule et même benne !
EDIT (16 mai 2018)
Submergée de déchets, Moscou étouffe
AFP, Sciences & Avenir - 15 mai 2018
https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/submergee-de-dechets-moscou-etouffe_123910
Moscou étouffe: les déchets qui s'accumulent dans les décharges, avec leurs odeurs incommodantes et leurs rejets toxiques, insupportent les habitants de la périphérie de la capitale russe. Et l'incinération, solution brandie par les autorités, est loin de satisfaire tout le monde. La Russie produit près de 70 millions de tonnes de déchets par an, selon les estimations de l'organisation écologiste Greenpeace. Le tri sélectif n'existe que dans une centaine de villes russes et la plupart des déchets s'accumulent depuis des décennies dans des décharges de plus en plus polluantes.
"La Russie semble réaliser la prédiction (du physicien) Niels Bohr selon laquelle l'humanité mourra en étouffant sous ses propres déchets", ironise un responsable de Greenpeace-Russie, Alexeï Kisseliov. Selon Greenpeace, au cours des 10 dernières années, le volume des déchets en Russie a augmenté de 30 %. Seuls 2 % de ces déchets sont incinérés et 7 % recyclés, tandis que le reste est stocké dans les décharges.
Dans les environs de Moscou, 24 décharges ont été fermées au cours des 5 dernières années pour cause d'insalubrité, tandis que 15 autres - d'énormes montagnes puantes à ciel ouvert - continuent à recevoir de nouvelles masses de déchets polluants non triés. "La plupart ont été créées il y a 50 ans, sans aucune technologie de traitement du gaz et des eaux usées" qui en découlent, reconnait le ministère local de l’Écologie. Ce problème a fait irruption dans le débat public il y a un an, lorsque les habitants de Balachikha, une ville à 6 km à l'ouest de Moscou, étouffant sous les odeurs d'une décharge avoisinante, ont demandé sa fermeture au président Vladimir Poutine lors d'une cession de question-réponses à la télévision. Les expressions de mécontentement se multiplient depuis, parfois avec une virulence très rare dans une Russie où toute protestation est accueillie avec fermeté par le pouvoir.
Fin mars, une cinquantaine d'enfants ont dû recevoir une assistance médicale à Volokolamsk, au nord-ouest de Moscou, après avoir été intoxiqués par un gaz émanant d'une décharge proche. Des milliers d'habitants ont alors manifesté, un fait rare en Russie, pour réclamer sa fermeture. La Russie s'est ensuite adressée aux Pays-Bas en demandant de lui fournir un système pour neutraliser les gaz toxiques, faute de technologie russe efficace dans ce domaine. Selon les experts, près de 11 millions de tonnes de déchets s'accumulent chaque année rien que dans les alentours de Moscou, soit 16 % de tous les déchets du pays. "Le plus grave, c'est que personne ne fait attention au problème tant qu'il n'y a pas une émission de gaz, une fuite d'eau polluée ou un incendie dans une décharge", déplore M. Kisseliov.
Face à cette catastrophe écologique, le gouvernement russe a promis de construire 5 usines d'incinération des déchets: 4 dans la région de Moscou et une à Kazan, sur la Volga. Les deux premières usines, en mesure d'incinérer 700.000 tonnes de déchets par an et de produire chacune 70 MWs d'électricité, doivent être terminées en 2021 à Voskressensk, dans le sud-est de Moscou, et à Naro-Fominsk, dans le nord-est. L'objectif, c'est de mettre fin au stockage des déchets dans les décharges", explique Andreï Chipelov, directeur de la société RT-Invest qui développe le projet. Les travaux doivent débuter dans les prochaines semaines, mais la population locale a multiplié les actions de protestation, craignant un impact négatif sur l'environnement. "Nous voulons des usines de recyclage et non des usines d'incinération", s'insurge une habitante de Naro-Fominsk, Marina Melnikova.
Comme d'autres habitants de sa ville, qui ont réuni 4.000 signatures contre le projet transmises au président Poutine, Marina avoue craindre la pollution par les dioxines cancérogènes qui pourraient émaner des rejets de l'usine. "Il faut bien résoudre le problème des déchets. Mais pourquoi commencer par le dernier maillon de la chaîne ? Où est le recyclage et le tri ?", s'interroge un militant communiste, Igor Vavilov. Le 14 avril, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes de la région de Moscou pour réclamer la fermeture et la réhabilitation des décharges. Plusieurs milliers de manifestants ont aussi dénoncé la construction des incinérateurs.
M. Chipelov, le directeur du projet, rejette ces accusations, assurant qu'il s'agit "des technologies les plus sophistiquées" développées par le groupe suisso-japonais Hitachi Zosen Inova, qui a déjà construit 500 incinérateurs dans différents pays, soit un tiers de toutes les usines de ce type dans le monde. "Ces usines ne sont absolument pas dangereuses. Ni les dioxines, ni d'autres éléments dangereux n'émaneront de l'usine", promet M. Chipelov. "Les hautes températures permettront de détruire les dioxines les plus dangereuses dans le réacteur", affirme-t-il. Les écologistes sont pour leur part convaincus que le développement de l'incinération n'est pas la meilleure solution en Russie, comme l'explique M. Kisseliov: "A quoi bon créer une nouvelle source de pollution, alors que nous pouvons résoudre le problème avec des usines de retraitement ?"
02/02/2019 >> Parti d’Arkhangelsk, au bord de la mer Blanche, la "révolte des déchets" s’est étendue à 25 autres régions où des marches étaient prévues le 3 février. Ecologistes et citoyens excédés s’opposent un décret, signé par Poutine à la mi-janvier, qui crée une agence nationale, des antennes régionales et le recours à des sous-traitants. 80 % des régions auraient déjà adopté ce système, moyennant des charges supplémentaires. Ses opposants dénoncent des tarifs prohibitifs et un manque de transparence dans un pays où la corruption est partout présente.
EDIT (13 juin 2019)
En Russie, la population s’oppose farouchement à un projet de décharge
Reportage de Estelle Levresse
Reporterre - 13 jun 2019
https://reporterre.net/En-Russie-la-population-s-oppose-farouchement-a-un-projet-de-decharge
Gare de Shies (région d’Arkhangelsk, Russie) - Au milieu des bouleaux qui s’étendent à perte de vue, les 50 hectares de forêts déjà arrachés défigurent le paysage. Pour s’en rendre compte, il suffit de grimper sur l’une des énormes montagnes de sable ou de gravier stocké aux abords du chantier.
C’est un projet qui rend fous les habitants de la région depuis bientôt un an: la construction en pleine taïga d’une gigantesque décharge — 300 hectares au départ, qui pourrait aller jusqu’à 3.000 selon les documents de la société Technopark — destinée à accueillir et à stocker une partie des ordures de la ville de Moscou. Un demi-million de tonnes par an, acheminées par train jusqu’à Shies, ancienne gare soviétique réhabilitée pour l’occasion. On est à plus de 1.000 km au nord-est de la capitale russe, à la frontière entre la région d’Arkhangelsk et la République des Komis — deux immenses territoires russes très peu peuplés.
Les travaux ont démarré l’été dernier dans le plus grand secret après un accord passé entre le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, et le gouverneur de la région d’Arkhangelsk, Igor Orlov. Au mépris de toutes les règles du droit, sans étude préalable, ni autorisation officielle, ni réunion d’information.
Dans cette région rurale, la population est très attachée à la nature et souvent dépendante de ses ressources. « Les gens chassent, pêchent, cueillent des baies ou des champignons puis vendent leur récolte ou font des réserves, explique Elena Soloviova, journaliste à Syktyvkar, la capitale des Komis. Les travaux ont très vite été découverts par des habitants d’un village proche. Puis, les ouvriers du chantier ont lâché le morceau ».
L’opposition au projet a été immédiate. Habitants et activistes ont décidé d’occuper le terrain pour empêcher la construction. Progressivement, ils ont créé plusieurs postes de contrôle sur les voies d’accès au chantier puis bloqué les livraisons de carburant. « Cela a commencé dès le mois d’octobre [2018], on a installé une roulotte avec une parabole à Shies pour surveiller et filmer tout ce qui se passait, relate une habitante. Les ouvriers travaillaient 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, même pendant les fêtes de fin d’année ».
Et le mouvement a pris de l’ampleur. À proximité du chantier, le plus gros campement compte désormais une cinquantaine de personnes, qui s’y relaient quotidiennement, jusqu’à 300 les fins de semaine. Des gens venus parfois de loin, y compris de Saint-Pétersbourg et de Moscou, pour apporter leur soutien. Parmi eux, la majorité sont de simples citoyens en colère.
Irina vit à Madmas, le village le plus proche de Shies, à une vingtaine de kilomètres. « J’ai un enfant. Je ne veux pas qu’il vive dans cet environnement. Je veux qu’il respire un air propre, dit-elle avec ressentiment. J’ai construit une maison. Qu’est-ce qu’elle vaudra quand j’aurai une décharge sous mes fenêtres ! » La crispation est d’autant plus grande qu’il s’agit des déchets de la capitale. « Les gens ont le sentiment qu’on prélève toutes les ressources des régions — ici, le gaz et le pétrole — et qu’ils ne récupèrent rien car tout l’argent part à Moscou, dit Elena Solovovia. Cette rancune est forte et ancienne. »
Les opposants au projet viennent pour la journée, une nuit ou deux. Ils apportent des vivres, des vêtements, des bottes en caoutchouc, du matériel, construisent des abris, installent des tentes... « Il n’y a pas de leaders, pas d’organisation spécifique », affirme un visiteur régulier venu de Kotlas, un village situé à 150 km. Certains préparent les repas, d’autres coupent du bois ou vont chercher de l’eau… « Je ne connaissais personne avant de venir. J’ai trouvé les infos sur Internet, confie un homme d’une cinquantaine d’années. Je suis venu pour ma petite-fille ». Vladimir Goncharov, la quarantaine, est professeur d’histoire à Syktyvkar. C’est la deuxième fois qu’il fait le déplacement. « En tant qu’enseignant, je me dois de montrer l’exemple. Comment tu peux dire que tu aimes ta patrie si tu ne fais rien pour la défendre ? C’est pour ça que je suis ici ! »
L’accès au site n’est pas simple. En train, il faut compter 4 heures depuis Syktyvkar. En voiture, les derniers kilomètres se font sur des routes forestières abandonnées, puis il faut marcher plusieurs kilomètres sur des chemins de forêt boueux. Mais on s’entraide, on fait du covoiturage… et à chaque point de contrôle, on discute, on se donne les dernières nouvelles.
Pour être là et oser affirmer son opposition, il faut du courage. Sergueï, père de deux enfants, arrive de Iémva, à 160 km. « Beaucoup de gens ne viennent pas car ils ont peur de perdre leur travail. Mais ils doivent réfléchir. Si une décharge est construite ici, dans quinze ans, quand leurs petit-enfants leur demanderont un verre d’eau, ils ne pourront pas leur donner. Car il n’y en aura plus ! »
Parallèlement à ces actions in situ, les activistes multiplient les manifestations à Syktyvkar et Arkhangelsk, les deux capitales régionales, réclament la démission des gouverneurs locaux, déposent des recours, écrivent des plaintes et des réclamations devant toutes les instances possibles… Ils ont également créé le Comité de défense de la Vychegda, organisation sociale et écologique regroupant les militants de la région d’Arkhangelsk et de la République des Komis et sont très actifs sur les réseaux sociaux, où ils publient articles et vidéos.
Outre l’illégalité du projet, ils alertent sur la menace de « catastrophe écologique ». Les déchets — non triés — doivent être compactés et emballés avec un film plastique sous la forme de gros cylindres, comme des bottes de foin. Les opposants craignent que ces « paquets » ne supportent pas le climat très rude de la région. Avec les forts écarts de température — de - 40 °C en hiver à + 30 °C en été —, ils risquent de se décomposer et de s’infiltrer dans les sols. Or, le chantier est situé sur une zone marécageuse, irriguée de nombreux cours d’eau. « Regardez sur une carte. Les cours d’eau rejoignent la rivière Vychegda, qui se jette elle-même dans la Dvina septentrionale pour aller jusqu’à la mer Blanche. Cette décharge va polluer toute la région », se désole Guennadi Sidiourov présent sur le camp.
Les autorités régionales ont longtemps nié les problèmes en assurant que le projet n’aurait aucune conséquence sur l’environnement et que la population était simplement mal informée. Elles ont également promis des fonds pour la construction et la rénovation d’écoles et d’hôpitaux.
Interpellé sur la situation le 16 mai à Sotchi, Vladimir Poutine, le président de la Fédération de Russie, a été contraint de prendre position. « La population locale doit être écoutée. (…) Je vais discuter avec le maire de Moscou et le gouverneur de la région. » L’administration du président a ensuite annoncé un arrêt du chantier à compter du 15 juin, afin de mener les enquêtes nécessaires. Mais les gens n’y croient plus. « Poutine est un menteur. Il ment comme il respire », déclare un habitant.
À Shies, avec le blocage des livraisons de carburant, le chantier est déjà considérablement ralenti depuis fin février. Et la situation est de plus en plus tendue. La police et les brigades antiémeutes, vêtues de gilet pare-balle et de cagoules noires sont désormais présentes en permanence sur le site. Des activistes sont régulièrement arrêtés et punis d’amendes. Ces derniers signalent de plus en plus de violences de la part des gardes de sécurité. « Ils n’ont pas le droit de taper des citoyens mais ils ne sont pas sanctionnés pour ces agissements, souligne Elena Volovia. Il semble que la police leur ait donné carte blanche ».
« Tout ceci n’est qu’une histoire d’argent », résume la journaliste. « Une triste histoire » de contrats extrêmement juteux qui profiteraient à quelques oligarques proches du pouvoir. « La gestion des déchets demande un investissement sur le long terme. Le gouvernement a lancé une grande réforme, qui consiste simplement à prélever une nouvelle taxe aux citoyens. Ils perçoivent cet argent et nous envoient leurs déchets. Voilà toute leur réforme ! »
Plus nombreux et plus déterminés que jamais, les défenseurs du territoire de Shies sont prêts à aller jusqu’au bout pour stopper le projet de décharge. « Au-delà de l’écologie, c’est une question de vie ou de mort pour eux. Il faut comprendre que la plupart des habitants ont acheté leur maison, ils sont endettés, ils ne peuvent pas partir, analyse Viktor Vishnevetsky, l’un des leaders de la contestation à Syktyvkar. Il n’y a qu’une seule issue, fermer cette construction illégale. Je suis convaincu qu’on va gagner ».
EDIT (10 novembre 2020)
En Russie, la ténacité des opposants conduit à l’abandon d’un projet de décharge géante
par Estelle Levresse
Reporterre - 09 nov 2020
https://reporterre.net/En-Russie-la-tenacite-des-opposants-conduit-a-l-abandon-d-un-projet-de-decharge-geante
MOSCOU - Après plus de deux ans de bataille, dans la région d’Arkhangelsk, habitants et activistes sont parvenus à stopper les travaux de construction d’une décharge destinés aux déchets de la région de Moscou. La société Technoparc a promis de reboiser la zone défrichée.
Feux d’artifice, brochettes, chants autour du feu… Une cinquantaine de personnes s’est réunie sur le campement à Shies, les 31 octobre et 1er novembre, pour célébrer la victoire: l’abandon de la construction en pleine taïga d’une gigantesque décharge destinée à stocker un demi-million de tonnes de déchets moscovites chaque année. Le 26 octobre, le tribunal d’arbitrage de la région d’Arkhangelsk a déclaré la construction illégale et a ordonné le démontage — sous 30 jours — de toutes les installations présentes sur le site. Il confirme ainsi une décision de janvier 2020, qui a été contestée en appel par la société chargée du projet Technoparc.
En ce week-end d’automne, le froid et les premiers flocons de neige n’ont pas découragé les visiteurs, bien au contraire. Certains ont même fait des centaines de kilomètres pour parvenir jusqu’à Shies, une ancienne gare soviétique réhabilitée située entre la région d’Arkhangelsk et la République des Komis, à 1.000 km au nord-est de la capitale russe.
« L’ambiance était très chaleureuse. On était heureux de se retrouver, on est une vraie famille désormais », raconte à Reporterre, par téléphone, Svetlana, 52 ans. Infirmière à Syktyvkar, elle s’est beaucoup impliquée pour mettre fin à ce projet insensé lancé en 2018. Elle ressent de la « fierté » pour cette victoire populaire mais craint que d’autres décharges se développent ailleurs. « Nous avons gagné mais le problème des ordures n’est pas résolu. Nous n’avons toujours pas de collecte séparée ni de programmes pour informer et éduquer la population à trier ses déchets », se désole-t-elle.
La décision du tribunal intervient quinze jours après que la société Technoparc a elle-même annoncé la fin du projet. Dans un communiqué, elle s’est engagée à finaliser l’évacuation du terrain de quinze hectares d’ici le 20 décembre et à replanter toute la zone défrichée à partir du printemps 2021.
Malgré ces promesses, les opposants au projet ne baissent pas la garde et surveillent l’avancée du démantèlement. « Pour nous, la guerre n’est pas terminée tant que le site n’est pas totalement restauré. Nous restons méfiants à l’égard de ce que disent les autorités, à tous les niveaux. Pendant deux ans, elles ont soit menti, soit passé sous silence des informations importantes sur la construction de cette décharge. Comment pourrions-nous encore les croire sur parole ? » déclare Victor Vichnevetsky, activiste de la première heure à Shies, récemment engagé en politique et élu député à l’assemblée municipale à Syktyvkar.
« Non aux poubelles de Moscou ! » s’était indignée la population locale dès le lancement des travaux à l’été 2018. Il faut dire que le chantier avait débuté sans étude préalable ni permis. Courriers de protestation aux autorités, réclamations devant toutes les instances possibles, manifestations de masse organisées dans les deux capitales régionales — Syktyvkar et Arkhangelsk —, plaintes déposées en justice… Très vite, la résistance s’est organisé et a monté crescendo — comme l’a raconté Reporterre, qui s’est rendu sur place en 2019.
Pour bloquer l’approvisionnement du chantier en carburant, des résidents locaux ont construit des barrages sur les routes d’accès au site puis installé un campement de tentes à proximité du chantier. Des dizaines d’habitants et activistes écologistes s’y relayaient quotidiennement. Grâce aux réseaux sociaux et aux médias indépendants, la mobilisation a fait du bruit et trouvé un très fort soutien dans toute la Russie. Déterminés à aller jusqu’au bout malgré les pressions des autorités, les amendes et les violences physiques des gardes postés autour de la construction, les militants ont tenu bon. Mi-2019, la construction était officiellement reportée. Il a fallu encore plus d’un an avant que la décision de justice mette définitivement fin au chantier.
Au fil des mois de lutte, "Shies", nom désormais familier en Russie, est devenu un symbole, celui d’un mouvement populaire se battant pour la préservation de la nature contre les autorités et contre la capitale fédérale, qui décide tout. « Moscou voulait jeter ses ordures dans nos marais et empoisonner notre environnement, en plus de nous prendre déjà la majorité des impôts et presque tous les bénéfices de l’exploitation minière et d’autres ressources naturelles s’insurge Victor Vichnevetsky. Mais cela n’a pas marché, et cela ne marchera pas ! Moscou n’a pas réussi à humilier les Nordistes ».
L’exemple fait des petits… L’été dernier, dans le sud de l’Oural, la montagne Kouchtaou, considérée comme un lieu sacré pour les habitants, a reçu le statut de « zone naturelle protégée spéciale » à la suite de la protestation de milliers de personnes contre l’exploitation du calcaire. Une autre victoire de l’écologie en Russie.