Le Monde d'Antigone

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Dernière mise à jour : 26.10.2025
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1878: La révolte kanak

Publié le 17/04/2017 à 00:02 par monde-antigone

 
1878: La grande révolte canaque
par Jean-Jacques Espirat
Futura Sciences - 18 aot 2005, modifié le 22 oct 2015
http://www.futura-sciences.com/sciences/dossiers/ethnologie-histoire-culture-nouvelle-caledonie-469/page/6/


La colère gronde chez les mélanésiens poussés hors de leurs terres par le front de colonisation. En 1878 la coupe est pleine...
Ataï, Grand Chef de Komalé, va devenir l'âme de la grande révolte sanglante qui a profondément marqué les colons de plusieurs générations et le monde mélanésien jusqu'à nos jours.


L'origine
Avec la prise de possession en 1853 les mélanésiens ne sont plus propriétaires de leurs terres. Initialement ils n'entrevirent pas cette mainmise et comptaient profiter des richesses du monde qui les colonisaient. Jusqu'à 1858 les attributions de terres aux colons se font selon un régime d'occupation restreinte aux environs des places fortes garantissant la sécurité. Ces aliénations ont donc un impact limité sur les terres des mélanésiens et portent surtout sur la région de Nouméa.

En renonçant en 1858 à ce système, l'Administration coloniale lance une colonisation disséminée qui va ouvrir un front pionnier allant de Nouméa à Poya. C'est l'origine d'un conflit foncier, ferment de la révolte et qui empoisonnera les relations avec les mélanésiens jusqu'à nos jours. De 1862 à 1870, sous le gouverneur Guillain, l'emprise foncière européenne passe de 27.000 à 78.000 ha. En 1877, sous son successeur, le gouverneur La Richerie qui facilite encore plus l'accaparement, le patrimoine européen atteint 150.000 ha. En assimilant les jachères à des terres vacantes qu'elle accapare l'Administration déstabilise l'économie vivrière des mélanésiens. Leur espace est désormais éclaté. Ils sont repoussés dans les hautes vallées de la chaîne sur des terrains de moindre qualité. Le bétail des colons, élevé sans clôtures, divague et détruit les tarodières, champs d'ignames et autres espaces cultivés des mélanésiens.

Alors que jusqu'à 1869 les conflits étaient ponctuels, organisés par des chefs rebelles au colonisateur ou mécontents de leurs relations avec l'Administration coloniale, en 1878 avec la progression importante du front pionnier, le malaise atteint profondément l'ensemble de la population mélanésienne de la Grande Terre.


Le plan d'Ataï et des autres chefs kanaks
L' objectif d'Ataï aurait été Nouméa. En attaquant par surprise le coeur même de la colonisation il pouvait déstabiliser profondément celle-ci. Les préparatifs furent conduits dans le plus grand secret. Plusieurs clans étaient impliqués dont ceux de Houailou et Canala. Si Ataï a été l'homme symbole de cette révolte, les promoteurs en seraient d'autres chefs et notamment Cavio chef de Nékou secondé par Dionnet chef de guerre à Bourail selon Amouroux (1881). La date, symbolique, aurait été fixée au 24 septembre, date anniversaire de la prise de possession, mais d'autres témoignages indiquent qu'elle aurait été prévue pour la fin de la récolte des ignames en juillet ou même, selon Rivière, dès le 26 juin.

Mais un évènement imprévu va accélérer les évènements. Le 19 juin 1878 à Ouaménie, la famille Chène, gardiens de la propriété Dézarnauld est sauvagement assassinée par un groupe de mélanésiens. Chêne est un ancien forçat qui avait une femme indigène de Poquereux nommée Medon. L'Administration réagit en incarcérant 10 chefs de tribus. La pression devient alors très forte sur les mélanésiens pour agir vite. L'objectif Nouméa est abandonné. Il est remplacé par une série d'attaques visant l'ensemble du front pionnier de Poya à la Baie Saint Vincent. La Foa région de colonisation importante et abritant de nombreux clans mélanésiens est la première


La révolte
Le 25 juin les 4 gendarmes de La Foa sont assassinés et les canaques massacrent la plupart des colons, propriétaires et gérants, de la région depuis le Dogny jusqu'à Fonwhary en passant par Farino. Au total 40 civils sont tués. C'est ensuite au tour de Bouloupari au sud. Le 26 juin le poste de gendarmerie est détruit. La plupart des habitants sont tués. Au nord Moindou est attaquée le 21 août puis Poya les 10 et 11 septembre. Un canot de ravitaillement avec 10 hommes est surpris à l'estuaire de la rivière Poya. Les victimes sont toutes tuées et consommées. A Bourail les colons arabes sont également attaqués, erreur stratégique car ceux-ci sont de véritables guerriers et se mettent à la disposition des forces militaires de la colonie. Ils participeront à la répression avec férocité.


La réaction des militaires
Au départ la résistance s'organise dans le fort Téremba où il y a une petite garnison. Il est assiégé mais les insurgés ne peuvent pas le prendre et n'insistent pas. A Nouméa c'est la panique, on croît que l'avance des insurgés va se poursuivre vers le sud. Une vingtaine de mélanésiens sont exécutés à Dumbéa (les derniers Ouamous) suite au pillage d'un magasin. Les 130 mélanésiens vivant à Nouméa sont internés à l'île Nou.

Le commandant Gally Passeboc prend la tête de la contre offensive mais ne mesure pas l'importance des forces adverses et ne réagit pas de façon appropriée face à une guérilla où toutes les actions se font par surprise. Il est tué dans une embuscade le 3 juillet. Il est remplacé par son second Rivière qui a comprit qu'il faut employer des méthodes analogues à celles des Canaques. Toutefois, en juillet et en août les colonnes tendent à s'enliser dans une guérillas peut productive, brûlant les villages et détruisant les récoltes mais n'arrivant pas à cerner les insurgés. La construction d'un fort à La Foa, terminé le 24 août, est décisive car elle rapproche les bases des militaires français et favorise les effets de surprise. La garnison est de 80 hommes. Comprenant le danger qu'il représente le fort est attaqué par 500 guerriers, mais ils échouent.

Parallèlement le Lieutenant de vaisseau Servan basé à Canala réussit seul avec une audace extraordinaire à retourner et rallier le grand Chef des Canala, Gélina et surtout son chef de guerre Nondo. Avec les Canala il marche ensuite sur La Foa. C'est un retournement important, les canaques sont gravement divisés.


La défaite des insurgés
Le 1er septembre à Fonimoulou, les troupes française assistées par les canaques de Canala et par les arabes attaquent par surprise en progressant hors des sentiers canaques. Elles forment trois colonnes qui cernent le périmètre des insurgés. Ataï est surpris dans son campement par un détachement commandé par le breton Le Golleur accompagné des guerriers de Canala. Le Canala Segou, après un instant d'hésitation, ose lancer sa sagaï sur Ataï et le tue. Témoignage de la férocité de la répression sa tête fut coupée et envoyée en trophée à Paris.

Malgrè la mort d'Ataï l'insurrection continue mais les insurgés sont déstabilisés. Des renforts d'infanterie de marine arrivent d'Indochine depuis le 18 août 1978. A partir de septembre 1878 la région de La Foa-Moindou est pacifiée. Le foyer de l'insurrection est dès lors plus au nord à Poya et Bourail, mais les insurgés sont maintenant harcelés. L'insurrection est définitivement matée avec la chute de la forteresse canaque d'Adio en décembre 1878.


Conséquences
Cette révolte a un coût très lourd pour les mélanésiens. Les nombreux hommes tués sont une véritable saignée représentant près de 5 % de leur population. Les chefs furent éxécutés sans jugement sauf un, car la répression fut féroce.L'espace des autochtones fut encore plus restreint car l'Administration confisqua les terres des rebelles. Des clans entiers furent déplacés loin de leur tertre, dans le Sud et à l'île des Pins.

Ces confiscations, spoliations, accaparement par des moyens douteux se poursuivront et conduiront, vers la fin du XIX siècle, au cantonnement des mélanésiens dans des réserves de plus en plus étriquées. Officiellement instituées pour leur garantir un espace préservé de la boulimie foncière, elles étaient, par ignorance de leur système agraire, gravement insuffisantes en espace fertile. Déstabilisée par cet épisode dramatique, le cantonnement, la destruction de ses structures coutumières, la population déja affectée par les épidémies du début de la colonisation, va décroître dramatiquement jusqu'en 1921 où elle atteindra 16.000 individus soit la moitié de la population de 1860.
La colonisation libre est assommée après 1878 et mettra 20 ans à s'en relever. L'impulsion colonisatrice viendra alors du bagne. Elle se traduira par une extension sans précédant de la mainmise foncière et un rétrécissement accru de l'espace des mélanésiens.

Le conflit foncier résultant de tous ces accaparements entraînera d'autres rébellions, notamment en 1917 où la révolte à toutefois plusieurs autres mobiles dont la peur de l'incorporation forcée sur le front de la première guerre mondiale.
Les spoliations, ajoutées à l'incapacité de la France, même après la décolonisation de 1956, de reconnaître l'identité et la dignité kanak seront finalement à l'origine de la revendication indépendantiste qui débouchera sur les affrontements de 1984 à 1988 et sur le statut actuel de la Nouvelle-Calédonie.


Chiffres
Environ un millier de mélanésiens et 200 européens sont tués lors de ces évènements tragiques. C'est considérable pour un territoire alors peuplé d'environ 24.000 autochtones et de 16.000 européens.

 

COMMUNARDS !
LA COMMUNE DE 1871, LA REPUBLIQUE ET LES MENSONGES
QUATRIEME PARTIE: LES COMMUNARDS ET LES KANAKS


LA REVOLTE DES KANAKS DE 1878
Bien que chronologiquement située avant les amnisties de 1879 et 1880 qui entrainèrent le départ des Communards, nous plaçons ici une étude de l'insurrection Kanake de 1878 et des relations entre Kanaks et Communards.
 

LES CAUSES DU SOULEVEMENT
En 1878 éclata une grande révolte des Kanaks.
A l’époque on écrivait Canaques, la graphie Kanaks (parfois utilisée de façon invariable: Kanak) est devenue plus courante car jugée plus respectueuse de la culture locale. Dans les citations des ouvrages d'époque, nous conservons logiquement la graphie "Canaques".

Ce n'était pas la première insurrection depuis l'établissement de la colonie française. En 1868, une grande révolte avait déjà eu lieu. Les causes de l’insurrection sont évidemment à chercher dans l’opposition de plus en plus difficile à vivre entre la société traditionnelle Kanake et les habitants européens (aussi bien les personnes privées que les autorités coloniales).

Les Européens, avec l’appui de l’administration, empiétaient de plus en plus sur les terres des Kanaks qui étaient repoussés sur des territoires peu fertiles. Le processus commença avec les terres agricoles et continua avec les terres riches en minerais (exploitation du nickel). La divigation du bétail des Blancs, qui détruisait les plantations indigènes, était aussi une cause de tension entre les deux communautés.

Les Kanaks n’avaient pas eu les moyens de s‘opposer à l’implantation des colons – mais ils étaient maintenant poussés à bout. Toutefois, comme c’est souvent le cas, toute la population Kanake n’était pas unanime et des tribus n’ont pas participé au soulèvement tandis que d’autres, traditionnellement hostiles à des tribus soulevées, se rangeaient du côté des Européens.

Les Communards déportés furent témoins – ou même parfois victimes – du soulèvement.
Selon Charles Malato:
"Les causes de l’insurrection de 1878, la plus terrible qu’aient à enregistrer les annales de la colonie, furent multiples.
D’une part, la spoliation des terres et les ravages des bestiaux errants [le bétail des colons, en liberté,  détruisait les plantations des Kanaks]: nous en avons parlé.
D’autre part, l’antagonisme naturel entre l’Aryen civilisé (?), spéculateur individualiste, et le Mélanésien demeuré à l’âge de pierre et au communisme primitif, antagonisme parfois assoupi ou latent, jamais éteint.
Enfin, les intrigues des missionnaires".

Faut-il le croire sur ce point  ?
Il prétend que les religieux qui avaient exercé un rôle prépondérant dans la colonie sous les précédents gouverneurs, étaient assez mal avec le nouveau gouverneur, le capitaine de vaisseau Olry, aussi "avancé" politiquement et anticlérical qu'il est possible de l'être à un officier de marine, note avec son ironie constante Malato. Les missionnaires auraient donc voulu lui créer des difficultés.

Malato note à plusieurs reprises que le missionnaires encourageaiet les Kanaks à  se méfier des Blancs et il souligne leur excellente connaissance du pays et des coutumes locales.
"La politique des missionnaires apparut alors, comme chaque fois, fort habile. Il est indéniable qu’après avoir abruti les indigènes, les bons pères les ont souvent préservés contre l’envahissement des civilisés (....)".
Il note que lors de la commission de délimitation des terres de  1876, "les indigènes, menacés dans leurs possessions, eurent pour adversaire un républicain, radical s’il vous plaît, [le gouverneur ?] et pour défenseur un prêtre". Le soulèvement aurait été causé – en partie - par des intrigues des pères maristes.

Charles Malato va jusqu'à dire:
"Les missionnaires, qui, tous les ans, avaient aux environs de Nouméa de mystérieux conciliabules, pieusement appelés la « Retraite, » furent certainement au courant des menées d’Ataï, les encouragèrent sans se mettre en vue et eurent cette suprême habileté de pousser à la révolte les tribus infidèles par l’intermédiaire de tribus chrétiennes, celles de Thio. Ces dernières, après avoir participé aux premiers massacres, firent brusquement défection et finirent même par marcher contre leurs frères de race."


LE DEROULEMENT
Sur le soulèvement, un journaliste et explorateur (depuis Paris), Edmond Plauchut (un ami de George Sand), livre des renseignements pendant que les faits se déroulent (en novembre 1878). Le journaliste évoque le brusque déclenchement de la rébellion, citant le rapport du gouverneur de la Nouvelle-Calédonie:
"On vivait ici avec une insouciance incroyable, dans des habitations isolées, dans des postes ouverts de tous côtés, dont les abords n’étaient même pas découverts; on regardait les Canaques comme de grands enfants, parfois boudeurs, mais toujours inoffensifs; ils jouissaient d’une confiance, d’une intimité même vraiment étranges. Toute cette population de colons et de soldats, dispersée au milieu des bois, s’était endormie dans une sécurité complète: dur a été le réveil ! Tous, surpris dans une quiétude parfaite, ont été égorgés".

Le journaliste écrit:"On se trouvait en présence d’une guerre d’extermination; les colons, leurs femmes, leurs enfants, les condamnés, les Canaques même, employés dans les fermes, étaient frappés".

Il comprend les raisons de l'insurrection, notamment la spoliation des terres et la question du bétail des colons qui détruit les plantations des Kanaks, mais force doit rester aux colonisateurs:
"A bout de patience, ces malheureux sauvages ont alors commencé une lutte qui doit finir par leur extermination ou par l’abandon de notre colonie, chose absolument impossible aujourd’hui".
"Les Néo-Calédoniens, aujourd’hui comme il y a dix ans [lors de l'insurrection de 1868], combattent pour leurs foyers et leur indépendance. Leur faute et leur crime est de nous avoir fait une guerre de sauvages, d’avoir pratiqué l’assassinat (...) d’avoir égorgé des femmes et des enfants. Moins heureux que certains conquérants modernes (...) les Canaques paieront de milliers d’existences chaque vie européenne".
Il poursuit: "Il y a parmi eux des caractères vraiment nobles, et le chef actuel des révoltés, Ataï, est une de ces natures d’élite". [Edmond Plauchut, La Révolte des Canaques, Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 30, 1878 (pp. 672-689)]
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Revolte_des_Canaques

Comme on le voit, les contemporains (du moins les plus intéressés par la question) étaient capables, y compris dans la conservatrice Revue des Deux Mondes, de comprendre et même d'admirer les Kanaks - ce qui n'empêchait pas de les qualifier de "sauvages" et de justifier la répression.

Des renforts furent envoyés de France et d'Indochine. Sur place, les autorités obtinrent l'aide déterminante de certaines tribus dont la tribu de Canala.
"... l'action de Servan [l'officier français qui rallie les Canalas] et la décision des Canalas vont empêcher la propagation du mouvement insurrectionnel à toute l'île, le privant ainsi du caractère national que lui reconnaît Dousset-Leenhardt dans sa thèse". (Bierman Guy. Le recrutement extraordinaire en Nouvelle-Calédonie pendant la grande révolte canaque de 1878. In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 79, n°297, 4e trimestre 1992. pp. 517-531; http://www.persee.fr/docAsPDF/outre_0300-9513_1992_num_79_297_3051.pdf

Le 1er septembre, 1878, Ataï, son fils, et son takata (guérisseur et barde) Andia (ou Andja) sont tués à coups de sagaies, et décapités par Segou et ses hommes, kanaks de Canala. Puis un autre chef de la révolte, le chef Baptiste, est tué.
Cela semble être le tournant de la révolte: "l’initiative est désormais à l’armée, aux auxiliaires kanaks, aux corps-francs broussards (déportés et transportés), et aux arabes [en fait Kabyles], eux-mêmes déportés après une insurection, qui ont accepté de combattre du côté des colonisateurs,car ils ont eux-mêmes été attaqués par les Kanaks (Wikipedia, article  Grande révolte kanak de 1878 ).
Fin  de 1878, la côte est est sécurisée, aux mains  des autorités et des tribus ralliées. On promet la vie sauve à ceux qui se rendent.
"Le 1er janvier 1879, les autorités françaises ont ainsi à leur disposition environ mille cinq cents guerriers mélanésiens directement placés sous le commandement d'officiers français." (...) ... les autorité françaises sont parfaitement conscientes de la précarité des « alliances », en particulier dans les premiers mois de la révolte. Par la suite, elles laisseront davantage d'initiative aux tribus sur leur territoire mais, les soupçonnant trop souvent de n'agir qu'à leur seul profit". (Bierman, article cité)

La reddition des tribus insurgées commence au sud.  Au début de 1879, les chefs rebelles sont tués ou capturés. En juin 1879, l’état de siège est définitivement levé. L’ensemble des opérations a causé environ 1.200 morts, soit 200 européens et 800 à 1.600 kanaks. Les vaincus sont déportés sur l'Ile aux Pins, sur des iles lointaines, parfois hors de Nouvelle-Calédonie, leurs tribus dispersées.


COMMUNARDS ET KANAKS
L'indifférence des Communards envers les Kanaks est souligée un peu lourdement par G. Pisier dans son article cité plus haut (datant il est vrai de 1971): "On est même surpris de constater que ces « Parisiens de gauche », que l'on voudrait croire par principe « indigénophiles », se sont intéressés si peu à la communauté autochtone".

De son côté, un livre plus conforme aux conceptions actuelles, note en 2004:
"Les rapports entre Communards et Kanaks furent fondés sur la méfiance et l'igorance récpiroques et seuls Louise Michel et Charles Malato parvinrent à nouer des relations avec les Kanaks".(Bernard Tillier, La Commune de Paris, révolution sans images ?: Politique et représentations, 2004)

Il existe toutefois des notations sur les Kanaks de la part des Communards; elles sont assez peu élogieuses: "Dimanche dernier je suis allé à la mission du Nord voir les Canaques, gens fanatisés…qui éprouvent un certain plaisir à assommer les hérétiques comme ils nous appelent … Les Canaques sont beaucoup moins laids qu’on ne le suppose …leurs femmes ne sont pas des Vénus…" (lettre de Henri Messager 1874, citée par Bernard Tillier, La Commune de Paris, révolution sans images ?).
Notation curieuse, surtout l’appellation "hérétiques", mais il faut sans doute comprendre que les Kanaks  (du moins ceux de la Mission ) étaient « fanatisés » par les Missionnaires qui leur présentaient les Communards comme des hérétiques.

Charles Malato est clair sur ce point: "Stylés par d’aussi bons éducateurs [les missionnaires], les indigènes de Kunié [ou Kounié, l'île des Pins] ne devaient guère frayer avec les déportés: « Méchant Tayo [ami, et par extension homme], tu as tué le « bon Dieu de Paris ! » dirent-ils plus d’une fois aux Communards. Il s’agissait de l’exécution de l’archevêque Darboy".
(...)

Sa première impression des "popinées" (ou popinés, femmes indigènes) n'avait pas été favorable, mais  une fois l'effet de surprise passé, il avait changé d'avis et était devenu un amateur de beautés locales. Il en ressort des épisodes où le talent facétieux de Charles Malato se donne libre cours:
"Les habitations indigènes n’ont point de portes, ces sauvages communistes ne se volant pas entre eux comme les civilisés. Pendant que j’étais en conversation intime avec Béata, le dernier né de celle-ci, gamin de quatre à cinq ans vint, du dehors, nous regarder avec une innocente curiosité. « Tabou ! » lui cria la mère sans interrompre le moins du monde sa besogne. Et de la main, elle indiquait impérieusement le large à son rejeton qu’elle tenait sans aucun doute à élever dans les principes d’une morale austère".
On remarquera que si Malato utilise le vocable de "sauvage", ce n'est pas pour sous-entendre une supériorité des civilisés – bien au contraire; les Néo-calédoniens indigènes sont qualifiés de "communistes", alors que les civilisés se volent entre eux.

Même préocupations "sentimentales" pour Achille Ballière, quoique sans doute avec moins de succès.
Ballière, évadé en 1874 avec Rochefort et Grousset, raconte ses tentatives de séduction de femmes Kanakes, pour lesquelles il se rendait à la Mission sud et à la Mission nord (on devine que dans ces Missions, tenues par des religieux, on pouvait rencontrer aussi des "indigènes" qui fréquentaient les Blancs).

Il est assez difficile de se rendre compte à quel point les aventures galantes d'un Charles Malato (qui était d'ailleurs un jeune homme  passablement déluré et dépourvu de préjugés; de plus en tant qu'agent de l'administration du télégraphe, il n'était pas astreint à résidence sinon pour les besoins de son poste) pouvaient être partagées par l'ensemble des Communards (du moins ceux qui avaient une certaine liberté de mouvement).

En dépassant le cas des Communards, il faut constater que la question sexuelle est  évoquée par le journaliste Plauchut comme une des causes de l'insurrection de 1878: en raison du très petit nombre de femmes Blanches, les colons doivent chercher leurs compagnes chez les "popinées", "d'ailleurs affreuses", dit Plauchut (peut-être parce qu'il se sent obligé de dire ce qu'attendent ses lecteurs bourgeois de la Revue des Deux Mondes). Or ces incursions sexuelles chez les femmes Kanakes ont contribué à monter les Kanaks contre les Blancs.

Une des raisons du manque de sympathie de l'ensemble des anciens Communards pour les Kanaks venait du fait qu'ils étaient utilisés par  l'administration pénitentiaire pour rattraper des condamnés en fuite.

Certains Kanaks (évidemment ne vivant plus dans leurs tribus) étaient des auxiliaires de police, comme le note Charles Malato:
"À Nouméa, les déportés se trouvaient délivrés de l’appel quotidien, mais ils devaient, chaque mois, signer sur un livre de présence. En outre, toute perambulation dans les rues, passé dix heures du soir, leur valait, au fort Constantine une retraite pleine de méditations salutaires, les goguettes nocturnes étant le privilège des officiers de toutes armes. Le commissaire de police Audet, type de satyre inquisiteur, qui est, je crois, maintenant au bagne, tenait la main à l’exécution de ce règlement. À la tête de sa police canaque, composée de huit ou dix sauvages à peine vêtus, armés de sagaïes ou de casse-tête, il parcourait fiévreusement la ville et lorsqu’il avait la bonne fortune de rencontrer un délinquant, quelle ivresse !"
 

EN SUIVANT CHARLES MALATO
Charles Malato est incontestablement le plus intéressé par les coutumes Kanakes.
Il assiste à plusieurs pilous (on dit aussi pilou-pilou), banquet et fête rituelle, et décline d'abord l'offre d'un de ses amis, le Suisse Hook, d'assister à un grand pilou "donné par les Oébias, ces farouches rois de la montagne". Mais il accepte, car ce pilou doit être exceptionnel.

Lui, Hook et un troisième Blanc vont même jusqu'à se grimer en Kanaks pour assister au pilou,  peu de temps avant qu'éclate l'insurrection:
"Comme maintes fêtes sacrées de l’antiquité, les pilous, non les parodies grotesques que, pour un peu de tabac, exécutent aujourd’hui devant l’Européen gouailleur les Canaques dégénérés, mais les grands pilous, réunissant parfois cinq mille assistants, et dont j’ai pu voir les  derniers, étaient un prétexte de débauche. Peu à peu, les deux sexes, rompant l’ordre primitif, s’étaient rapprochés".

Il estime par la suite avoir pris un grand risque à cette occasion car des jeunes filles avaient reconnu qu'il était un Blanc grimé: "Quelques semaines plus tard, nous ne nous en serions pas tirés à si bon compte".
Il oppose fréquemment les Blancs civilisés - qui ne le sont pas tellement, aux sauvages - qui le sont moins qu'on ne peut le croire et donc prend généralement le parti des Kanaks, ce qui ne l'empêche pas de faire des remarques qui peuvent difficilement être récupérées par le "politiquement correct" actuel.

Ainsi il décrit un chef kanak:
"Étrange figure que ce chef de guerre ! Il semblait le dernier représentant d’une race de géants sauvages. J’ai déjà esquissé son portrait physique; au moral, c’était un redoutable ivrogne qui ne reposait que vide à ses côtés le litre de tafia qu’il avait porté plein à ses lèvres. Il entrait alors dans un état terrible, saisissait une trique et parcourait son village en frappant à tour de bras sur ses sujets. À jeun, il prostituait ses sœurs aux soldats pour une pièce de quarante sous. Aussi son domaine n’était-il guère peuplé que d’éclopés et d’hétaïres [courtisanes]."

Malato rend responsable la colonisation de la déchéance morale des Kanaks, là encore en des termes éloignés du "politiquement correct" actuel:
"Il ne faut pas s’étonner, si avec une civilisation apportée par les prêtres, les marins, les forçats et l’écume des chevaliers d’industrie [industriels et affairistes douteux], les Canaques, d’anthropophages honnêtes et hospitaliers, sont devenus progressivement fourbes, rapaces, ivrognes et pédérastes. Comme si ce n’était assez de dépraver ces indigènes après les avoir dépossédés, les fils de la vieille Europe se livrent à la traite des insulaires voisins, sous la protection du drapeau français. Pendant les huit jours que nous passâmes à Nouméa, entre notre débarquement et notre départ pour l’île des Pins, nous ne fûmes pas peu surpris d’entendre d’honorables habitants du crû nous engager à acheter un Néo-Hébridais ou, au moins un Indien malabar".

Malgré sa méfiance des missionnaires, Charles Malato, anticlérical bon teint, ne peut pas s'empêcher de reconnaître qu'il y  chez eux des hommes supérieurs, excellents connaisseurs de la culture locale, et même d'être ému par le spectacle de la religion qu'ils ont inculquée aux Kanaks:
"J’eus la curiosité, à la Noël, de voir une messe de minuit en pays canaque et le spectacle me parut si saisissant que je revins le contempler l’année suivante.
(....)
Mon impression fut bizarre et, je l’avoue, aucunement désagréable lorsque l’assistance noire se mit à entonner le fameux: « Minuit, chrétiens ! c’est l’heure solennelle… » Les voix étaient justes, celles des femmes sopranisant, celles des hommes profondes et fortes, se mariant d’une façon qui faisait honneur aux enseignements du père Villars".


FACE A L'INSURRECTION
Lorsque le soulèvement éclata, quelles furent les réactions des déportés de la Commune ?
« Dans leur majorité, les communards ont combattu les Canaques. Les exceptions ne sont que plus méritoires », estimait l’historien Jean-Bruhat http://www.commune1871.org/?Nouvelle-Caledonie-Le-retour-d-425#nb1

Le journaliste Plauchut évoque ainsi la réaction des déportés (donc les anciens Communards qui ne sont pas soumis au régime du bagne):
"Les déportés n’eurent plus l’autorisation d’abandonner les limites de la déportation. Informés par les mouvements de la rade et la rumeur publique de ce qui se passait au dehors, ils demandèrent des armes et la liberté de courir sus aux Canaques. On comprend que le gouverneur dut s’y refuser. Ils parurent en éprouver un vif regret; néanmoins ils promirent de se tenir tranquilles plus que jamais, et de ne donner aucun sujet de plainte pendant tout le temps que durerait la rébellion. Jusqu’ici les déportés ont tenu leur promesse".

Il est difficile de savoir exactement si les déportés simples ou ceux de la presqu’île Ducos ont participé à la répression. Le journaliste Plauchut dit que non, parce que le gouverneur refusa de leur donner des armes, à la suite de leur offre de « courir sus aux canaques ». De plus, sur l’île des Pins il n’y avait pas de rébellion il aurait fallu transporter les déportés sur la Grande Terre (ce qui n’avait rien d’impossible). Malato ne parle que de la participation des transportés (donc les condamnés aux travaux forcés) notamment ceux de la ferme pénitentiaire, mais lors de l’insurrection lui-même ne se trouvait plus sur l’île aux Pins.
(...)

Après la mort du chef rebelle Ataï, sa tête tranchée, conservée dans un bocal de formol, fut exhibée à Nouméa et représentée par les Communards qui réalisent le petit périodique intitulé l'Album de l'île des Pins, avec le titre assez désinvolte de "Conserve océanienne" - ce qui laisse supposer une considération assez faible pour les Kanaks - et peut-être la satisfaction de voir un ennemi dangereux hors d'état de nuire.
Parmi les déportés de la colonne Amouroux figuraient des déportés de la Commune de Narbonne ce qui est intéressant à noter.
Par ailleurs, on sait par Charles Malato qu'il rencontra à Thio, à l'époque de l'insurrection des Kanaks, le boulanger Etienne, un des condamnés à mort de la Commune de Marseille qui avait été grâcié (à la différence de Crémieux).

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Le commandant Rivière donna les têtes d'Ataï et d'Andja à un médecin de marine. Conservées dans un bocal de formol et montrées à Nouméa, elles furent ensuite données par le médecin à la Société d'anthropologie de Paris fondée par le grand savant Paul Broca qui fit exécuter un moulage de plâtre de la tête avant de découper la boîte crânienne pour en extraire le cerveau, faisant graver à même l’os "Ataï, chef des Néo-calédoniens révoltés, tué en 1879" [sic pour 1878]

Les crânes furent ensuite conservés au Musée de l'Homme, retrouvés dans des réserves au Jardin des Plantes et la décision fut prise de les rendre aux tribus Kanakes en 2014. Le crâne du grand chef Ataï et de son compagnon, le sorcier Andja, arrivent en Nouvelle-Calédonie le 2 septembre 2014. Ils sont déposés à la tribu de Petit-Couli à Sarraméa pendant un an, puis de nouvelles cérémonies se déroulent lors de la levée de deuil. Les crânes sont ensuite déposés définitivement à l'ancienne tribu de Winrinha, tribu de ces guerriers du clan Dawaeri (Wikipedia, article Ataï)

Quant au commandant Rivière, il participa ensuite à la conquête du Tonkin. En 1882 il  dirigea la prise de Hanoï. La ville fut ensuite assiégée par les Pavillons Noirs, des pirates chinois. C'est en combattant contre eux que le commandant Rivière fut tué le 19 mai 1883.


TOUJOURS EN SUIVANT CHARLES MALATO
Sur des sites anarchisants, on indique que Malato fut l’un des rares Communards (en fait il n’était pas Communard mais fils de Communard) avec Louise Michel, à soutenir l’insurrection Kanake. Soutenir est un mot exagéré – Malato comprenait les raisons des Kanaks, mais il était prêt à défendre sa vie et même celle des colons.

 Voici comment il décrit les débuts de l'insurrection:
"Celle-ci eut pour prologue, le 19 juin, le meurtre du libéré [forçat libéré] Chêne, à vingt-cinq kilomètres de Bouloupari. Le pauvre diable vivait, depuis de longues années, avec une popiné dont il avait un enfant: tous trois furent massacrés."

Il décrit ainsi la mort de la femme d'un de ses collègues du télégraphe:
"Madame Clech fut saisie, garrottée avec les draps de son lit et violée, après quoi on lui fendit l’abdomen et coupa les paupières. Ces détails paraîtront affreux: on ne pouvait cependant attendre autre chose de sauvages exaspérés dont on avait pris le pays et méconnu la liberté. (...)
Tuant sans pitié et poussant l’ironie cruelle au point d’ouvrir le ventre aux femmes qu’ils avaient violées, pour y déposer le cadavre d’un enfant égorgé par eux, ou bien encore enfonçant lubriquement une bouteille, pointe en avant, dans des matrices sanglantes, les indigènes néo-calédoniens subissaient les influences ataviques et espéraient, à force d’horreurs, dégoûter les Blancs de leurs velléités colonisatrices".
(ces détails macabres sont-ils vérifiés ? on peut supposer que Malato ne les a pas inventés)

Il expose les débats de conscience de ses parents et de lui-même, mais non de tous les déportés, car il vit à ce moment avec ses parents dans son poste administratif du télégraphe, et donc ne peut témoigner directement pour les réactions des déportés restés sur l'île aux Pins ou la presqu'île Ducos:
"L’ennemi ! Faut-il donc l’appeler ainsi ce peuple noir qui combat pour son indépendance ? Proscrits pour la cause de la liberté, allons-nous passer du côté des oppresseurs ? Telles sont les questions que mes parents et moi nous nous posons avec amertume. Hélas ! la réponse n’est que trop claire.
Oui ces hommes, en se soulevant contre l’autorité ont pour eux le droit naturel. Ils veulent vivre à leur guise, sur le sol où ils sont nés: rien de plus juste. Mais ils ne distinguent pas, — le pourraient-ils d’ailleurs ! — entre le fonctionnaire qui les opprime, le colon qui, lentement le dépossède et le paria bouclé de force dans leur île, de par la rancune politique ou la vindicte sociale.
Forçats, déportés, femmes, enfants, vieillards, aussi bien que galonnés et messieurs ventrus, tout ce qui a visage blanc leur est odieux et mérite non seulement la mort, mais la torture la plus cruelle. Et, au milieu de leur œuvre inexorable de destruction, jamais l’éclair de pitié ne jaillit.
Il faut bien se préserver, préserver les siens: tout ce qu’on peut faire c’est de rester sur la défensive".

Pour lui les Kanaks ont eu le tort - considéré du point de vue de  leur propre intérêt - de faire une "guerre de race", en considérant tous les Blancs comme leurs ennemis:
"Cette étroitesse a d’ailleurs perdu les insurgés canaques. Eussent-ils ouvert leurs rangs à ceux des Européens qui n’avaient rien à craindre ni à espérer, aux forçats plus encore qu’aux déportés qu’un scrupule patriotique eût retenus pour la plupart, négocié sous main avec les Anglais qui pouvaient les approvisionner d’armes, ils auraient été les maîtres du pays..."
On notera son observation sur les déportés "qu’un scrupule patriotique eût retenus pour la plupart".

Il revient plus tard sur le cas des "transportés" (déportés condamnés aux travaux forcés) qui rejoignent les forces de répression, par "patriotisme":
"Cependant, l’insurrection suivait son cours. L’administration avait dû prendre une grande mesure: armer les transportés; les plus importants de ces nouveaux auxiliaires furent les forçats politiques, détachés à Canala, qui, l’ex-membre de la Commune Amouroux en tête, offrirent d’eux-mêmes leurs services au gouvernement leur geôlier. Les vaincus de 71 étaient patriotes !
Rendons-leur cette justice, de tous les belligérants, ils furent les plus humains: une fois les grandes luttes passées, ils cherchèrent bien moins à exterminer qu’à faire des prisonniers et à provoquer la soumission des débris de tribus traqués dans la chaîne centrale."

Il décrit de façon comique la peur des colons de Nouméa, y compris des "libéraux" (ici au sens de progressistes):
"Les bourgeois libéraux de Nouméa, affolés, jetaient feu et flammes et parlaient d’atroces représailles".
"Les déportés qui, deux mois durant, avaient combattu cent mille réguliers versaillais, eurent sous les yeux le réjouissant spectacle d’une caricature de garde nationale, commandée par des Tartarins tremblant de leur ombre et empêtrés dans leur ferraille. Quelques détachements de cavaliers, comme ceux de M. de Greslan, se montrèrent, toutefois de précieux mais cruels auxiliaires. Il serait injuste d’oublier les déportés arabes [et kabyles] qui, avec l’espoir d’une grâce, formèrent un petit corps équestre d’intrépides guerriers. Leur attitude était blâmable, mais leur bravoure superbe; l’un d’eux, Baschir, armé simplement d’un long fouet, traversait, seul, au galop, des bandes d’insurgés qu’il stupéfiait ou faisait fuir. Tant de zèle ne leur servit point: le gouvernement, qui les avait proscrits pour les dépouiller, utilisa leurs services… et les laissa exilés."

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RETOUR AU CALME
LOUISE  MICHEL

Une fois le calme revenu, Charles Malato voit arriver Louise Michel:
"Quelques jours après, Louise Michel, que nous ne connaissions pas, arriva droit chez nous de la presqu’île Ducos. Après sept années passées dans les vallées de Numbo et Tindu, la vaillante révolutionnaire était autorisée, ainsi que plusieurs blindés (pittoresque surnom des condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée), à résider au chef-lieu. Elle nous apportait une lettre et des nouvelles de Mabille [un autre déporté, connaissance des Malato].
L’exil prolongé n’avait pas abattu le stoïcisme de ce vieux lutteur, habitué à souffrir pour cette république dont tant de rastaquouères vivent grassement."

Charles Malato mit au service de Louise Michel ses connaissances sur les Kanaks:
"De mon côté, j’étais rentré au chef-lieu les poches bourrées de notes écrites et l’esprit saturé d’observations.
Je livrai le tout à Louise, dont l’érudition encyclopédique s’augmenta dès lors de trois ou quatre dialectes qui, dans une génération n’existeront vraisemblablement plus qu’à l’état de souvenirs. La bravoure de cette ancienne institutrice n’avait d’égale que son inépuisable générosité, car, bien des fois, elle se privait de repas pour donner aux quémandeurs les moins intéressants".

Il témoigne du véritable intérêt de Louise Michel pour la culture Kanake:
"Louise Michel, confinée, pendant si longtemps dans l’étroit périmètre de la presqu’île Ducos, s’était éprise des sauvages, dont elle avait pu voir près d’elle quelques beaux échantillons. L’un d’eux, Daoumi, auquel elle avait eu la patience d’apprendre à lire, lui avait, en échange, communiqué d’intéressants détails sur cette vie primitive, dans laquelle notre amie eût voulu s’ensevelir, loin des dirigeants et des exploiteurs. Bien des années après, nous eûmes grand’peine, mon père et moi, à la dissuader de retourner d’Europe en Nouvelle-Calédonie, ouvrir, dans la brousse, des écoles pour les petits Canaques. Ce que les missionnaires l’eussent vite fait disparaître !"

Comme on le sait, Louise Michel publia la première version de Légendes et chansons de gestes canaques dès 1875 dans le journal "Petites Affiches de la Nouvelle Calédonie, Journal des intérêts maritimes, commerciaux & agricoles" paraissant tous les mercredis. Toutefois contrairement à ce qui a été dit, elle ne créa pas ce journal, créé par l'homme d'affaires J. Bouillaud comme premier journal non-officiel autorisé dans la colonie, cf https://gnc.jimdo.com/biographies/bouillaud-j/

Il ne reste plus qu'à citer une dernière fois Charles Malato. La défaite des insurgés avait permis aux tribus "loyales" à la France de faire beaucoup de prisonniers dans les tribus rebelles. Pour certains, comme Malato, c'était des occasions à ne pas laisser passer:
"Sur ces entrefaites, Baudin et moi apprîmes qu’une ravissante indigène, d’environ quatorze années, était à vendre dans le village du chef Kaké pour la somme dérisoire de cinquante francs. Les tribus auxiliaires [qui avaient servi comme auxiliaires les Français], notamment celles de Canala, avaient fait de nombreux prisonniers mâles et femelles
Je n’ai jamais été esclavagiste, raison qui m’avait détourné de l’achat d’une Néo-Hébridaise, qu’on me proposait comme la chose la plus naturelle du monde ; Baudin, non plus, n’apparaissait pas comme un mangeur de noires, bien au contraire. Cependant, le besoin fait réfléchir et nous trouvâmes une solution qui, tout en respectant nos scrupules, eût donné satisfaction au moins à l’un de nous".

Les deux amis vont poposer à la jeune fille de prendre l'un d'entre eux pour "époux":
 ".... mais nous nous étions donné parole de n’exercer aucune pression sur le libre choix de la belle, et le blackboulé pouvait in petto conserver l’espoir de faire cocu son camarade. C’était plus qu’il n’en fallait pour nous entraîner à la poursuite de cette jeune captive, pour laquelle, à en croire la renommée, André Chénier n’eût pas dédaigné d’accorder sa lyre".
Mais une déception les attendait: "A Canala, pas plus de captive que sur la main et, sans l’obligeance non gratuite du chef de guerre Nundo, ainsi que de deux de ses épouses, nous n’eussions rapporté à Thio pas même un souvenir agréable".

Comme on voit, Charles Malato était bien différent de Louise Michel, la Vierge rouge, malgré leurs liens d'amitié (et leur option commune en faveur de l'anarchisme) et il est bien difficile de transformer les savoureux souvenirs de Malato en bréviaire du politiquement correct.

Charles Malato, de retour en France, pousuivra une longue carrière de militant anarchiste, parsemée de condamnations et de séjours à l'étranger. En 1916, il est l'un des signataires du Manifeste des Seize (lancé par Jean Grave et Kropotkine) qui apporte son soutien (nuancé) aux Alliés (France, Grande-Bretagne, Italie, Belgique, Russie à l'époque) en considérant que "l’agression allemande était une menace - mise à exécution - non seulement contre nos espoirs d’émancipation, mais contre toute l’évolution humaine".

De nombreux anarchistes dont Errico Malatesta critiquent cette prise de position. Dans la déclaration anarchiste de Londres de 1916, il est reproché aux Seize de soutenir des Etats plutôt que d'autres, ce qui aboutit à "choisir entre deux modes d’esclavage, qui ne sont que superficiellement différents". Ceux qui font ce choix ne méritent plus de se qualifier d'anarchistes.
Charles Malato meurt en 1938 à 81 ans. Il était franc-maçon, membre de la Grande Loge symbolique écossaise.