Le Monde d'Antigone

Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
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dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
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Les "choix de vie": un fossé qui se creuse en Turquie

Publié le 12/01/2017 à 04:21 par monde-antigone

 
... ou le poids croissant de la Direction des affaires religieuses en Turquie


Le plus grand fossé en Turquie ? Peut-être le conflit sur les « choix de vie »
par Suraj Sharma
Traduit de l’anglais par VECTranslation
Middle East Eye - 06 jan 2017
http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/le-plus-grand-foss-en-turquie-peut-tre-le-conflit-sur-les-choix-de-vie-1580131616


ISTANBUL – Le débat sur les menaces et les atteintes aux modes de vie des gens en Turquie n’est pas nouveau. Mais une succession d’incidents au cours des derniers mois a renforcé les craintes que la ligne de faille opposant religieux et laïcs s’élargisse jusqu’au point de non-retour. Beaucoup de gens ont été crispés par les agressions contre les gens qui se rassemblent pour écouter des albums de rock, les avertissements à ne pas célébrer le Nouvel An ou même les attaques sur la façon dont les gens s’habillent.

Le fossé est peut-être le plus dangereux des multiples divisions en Turquie – pourtant le pays a réussi à s’en sortir d’une façon ou l’autre pendant une grande partie des 90 dernières années. La République moderne, fondée par Mustafa Kemal Atatürk en 1923, a été construite sur les ruines de l’Empire ottoman qui s’est effondré, lequel était également le siège du califat islamique. Atatürk était déterminé à ce que la Turquie moderne soit européenne et a poussé la nouvelle république à adopter des lois et un mode de vie occidentaux.

Mais les événements récents ont pris de telles proportions que le président turc Recep Tayyip Erdogan a estimé qu’il était nécessaire d’aborder la question au cours de l’allocation hebdomadaire qu’il adresse aux administrateurs locaux depuis le palais présidentiel. « Le mode de vie de personne n’est systématiquement menacé en Turquie », a déclaré Erdogan au palais le 4 janvier. « Par le passé, j’ai souligné certaines questions avec lesquelles je ne suis pas d’accord, mais je n’ai jamais utilisé les pouvoirs que me confèrent mes fonctions pour intervenir dans le mode de vie de quiconque ».

Son accent sur le « mode de vie » indique que le président a ressenti le besoin de répondre aux critiques spécifiques contre lui et son parti. Le débat se concentre généralement sur l’approche conservatrice et religieuse en opposition à une mentalité européenne plus libérale. Cela couvre tout, depuis le rôle des femmes et le nombre d’enfants dans une famille au meilleur âge pour se marier et même comment s’habiller.

Historiquement, la suppression des choix de vie des sections conservatrices de la société turque, ainsi que le fait de se moquer de leurs croyances et de leurs vêtements comme étant arriérés, a créé une accumulation de ressentiment. Ce ressentiment a finalement trouvé un exutoire en 2002, lorsque l'AKP – parti conservateur islamiste dont Erdogan est cofondateur – est arrivé au pouvoir.

Initialement, l’AKP et ses gouvernements ont dépensé leur énergie à corriger ces torts, une initiative applaudie par la majorité de la population. Cependant, il y a eu aussi un débat au sujet des plaintes croissantes concernant la « pression du voisinage », ou l’ingérence dans la façon dont les gens se comportaient envers les autres dans les quartiers fortement conservateurs et l’absence d’action contre les coupables. Le fossé s’est creusé après 2013 et les manifestations de Gezi Park à l’appui de la liberté d’expression et autres droits, qui a laissé l’administration secouée.

Les détracteurs du gouvernement accusent désormais les responsables de garder souvent le silence lorsque des personnes ou des groupes qui ne sont pas en parfait accord avec leur vision du monde plus conservatrice sont attaqués. Erdogan a déclaré dans son discours de mardi que la Turquie était un État de droit et que les tribunaux du pays traiteraient par le système judiciaire toute violation des droits des personnes. Cependant, les observateurs soulignent de multiples cas où les coupables ont été traités à la légère, ce qu’ils considèrent comme relevant d’un motif politique et comme un feu vert pour un tel comportement. Le gouvernement insiste sur le fait que ces allégations sont fausses et dit ne pas pouvoir intervenir dans le processus judiciaire.

Mais ces cas persistent. Aysegul Terzi, une infirmière de 23 ans, a été agressée physiquement par un homme dans un autobus public en septembre parce qu’elle portait un short pour aller au travail. L’agresseur a prétendu qu’il était offensé par la façon dont elle était habillée. L’agresseur a été arrêté et libéré à plusieurs reprises et finalement relâché par un tribunal. Le ministère de la Famille et des Affaires sociales a déclaré à l’époque qu’il poursuivrait l’affaire. Dans un autre cas, les fans du groupe Radiohead ont été attaqués par une foule à Istanbul en juin. Ils s’étaient rassemblés pour entendre le nouvel album du groupe: leurs assaillants étaient offusqués qu’ils écoutent de la musique et boivent de l’alcool pendant le mois sacré du Ramadan.

De tels incidents se produisent aujourd’hui à intervalles relativement fréquents – il n’est donc pas surprenant que les citoyens laïcs de Turquie se sentent de nouveau en ligne de mire après les incidents successifs de ces derniers jours. Depuis quelques années, il est devenu courant de voir des groupes tenter de dissuader les gens de célébrer la Saint-Sylvestre, qui, selon les manifestants, n’est ni islamique ni turque.

Par le passé, les méthodes employées se limitaient à distribuer des prospectus aux principaux carrefours des villes ou à mettre en scène des saynètes dans lesquels le Père Noël est chassé hors de la ville par des personnes habillées en vêtements ottomans (en dépit des origines turques de Saint Nicolas, il est considéré comme un truc commercial associé au Nouvel An). Cette année, cependant, l’une de ces mises en scène montraient les gens habillés en Ottomans pointant une arme sur la tête du père Noël. Une plainte du public contre les personnes impliquées a été rejetée au motif que cela relevait de leur droit à la liberté d’expression.

Il y avait aussi des unes dans les médias islamistes qui frôlaient les menaces et les discours de haine mettant les gens qui comptaient célébrer la nouvelle année contre les conséquences. Un titre affirmait : « Aujourd’hui, c’est le dernier jour, c’est le dernier avertissement. NE FAITES PAS LA FÊTE ». C’est aussi la première fois que la Direction des affaires religieuses de Turquie demandait dans son sermon des prières du vendredi que les gens ne célèbrent pas la nouvelle année.

Puis, le 3 janvier, à l’aéroport Atatürk d’Istanbul, le créateur de mode Barbaros Sansal, fervent détracteur de l’AKP, a été agressé par la foule. Des inquiétudes ont été soulevées quant à la façon dont une foule de bagagistes a été autorisée à agresser quelqu’un sur la piste sans sanction officielle tandis qu’elle débarque d’un avion. Sansal avait été expulsé du nord de Chypre et a été arrêté à son arrivée à Istanbul pour une vidéo déplaisante, réalisée en réponse aux menaces appelant les gens à ne pas célébrer le Nouvel An. Il est accusé d’insulte à la nation turque. Erdogan, dans son discours du 4 janvier, a condamné un tel comportement de la foule sans mentionner cet incident spécifique. Il a dit que la Turquie était un État de droit et que les gens ne devraient pas essayer de prendre les choses en main.

Le fait le plus choquant a cependant été l’attentat revendiqué par l’État islamique contre le Reina, une boîte de nuit branchée d’Istanbul, qui a fait 39 morts et de nombreux blessés dans les premières heures de 2017. Mehmet Görmez, président de la Direction des affaires religieuses, a été prompt à condamner le massacre. « Cela ne fait aucune différence si cet acte barbare est commis dans un bazar, un lieu de culte ou un lieu de divertissement, a-t-il déclaré. La seule chose qui différencie l’acte terroriste perpétré cette nuit des autres est qu’il vise à diviser la nation et à toucher des gens ayant des modes de vie différents ». Akif Hamzaçebi, vice-président du parlement et député du Parti républicain du peuple (CHP), a été l’un des premiers responsables politiques à déclarer que l’atrocité du Reina était une attaque contre un choix de vie.

Erdogan a fustigé les détracteurs qui perçoivent que son gouvernement ne condamne pas les attentats perpétrés par l’État islamique de façon véhémente ou sincère, soutenant que son gouvernement pleurait autant chaque attentat. Il a même poursuivi en accusant ces détracteurs d’avoir gardé le silence lorsque le même groupe a attaqué une cérémonie de mariage à Gaziantep en août dernier, lors de laquelle 56 personnes ont perdu la vie. Dans son discours de mardi, Erdogan s’est tenu à la ligne de pensée qu’il a souvent répétée, à savoir que la Turquie est attaquée par des puissances obscures qui veulent réduire le pays à l’état de dislocation dans lequel il se trouvait à la fin de la Première Guerre mondiale. Il a déclaré que chaque citoyen devait adapter son comportement et ses propos en gardant à l’esprit que ces attentats visaient à monter les différents segments de la société les uns contre les autres et à agrandir les lignes de fracture fondées sur les modes de vie.

Pourtant, le segment laïc pur et dur de la société n’est pas le seul à être préoccupé par la polarisation et l’antagonisme croissants. Elif Çakir, journaliste et chroniqueuse pour le journal Karar, qui représente la voix modérée de l’AKP au pouvoir, a vitupéré contre le mécontentement du gouvernement à l’égard des personnes qui ont considéré l’atrocité du Reina comme une attaque contre un mode de vie. « Beaucoup d’entre nous ont naturellement décrit le massacre du Reina comme une attaque contre un choix de vie [...] Parce que nous sommes en Turquie et de telles choses se produisent [...] Les bleus sur les jambes d’Aysegül, coupable d’avoir porté une minijupe, ne sont pas encore partis [...] », a-t-elle écrit. « Même si avons peut-être conclu rapidement qu’il s’agissait d’une attaque contre un mode de vie, il est clair que la tension au sein de la société est très forte et une organisation telle que la Direction des affaires religieuses doit faire preuve de plus de sensibilité [...] ».

Dans une autre colonne, Çakir s’est demandé pourquoi les autorités, qui s’empressent de décrire les victimes du terrorisme comme des martyrs, ont refusé d’en faire autant pour les victimes de l’attentat du Reina. « Nos dirigeants, responsables gouvernementaux et responsables politiques au sein de l’AKP sont habituellement prompts à arriver sur les lieux des faits et délivrent immédiatement des déclarations qualifiant les victimes de martyrs [...]. Mais malheureusement, le terme "martyr" n’a pas été employé pour les victimes du Reina. On les a décrits comme des innocents, des civils [...] Mais personne ne les a qualifiés de martyrs [...] ».

Ahmet Hakan, journaliste qui a travaillé dans la presse islamiste pendant plusieurs années et qui a rejoint récemment le groupe laïc Dogan Media Group, a écrit dans une colonne que le mot « laïcité », qui l’emplissait autrefois de dégoût, était désormais une source d’espoir. « Par le passé, lorsque la laïcité était évoquée, je me fâchais [...] parce que par le passé, la laïcité était l’étendard sous lequel se rassemblaient certaines personnes qui pensaient qu’il était acceptable d’interférer avec les choix de vie des autres [...], a-t-il écrit. De nos jours, lorsque la laïcité est évoquée, l’image d’un havre de paix me vient à l’esprit [...] parce qu’aujourd’hui, la laïcité libertaire est devenue le principe qui consiste à dire "stop" à ceux qui tentent d’interférer avec des choix de vie [...] ».

Le fait que la quasi-totalité des 27 touristes tués lors de l’attentat du Nouvel an contre le Reina étaient originaires d’un pays arabophone ou d’origine arabe est un signe fort de ce que la Turquie représente pour beaucoup de gens au Moyen-Orient. Ils viennent apprécier ce mélange harmonieux entre un mode de vie oriental et occidental conçu dans les années 2000, que peu d’autres pays du Moyen-Orient ont réussi à atteindre, avec un gouvernement pro-islamiste qui peut effectivement fonctionner et réussir. C’est pour cette raison que la Turquie a été citée comme un modèle potentiel pour les États du Moyen-Orient pendant les premiers jours du printemps arabe.


EDIT (29 juin 2017)


La Turquie retire Darwin de ses manuels scolaires
Franceinfo: - 28 jun 2017
http://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/la-turquie-retire-darwin-de-ses-manuels-scolaires_2255619.html


En Turquie, la théorie de Darwin sur l'évolution va disparaitre des manuels scolaires. Les travaux de Darwin sur l'évolution ? Trop compliqués pour le responsable des programmes scolaires turcs. C'est pour cela qu'ils vont disparaitre des manuels, assure-t-il avec une explication plutôt alambiquée: "Nous avons enlevé des sujets controversés du programme. Parce que si ce débat avait été lancé par des élèves, il aurait pu leur être bénéfique. Mais nous savons que ce n'est pas possible, car nos élèves n'ont pas les bases nécessaires pour comprendre les enjeux du débat. Nous avons donc mis de côté certains sujets controversés".

En réalité, le darwinisme est surtout incompatible avec les croyances religieuses selon lesquelles c'est Dieu qui aurait créé l'Homme tel quel. Et la Turquie n'est d'ailleurs pas le seul pays où la théorie de Darwin est remise en cause. Aux États-Unis, de nombreux professeurs n'évoquent jamais la théorie de l'évolution et cela fait longtemps que des créationnistes enseignent aux enfants la Bible, lue au premier degré.


EDIT (31 juillet 2017)


Du darwinisme en déclin dans la Turquie d’Erdogan
par Samia Medawar
L'Orient-Le Jour - 31 jul 2017
https://www.lorientlejour.com/article/1064979/du-darwinisme-en-declin-dans-la-turquie-derdogan.html


« Trop compliqué », « archaïque », « dépourvu de preuves », « controversé ». C'est en ces termes qu'Alpaslan Durmus, qui dirige le comité sur les programmes scolaires au sein du ministère turc de l'Éducation, et le vice-Premier ministre Numan Kurtulmus ont qualifié le darwinisme. Dès 2019, les élèves du secondaire n'auront donc plus à étudier la théorie de l'évolution, souvent jugée comme contraire aux trois religions monothéistes, et devront attendre l'université pour le faire. Jusque-là, seule l'Arabie saoudite avait interdit l'enseignement de cette matière à l'école.

Développée par Charles Darwin dans son ouvrage L'origine des espèces publié en 1859, la théorie sur l'évolution des espèces et la sélection naturelle – les animaux les plus adaptés à leur milieu survivent – révolutionne le milieu scientifique. À l'époque, le créationnisme s'oppose à l'évolutionnisme, encore embryonnaire. De nos jours encore, le darwinisme est hautement controversé, et pourtant la décision du ministère turc de l'Éducation reste surprenante: cette théorie est présente dans tous les programmes scolaires du monde, ou presque, y compris en Turquie.
 
Mais le problème que pose le darwinisme dans le système éducatif turc n'est pas récent, et remonterait à l'Empire ottoman. Et depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP en 2000, les conservateurs du gouvernement n'ont jamais caché leur aversion pour cette théorie, et ont toujours voulu « protéger » la jeunesse de ces pensées considérées comme impures. En 2009, le Tübitak (Conseil turc de la recherche scientifique et technologique) suspend l'éditeur de son magazine mensuel pour avoir mis une photo de Darwin en couverture... Dès 2013, tous les ouvrages du Tübitak consacrés à la théorie disparaissent, et de plus en plus, des partisans du président turc Recep Tayyip Erdogan remplacent les hauts fonctionnaires du Conseil.

« Il s'agit évidemment de l'application, dans le domaine scientifique, des vues de l'AKP. Cela correspond aux idées des milieux les plus réactionnaires de ce qu'il faut appeler le "national-islamisme" turc, qui professent de telles vues depuis des décennies. Le courant le plus puissant – ce n'est pas un parti mais un groupe de pression assez nébuleux – s'appelle la "synthèse turco-islamique", qui guide tout un panel de partis – dont l'AKP d'Erdogan », explique Étienne Copeaux, historien de la Turquie contemporaine. La synthèse turco-islamique proclame que « la nation turque est musulmane » (sunnite) et approuve tous les nettoyages ethniques qui ont eu lieu de 1915 à nos jours. Devenu puissant dans les années 1970, ce courant a été encouragé, officialisé même, par les militaires après le coup d'État de 1980 pour, à l'époque, barrer la route au communisme, précise l'historien, selon lequel « Erdogan n'apparaît pas dans la Turquie actuelle comme une rupture: lui-même et son parti sont le produit d'une longue évolution ».


« Nouvelle Turquie »
À l'instar de réformes similaires, celle du ministère de l'Éducation illustre l'évolution de la politique du président Erdogan vers une sorte de « nouvelle Turquie ». Depuis plusieurs années déjà, une réorganisation administrative de l'éducation va de pair avec une transformation du récit national, ces derniers mois surtout. « Avant la tentative de coup d'État de 2016, le régime s'est mis à célébrer la prise de Constantinople. Depuis, il y a également une célébration de l'échec du coup d'État, qui a été extrêmement fastueuse cette année. Il y a un ensemble de choses qui contribuent à une "nouvelle Turquie", et Erdogan a clairement affirmé, en parlant de l'après-coup d'État, que plus rien ne serait comme avant », avance Jean Marcou, directeur des relations internationales de Sciences Po (Grenoble) et spécialiste de la Turquie.

Face au kémalisme profondément ancré dans la société turque, ce type de réforme apparaît, pour M. Marcou, comme une concession faite aux influences religieuses, d'autant plus qu'a été inscrite dans le programme l'analyse de la notion du jihad. Pour M. Copeaux, kémalisme et islam conservateur ne sont pas totalement incompatibles. « Le courant de la "synthèse" (précédemment cité) a évolué et grandi parallèlement au kémalisme – qui n'a jamais rejeté cette idée de "nation musulmane", malgré les apparences de laïcité », souligne l'historien, bien que l'héritage de Mustafa Kemal Atatürk reste la référence de choix pour les opposants à M. Erdogan.

La décision ministérielle n'est pas passée inaperçue, sans qu'une frange de la société ne réagisse. Erdogan s'appuie certes sur la Turquie dite « profonde » (petites villes de province et milieux ruraux), qui a considérablement prospéré depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP et qui reste considérablement conservatrice. « Ce "pays profond" n'est pas toute la Turquie. Il y a les alévis (20 millions) qui restent profondément kémalistes et refusent complètement la pression religieuse, et les Kurdes », nuance M. Copeaux. Il ne faut pas non plus ignorer le poids du monde intellectuel et artistique. Mais la purge qui fait rage depuis un an à travers le pays, notamment dans les médias, les milieux universitaires et militaires n'est pas pour encourager toute velléité progressiste.

Le retour de l'islam dans l'espace public – comme la célébration des fêtes religieuses bien plus manifeste que par le passé – renforce le regain de popularité de la culture musulmane, passée au second plan sous Atatürk. Dans un pays à l'histoire aussi riche, l'impact de telles réformes sur la société n'est pas des moindres. Ce retour du religieux va de pair avec un désir violent de modernité et de puissance économique, et cela se traduit par une abondance de projets dans tous les domaines, explique Jean Marcou, pour lequel une conflictualité reste néanmoins inévitable au sein d'une société de plus en plus « schizophrénique ». Étienne Copeaux est, lui, bien plus catégorique quant à l'issue malheureuse de toutes les réformes mises en place. « Toute la production intellectuelle turque est en jeu. Il se pourrait que beaucoup d'intellectuels choisissent d'aller à l'étranger, que le monde intellectuel turc s'appauvrisse, décline, alors qu'il était d'une richesse étonnante. Il y avait depuis les années 90 une véritable renaissance intellectuelle, il se pourrait qu'elle s'éteigne », déplore le spécialiste.


EDIT (20 septembre 2017)


Turquie: Face à la désillusion, la fuite des cerveaux
AFP, ChallengeS, 20 sep 2017
https://www.challenges.fr/societe/turquie-face-a-la-desillusion-la-fuite-des-cerveaux_500726


Lorsque Dilara a quitté la Turquie pour Dubaï, il y a 5 ans, ses amis y ont vu une erreur. Le pays enregistrait alors une croissance "chinoise", la scène culturelle vibrionnait et les rapports avec l'Occident étaient cordiaux. Mais la situation a depuis bien changé. Aujourd'hui, raconte par téléphone la jeune femme -dont le nom a été modifié pour préserver son anonymat-, "la plupart d'entre eux m'envoient leur CV parce qu'ils ne veulent plus rester en Turquie, surtout depuis le référendum" du 16 avril sur le renforcement des pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan, qui lui permet en théorie de se maintenir en poste jusqu'en 2029.

Dilara et ses amis font partie d'un nombre croissant de Turcs hautement qualifiés qui décident d'émigrer, un phénomène qui s'amplifie depuis plusieurs années et qui pose désormais "un vrai problème pour le pays", selon Ulas Sunata, sociologue spécialiste des flux migratoires, qui déplore l'absence de chiffres sur la question.

Le départ de ces jeunes actifs issus de secteurs divers soulève la question des conséquences économiques, mais aussi socio-culturelles, car ceux-ci sont porteurs de "valeurs universelles comme les droits de l'Homme et (leur départ) implique un affaiblissement de ces valeurs" dans le pays, souligne Mme Sunata. L'AFP a rencontré une dizaine de ces Turcs qui rêvent de partir ou qui l'ont déjà fait. Ils expliquent leur décision par le manque de perspectives d'emploi dans leur pays, par les atteintes aux libertés individuelles et par la montée du conservatisme.

La Turquie connaît une forte croissance - elle a été de 5,1 % au 2e trimestre de 2017 - et Ankara met l'accent sur sa volonté de bâtir une économie solide fondée sur l'innovation et les investissements. Mais le taux de chômage est élevé (10,2% des actifs en juin 2017), surtout chez les jeunes (20,6 % des 15-24 ans) et les critiques insistent sur l'avenir incertain de ces derniers du fait de réformes économiques en suspens.

M. Erdogan a affirmé fin juillet qu'une "fuite des cerveaux" touchait l'ensemble des pays musulmans: "Nous perdons nos étudiants les plus intelligents au profit de l'Occident", a-t-il déclaré, sans évoquer spécifiquement la Turquie. "Nous devons au plus vite mettre en place des mesures pour empêcher cette fuite des cerveaux, qui ouvre la voie à une désertification de notre monde scientifique et intellectuel", a ajouté le chef de l'Etat turc.

A l'origine, Dilara qui travaille dans le marketing numérique, voulait juste enrichir son CV d'une expérience à l'étranger. "J'ai voulu rentrer de nombreuses fois, mais, à chaque fois, des événements en Turquie m'en dissuadaient", raconte-t-elle, citant la répression brutale de manifestations anti-gouvernementales en 2013 ou encore les attentats qui ont frappé le pays depuis 2 ans. La situation a empiré avec les vastes purges menées tous azimuts après le coup d'Etat manqué de juillet 2016 au cours desquelles plus de 50.000 personnes ont été arrêtées et plus de 140.000 limogées ou suspendues.

Un professeur d'anglais de 33 ans a, lui, entamé il y a quelques mois des démarches pour quitter son pays en famille, avec sa femme et son fils, estimant "mériter de meilleures conditions de vie". "Pourquoi devrais-je souffrir s'il y a de meilleures options ailleurs ? Qu'est-ce que je fais dans un pays dépourvu de justice ?", s'interroge-t-il. Un réalisateur de 26 ans dit envisager de s'installer à Paris. "Il n'y a plus de place pour les films indépendants en Turquie", juge-t-il, estimant que le ministère de la Culture "est devenu ultra-politisé". Il affirme que les réalisateurs pro-Erdogan sont d'ores et déjà privilégiés pour l'octroi de subventions.

L'inquiétude domine également le monde universitaire, fortement affecté par les purges. Plus de 5.500 universitaires ont été limogés par décret-loi, rapportait le mois dernier le quotidien Hürriyet. Actuellement, en tant qu'universitaire, "exprimer la moindre opinion politique, c'est prendre un risque", déplore au téléphone un Turc de 28 ans installé à Montréal, où il a décidé de rester après son doctorat. "Ce serait extrêmement osé aujourd'hui d'entamer une carrière universitaire en Turquie", estime-t-il. Merve, doctorante en communication, va bientôt rejoindre son compagnon à Budapest. Lui aussi est universitaire et tous deux estiment qu'il est "trop difficile" aujourd'hui de mener une carrière académique en Turquie. "Tout le monde fait des choix en pensant à son avenir, donc j'ai choisi de partir", explique-t-elle.

Les personnes interrogées affirment que le sujet d'un départ à l'étranger occupe de plus en plus leurs conversations avec leurs amis. Mais cette question se pose surtout aux plus diplômés. Ceux-ci ont "plus de chances d'être acceptés dans le pays où ils iront", explique Mme Sunata. "Partir implique des risques, et ce sont plutôt les gens diplômés qui peuvent se permettre de les affronter". En outre, la procédure est longue et ardue.

Un historien, récemment installé en France après avoir longtemps enseigné dans l'une des universités les plus prestigieuses de Turquie, a dû patienter 4 ans pour mener à bien son projet et obtenir un travail à l'étranger. "J'espère que je n'aurai jamais à retourner en Turquie", affirme-t-il lors d'un entretien téléphonique avec l'AFP. Un ingénieur civil rencontré à Ankara s'est, lui, résigné la mort dans l'âme à entamer des démarches pour partir, après avoir longtemps refusé de suivre ses amis à l'étranger. "J'aime mon pays et je ne veux pas le laisser aux conservateurs", soupire-t-il. "J'ai l'impression de fuir".


EDIT (13 novembre 2017)


En Turquie, Erdogan dicte sa loi à l’école
par Thomas Lecomte
L'Orient-Le Jour - 11 nov 2017
https://www.lorientlejour.com/article/1083403/en-turquie-erdogan-dicte-sa-loi-a-lecole.html


Oya Ustundag ne cache pas son inquiétude. Depuis plus d'un an, cette mère de famille de 49 ans s'insurge contre la transformation du collège public Ismail Tarman, dans le quartier de Besiktas à Istanbul, en école dite « Imam Hatip ». Ces institutions religieuses, qui consacrent une dizaine d'heures de cours hebdomadaires à l'enseignement de l'islam, étaient initialement destinées à former des imams. Elles sont désormais ouvertes à tous les élèves après l'école primaire. Depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP, le parti islamo-conservateur, en 2002, leur nombre a même explosé: de 450 à plus de 2.600 établissements en quinze ans. Aujourd'hui, plus d'un million de jeunes Turcs sont, comme les deux filles d'Oya, scolarisés dans une de ces écoles Imam Hatip. « Nous n'avons pas eu notre mot à dire, s'agace cette parente d'élèves. Les autorités nous ont mis devant le fait accompli ! »

La seule solution pour échapper à ce nouveau carcan pédagogique ? Inscrire ses enfants dans une école privée. Un luxe que beaucoup de familles en Turquie n'ont pas les moyens de s'offrir. À Besiktas, quartier progressiste et laïc, plusieurs parents continuent de protester contre la conversion du collège Ismail Tarman. « Avant, c'était un établissement de bon niveau, peste Oya. Mais, depuis le passage en école Imam Hatip l'an passé, beaucoup de professeurs sont partis et les résultats des élèves ont chuté. Par exemple, le taux de réussite aux concours d'entrée des lycées a été divisé par deux. »

Officiellement, le gouvernement justifie cette réforme par sa volonté de rendre plus accessible et égalitaire l'éducation au niveau secondaire. En effet, l'inscription dans les lycées Imam Hatip est autorisée à tous les élèves, même ceux ayant échoué aux concours d'entrée des lycées publics classiques, réputés plus sélectifs. Mais, pour l'opposition, la promotion de ces écoles religieuses s'inscrit surtout dans la volonté de l'AKP « d'islamiser » la société turque. En 2012, Recep Tayyip Erdogan, lui-même ancien élève d'une école Imam Hatip, ne cachait d'ailleurs pas son intention de façonner pour l'avenir « une génération pieuse ».
Afin d'atteindre cet objectif, les manuels scolaires ont eux aussi été revisités. Au programme désormais pour les élèves dès l'âge de dix ans : apprentissage de la vie du Prophète et du concept de « bon jihad », celui qui « exalte l'amour de la patrie ». Exit, en revanche, la théorie de l'évolution de Darwin, jugée « trop complexe » par le ministère de l'Éducation. Pour Mustafa Görkem Dogan, du syndicat d'enseignants Egitim Sen, « le gouvernement conservateur souhaite tout simplement former des élèves dociles qui ne se posent pas de questions sur le monde ».
Même son de cloche du côté des universités où des milliers de professeurs ont été licenciés après la tentative de coup d'État en juillet 2016. « Et ceux qui n'ont pas encore été renvoyés ont peur d'être les prochains sur la liste », reprend Mustafa Görkem Dogan.

Dans le supérieur, les programmes sont libres, mais les universitaires sont obligés de s'autocensurer pour ne pas perdre leur travail. « En Turquie, où la délation est régulièrement encouragée par les autorités, les étudiants sont même invités à dénoncer, via une plate-forme internet, les professeurs aux idées non conformes à celles du gouvernement », dit-il. « Ils veulent des gens capables d'enseigner aux étudiants que la terre est plate si notre président le décrète », se désole le syndicaliste.

En réponse à ce verrouillage de l'enseignement supérieur, certains professeurs limogés ont créé des académies solidaires dans plusieurs villes de Turquie, notamment à Ankara, Istanbul et Izmir. Déterminés à transmettre coûte que coûte leur savoir, les enseignants donnent cours dans la rue, dans des parcs ou dans des cafés reconvertis en amphithéâtres. « Nous abordons des sujets qui ne plaisent pas forcément au pouvoir en place, comme l'histoire politique de la Turquie, la théorie des genres ou encore le droit des femmes et des minorités, détaille Aylin*, membre de l'une de ces académies. En fait, les professeurs se sentent beaucoup plus libres de parler ici que dans l'enceinte de l'université !" La jeune femme était, il y a encore un an, assistante de recherche en sociologie. Elle a depuis été mise au ban pour avoir tenu, devant des étudiants, des propos sur « la violence actuelle de l'État ». Lucide, Aylin sait que ces académies solidaires ne sont pas la panacée face à la volonté du gouvernement turc de reprendre intégralement en main le système éducatif. Mais elle s'efforce de rester optimiste: « Bien sûr que nous avons peur pour la suite. Mais savoir que nous sommes dans le vrai, dans le juste, nous donne de la force pour continuer à nous battre. »

*Le prénom a été modifié


EDIT (21 février 2018)


La Turquie devrait envisager de criminaliser l'adultère (Erdogan)
Reuters, Maghreb émergent - 21 fev 2018
http://maghrebemergent.info/actualite/breves/fil-monde/86095-la-turquie-devrait-envisager-de-criminaliser-l-adultere-erdogan.html


La Turquie devrait à nouveau réfléchir à une criminalisation de l'adultère, a déclaré mardi le président turc Recep Tayyip Erdogan, revenant sur une question qui avait scandalisé les Turcs laïcs il y a plus de 10 ans et conduit l'Union européenne à mettre en garde Ankara. L'AKP avait lancé cette idée en 2004, deux ans après son accession au pouvoir, dans le cadre d'un vaste remaniement du code pénal turc. Mais cette proposition avait été rejetée à l'époque par l'opposition laïque et des responsables européens avaient dit qu'elle pouvait remettre en cause la volonté du pays d'adhérer à l'UE. (...)

"A mon avis, il serait très opportun de discuter à nouveau de la question de l'adultère, étant donné que notre société a changé de position par rapport aux valeurs morales", a-t-il dit à des journalistes à la suite d'un discours devant le Parlement. C'est une vieille question, aux vastes implications. Elle devrait être débattue. Elle figurait déjà dans nos propositions de loi de 2004. Nous avons alors pris une décision pour nous conformer aux exigences de l'Union européenne, mais ce fut une erreur de notre part". (...)

La Turquie a dépénalisé l'adultère des femmes à la fin des années 1990. C'était déjà le cas depuis très longtemps pour les hommes. Tayyip Erdogan, accusé par ses détracteurs de mettre à mal les libertés démocratiques avec l'arrestation de dizaines de milliers de personnes et des attaques répétées contre les médias depuis le coup d'Etat avorté, a déjà évoqué par le passé son désir de voir émerger une "génération pieuse". Il a consacré sa vie politique au retour du religieux dans la vie publique d'une Turquie qui est constitutionnellement laïque. Il se présente comme le libérateur de millions de Turcs pieux dont les droits auraient été négligés par l'Etat laïc.

En juillet, la Turquie a annoncé la mise en place du nouveau programme enseigné dans les écoles, où la théorie de l'évolution de Charles Darwin a été retirée, car jugée trop difficile à comprendre. Une enquête menée le mois dernier par Reuters montre que les étudiants des écoles religieuses ne représentent que 11 % des effectifs de l'enseignement supérieur mais qu'ils reçoivent 23 % des sommes allouées par l'Etat.


EDIT (15 octobre 2019)


France-Turquie: « Le foot joue un grand rôle dans le sentiment national turc »
Entretien avec Ahmet Erdi Öztürk, chercheur
Propos recueillis par Clément Pétreault
Le Point - 14 oct 2019
https://www.lepoint.fr/societe/france-turquie-le-foot-joue-un-grand-role-dans-le-sentiment-national-turc-14-10-2019-2341190_23.php


Ahmet Erdi Öztürk est enseignant à la London Metropolitan University. Ce spécialiste des relations internationales a travaillé sur les questions de religion, d'identité et de pouvoir dans le système politique mis en place par l'AKP, le parti nationaliste et islamiste qui a accompagné Erdogan au pouvoir. Pour cet universitaire, la flambée du nationalisme turc s'inscrit dans un contexte international de montée de populismes. Le chercheur alerte sur le danger que représente cette idéologie combinée à un islam politique tel que l'encourage le président turc auprès de la diaspora turque européenne. On estime que 5 millions de ressortissants turcs vivent en Europe et parmi eux, près de 2,4 millions d'électeurs… à qui le président turc doit quelques-unes de ses victoires électorales. Interview, à quelques heures d'un match sous haute surveillance qui intervient dans un contexte international particulièrement tendu.

Constatez-vous un renouveau nationaliste chez les Turcs d'Europe ?
Oui, bien entendu. Après il faut avoir conscience que ce réveil nationaliste s'inscrit dans la grande dynamique populiste qui frappe des pays partout dans le monde. Même s'ils cultivent chacun leurs styles différents, Erdogan, Trump ou Poutine s'érigent – disent-ils – contre le monde établi et entretiennent la flamme du nationalisme. Cependant, le leader populiste turc cultive un populisme composé de deux ingrédients: le nationalisme – basé sur la nostalgie de l'Empire ottoman – et l'islam. Il ne faut pas oublier qu'Erdogan cherche d'abord et avant tout à rester en place jusqu'à sa mort. Il a besoin de ce cocktail de nationalisme et d'islamisme pour s'y maintenir. C'est un jeu particulièrement dangereux. Les nouveaux populistes assignent leur peuple à une identité restreinte et cherchent à tout prix à classifier leurs citoyens. Dans un monde globalisé où les identités sont de plus en plus mélangées, cela entretient une ambiance conflictuelle.

Qui sont ces relais des nationalistes et quel est leur intérêt ?
Leur intérêt ? Rester au pouvoir, parfois s'enrichir, c'est tout. Reprenez les déclarations quotidiennes de Trump, Orban, Poutine ou Erdogan… ils cherchent à peser sur le cours des choses en faisant l'actualité de manière grossière. Ils sont des super leaders dans leurs pays et disposent de masses acquises à leur cause pour les supporter sans poser de question.

Les autorités semblent crispées en perspective du match France-Turquie… Le football turc déchaîne à ce point les passions ?
La nourriture et le football sont les deux exceptions sur lesquelles tous les Turcs se trouvent ! Qu'ils soient de gauche, de droite, laïques ou nationalistes… tous soutiennent leurs équipes et leur nourriture. Quand l'équipe de football turque joue, c'est l'un des rares moments où tout le monde se sent turc ! La Turquie est une nation de football et ce sport joue un rôle important dans le sentiment national. Mais, en tant qu'universitaire et démocrate, je vous souhaite un nul 0-0 pour le match d'aujourd'hui ! [Ce sera 1-1. Le but turc sera célébré par un salut militaire collectif; ndc]

Le joueur germano-turc Mesut Özil a publiquement soutenu Erdogan, puis a quitté l'équipe d'Allemagne l'année dernière, en accusant ses dirigeants de racisme. Est-ce la marque d'un conflit identitaire ?
Si vous voulez poser la question de la compatibilité entre l'appartenance à la nation turque et l'appartenance à différentes nations européennes, je ne vois aucune incompatibilité ! La Turquie est entrée dans la modernité et on peut tout à fait vivre sereinement en faisant coïncider plusieurs appartenances [Par le métissage culturel; ndc]. En revanche, le sentiment identitaire turc tel que l'a transformé Erdogan pose question. Il est l'architecte d'une dangereuse exaltation qui peut pousser à une forme de repli.

En refusant d'ouvrir les négociations pour intégrer la Turquie à l'UE, l'Europe a-t-elle poussé la Turquie dans une errance diplomatique et à choisir la voie nationaliste ?
Oui. Erdogan n'est pas le seul coupable de la situation… En 2010 et dans les années qui ont suivi, la Turquie avait véritablement envie d'intégrer l'Europe, mais Sarkozy a définitivement fermé la porte à cette perspective [Et la Turquie a commencé à se tourner vers la Russie; ndc]. La responsabilité est partagée. Mais il n'est jamais trop tard pour retisser des liens vers l'Europe. La moyenne d'âge de la Turquie est de 28,9 ans ce qui en fait la nation la plus jeune dans la zone Asie-Europe. Erdogan a remporté les élections avec un peu plus de 50 % des voix, l'autre moitié du pays reste très ouverte sur l'Europe.