Le Monde d'Antigone

Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
Seule une révolution mettra fin à un système
dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.

Rubriques

>> Toutes les rubriques <<
· 37 - Lointains échos dictatures africain (392)
· 00 - Archivage des brèves (767)
· .[Ec1] Le capitalisme en soins intensifs (548)
· 40 - Planète / Sciences (378)
· 10 - M-O. Monde arabe (381)
· . Histoires et théories du passé (217)
· 20 - Japon, Fukushima (236)
· .[Ec2] Métaux, énergies, commerce (251)
· 24 - USA (297)
· 19 - Chine [+ Hong Kong, Taïwan] (314)

Statistiques

Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour : 08.09.2025
8559 articles


Rechercher

Une marche contre le racisme ? Mais il n'y a pas de race !

Publié le 31/10/2015 à 07:46 par monde-antigone


La race humaine n'existe pas ! L'homme est une espèce. Ces principes ne devraient plus être à démontrer. Tous les scientifiques en conviennent: les 7 milliards d'êtres humains qui vivent sur cette planète appartiennent à la même espèce.

C'est pourquoi les formulations qui parlent de "liens du sang", ou de "droit du sang" (qu'on oppose au "droit du sol") sont aberrantes, tout comme le fait de qualifier une personne de "race noire" et une société de "multiraciale" devrait être banni de notre vocabulaire. Et pourtant, même les médias institutionnels armés des "meilleurs intentions multiculturalistes" utilisent ces références constantes à la "race". Faut-il s'étonner alors que le racisme biologique qui en découle soit omniprésent tant dans l'usage courant, dans les commentaires (genre "fils de ta race") postés sur internet, que dans les "dérapages" plus ou moins contrôlées des politiciens. Il est toujours celui par lequel les préjugés les plus primaires s'expriment en guise d'arguments ultimes, ad personam.

Face à de tels propos, il n'y a pas d'autre choix que de repousser l'ignorance en répétant que la race humaine n'existe pas. Cela devrait apparaître clairement sur tout tract ou tout autre support censé "dénoncer le racisme"... mais on le lit rarement. Et il n'y a aucune chance qu'on l'entende cet après-midi à Paris, de Barbès à Bastille, lors de la manifestation "pour la dignité et contre le racisme" patronnée par Angela Davis.

On sait que c'est plus facile de brocarder la bêtise crasse de Le Pen, Zemmour, Morano, etc. C'est bien plus manichéen aussi de faire croire que le racisme est l'exclusivité de méchants fascistes et de réactionnaires de tout poil. A force d'utiliser de tels arguments, l'antiracisme militant ne s'est plus seulement contenté de vilipender les comportements d'exclusion basés sur l'origine, il s'est étendu aux discriminations d'ordre sexiste, homophobe, ethnique, tribal, etc. en les découpant en catégories et sous-catégories. A tel point que chacun peut se prévaloir d'un antiracisme en se moquant de l'antiracisme du voisin, voire en le combattant.

Cet antiracisme devient insupportable dès qu'un lobby s'en empare pour faire la promotion d'une identité, d'un particularisme, et défendre les intérêts qui y sont rattachés. Pourtant le rejet et le mépris de l'autre sont tout autant cultivés, inoculés, diffusés insidieusement et beaucoup plus largement par les démocraties sous des formes républicaine, paternaliste, "bienveillante". L'actualité nous le rappelle régulièrement. La politique de sélection pratiquée par l'Union européenne vis à vis des migrants par exemple en est la dernière illustration en date.

Il n'y a qu'une manière de combattre le "racisme", c'est d'expliquer inlassablement que l'existence de "race(s)" est une connerie, et que cette société d'exploitation l'utilise sciemment pour nous diviser en "peuples", pour mieux entretenir le sentiment de supériorité et favoriser la domination coercitive d'une classe sociale sur toutes les autres.


Le concept de race peut-il s'appliquer aux humains ?
par André Langaney
Propos recueillis Laurent Brasier
Sciences & Avenir - 28 sep 2015
http://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/anthropologie/20150928.OBS6633/le-concept-de-race-peut-il-s-appliquer-aux-humains.html


Suite aux propos polémiques tenus par la députée européenne Nadine Morano qualifiant la France de "pays de race blanche", Sciences & Avenir fait le point sur la signification scientifique du mot "race". Noire, jaune, blanche, verte... Parler de race chez l'être humain n'a pas vraiment de sens d'un point de vue scientifique.
Ce texte est extrait du hors-série 183 de Sciences & Avenir. "La grande histoire de l'humanité en 50 questions" est disponible depuis le 15 octobre 2015 en kiosque. Ce numéro est entièrement consacré à la grande histoire de l'humanité.


Le concept de race peut-il s'appliquer aux humains ?
« Il y a deux concepts de races: les races naturelles et les races domestiques. Ces dernières, créées par les humains, sont des lignées endogames (reproduites entre elles) d’animaux ou de plantes choisis pour certaines qualités, par exemple des vaches qui donnent davantage de lait. Les éleveurs ou agriculteurs excluent les individus qui ne possèdent pas ces qualités. Les races naturelles, elles, sont, au sein de certaines espèces, des populations dont les individus se distinguent. Ce qui suppose des critères physiques ou génétiques propres à tous les individus d’une race et à eux seuls. Le Mau égyptien, par exemple, est une race de chat qui possède naturellement un marquage de taches noires.

Le concept de race domestique ne s’applique pas aux humains, qui n’organisent pas leur reproduction. Le concept de race naturelle ne s’applique pas non plus, faute de critères permettant de classer tous les individus en groupes homogènes séparés. Les diversités génétique et physique humaines sont plus fortes entre les individus d’une même population qu’entre les populations. Ceci rend l’espèce inclassable en races cohérentes, malgré de nombreuses tentatives.

Et crée un malentendu entre le sens commun, où l’on parle de races dès que des gens diffèrent par des critères physiques ou culturels, et le sens scientifique. Ainsi, dire que les races humaines n’existent pas est souvent incompris. Il vaut mieux préciser: “Les humains sont inclassables. Ils ont tous une origine commune récente et ne sont pas séparés. Leur variation est continue, les populations se mélangent et s’interpénètrent depuis toujours. Pensez à la transfusion sanguine: seuls comptent les groupes sanguins – les mêmes partout, sans référence aux aspects physiques ou aux origines géographiques".

Certes, la génétique met en évidence des différences entre populations, mais il s’agit de différences de fréquences de gènes (par exemple, la fréquence d’un allèle [forme que peut prendre un gène, ndlr] qui rend la personne capable de digérer le lait à l’âge adulte), pas de gènes qui seraient entièrement présents dans une population et absents dans une autre. Ces différences ne permettent donc pas de classer les individus, mais des populations définies arbitrairement, sur des critères statistiques, eux aussi arbitraires. Selon les gènes et les populations que l’on utilise, on obtient donc des classifications très différentes, incohérentes entre elles et incohérentes avec les caractères physiques visibles. Ainsi, les populations “noires” d’Afrique, d’Inde et du Pacifique sont génétiquement très différentes et bien plus apparentées, chacune, à des populations à peau claire qu’elles ne le sont entre elles ».


Nique la « race » !
ou comment éclatent les frontières entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche du pouvoir
par Anarchistes contre le racialisme
Non Fides - 18 oct 2015
http://www.non-fides.fr/?Nique-la-race-4739


Le 31 octobre à Paris, a lieu la « marche pour la dignité et contre le racisme », organisée et signée par un certain nombre de groupes et d’individus pour le moins ambigus sur leurs rapports avec l’extrême-droite ou l’Islamisme politique et la récupération (mutuelle) de leurs idées, elle marque l’avancée d’une mystification grossière et de plus en plus courante, qui ne peut fleurir que sur le vide et l’ignorance qui caractérisent cette époque décomposée. Parfois il n’y a pas d’ambiguïté, comme par exemple avec Tariq Ramadan (et ses Frères Musulmans), maître du double langage et partisan d’un « moratoire » sur la lapidation des femmes. On nous parle de « races » et d’anti-racisme dans les mêmes phrases, un boulevard ouvert au XIXe siècle par certains courants racialistes et colonialistes de gauche, et arpenté depuis quelques années par Dieudonné, Soral et leurs (ex-)amis des Indigènes de la République, avec l’appui de quelques « antifascistes » perdus, et d’investissements divers des actionnaires internationaux de la réaction. Vous allez marcher aux cotés d’un mouvement (le PIR) qui appelle, comme le parti nazi à une autre époque, à la « lutte des races », un concept remis à l’ordre du jour pas des universitaires qui font leurs carrières dans le sillon du philosophe des ayatollah, Michel Foucault, ou du darwiniste social Ludwig Gumplowicz (der Rassenkampf).

L’idée de « race », entendue comme classification des différents groupes ethniques de l’espèce humaine, a été abandonnée par les sciences autour du XIXe siècle, car la variabilité génétique entre individus d’un même groupe est plus importante que la variabilité génétique moyenne entre groupes géographiques éloignés. La race n’est donc pas un critère biologique valide ou crédible depuis déjà longtemps, du moins en ce qui concerne la description de l’espèce humaine. Le terme continue d’être employé pour les autres espèces animales, pour lesquels les « races » sont distinguées à des fins d’élevage et de sélection, une utilisation que nous ne trouvons pas beaucoup plus acceptable, mais ce n’est pas le sujet du jour.
L’utilisation des « races » appliquée aux humains, a malgré cela perduré encore quelques décennies dans l’usage courant (entendre, au café du commerce). C’est derrière ce concept que se sont organisées les rafles et l’extermination des juifs et des tziganes d’Europe par les nazis et leurs relais locaux, comme l’État français. Aux « races inférieures », les nazis opposaient la « race supérieure », celle des forts, des nordiques, les « aryens ». Rien de nouveau donc lorsque l’on analyse la nouvelle marotte des Indigènes de la République et leurs amis racialistes: Le dit « philo-sémitisme d’Etat », d’un État francais qui a donné le plus possible des juifs qu’il avait sous la main pour les parquer, les exploiter et les exterminer. On reste sur les plates bandes piégées d’Eric Zemmour, qui lui, nous explique de la même manière que Pétain a « sauvé des juifs » (sic !).

Or, le racisme doit être combattu sous toutes ses formes, celui des opprimés comme celui des dominants, celui des Zemmour et des Le Pen comme celui de l’homophobe Bouteldja (qui n’a rien d’une opprimée, mais tout d’une hipster issue de la bourgeoisie universitaire franco-algérienne) et des racistes Soral et Dieudonné (qui s’en mettent plein les poches au passage), mais également le racisme entre opprimés. La destruction des juifs d’Europe, Houria Bouteldja, patronne des indigènes, la décrit comme d’une « historicité douteuse ». Rendant ainsi hommage au père spirituel du négationnisme pro-nazi: Robert Faurisson et ses nouvelles mules: Soral et Dieudonné. De même, le discours qui consiste à associer les israéliens (et les juifs !) à l’État d’Israel ou les palestiniens (et les arabo-musulmans !) aux autorités palestiniennes, ou alors le sionisme et le judaïsme, les juifs SDF et les juifs banquiers, les fedayins du Moyen-Orient et les arabes et musulmans d’ici (qui peuvent aussi bien être patrons, militaires, juges ou flics), etc.. Fini la lutte des classes, et place à la lutte des « races », les « races sociales », même. Tout n’est que raccourci, parce que les raccourcis sont plus faciles à faire avaler à des ignorants que des pensées complexes, documentées et un tant soit peu sérieuses, sans parler même de révolutionnaires (un truc de blanc, la révolution ? nous dit-on parfois, sans aucun fondement historique réel…).

Le concept de « race » a aussi été utilisé pour justifier, par exemple, les zoos humains dans lesquels, en Europe, on exposait dans des cages les individus de « races inférieures » (des individus capturés comme du gibier dans les colonies) aux occidentaux, comme une curiosité exotique, à coté des femmes à barbes et des concours de lancers de nains. Le colonialisme lui même était basé sur le concept de « race » et sur la prétendue « supériorité » des unes sur les autres, ou selon les points de vue, des autres sur les unes. Ce sont les mêmes conceptions qui ont permis l’esclavage de populations entières par d’autres à travers les ages et à des échelles monstrueuses, comme lors des différentes traites des noirs ou le commerce triangulaire sur lequel les Etats occidentaux (mais aussi d’autres régions du monde, notamment celles où étaient capturés les esclaves) se sont enrichis pendant des siècles.  L’utilisation du mot a perduré encore quelques décennies, dans un usage le plus souvent lié à l’ignorance et à l’habitude, jusqu’à ce qu’il ne soit plus utilisé que par des courants racistes (ou racialistes, mais nous laissons la distinction aux taxidermistes) d’extrême-droite, comme les suprémacistes blancs du Ku Klux Klan aux USA ou chez les Afrikaner de l’apartheid sud-africaine, mais aussi chez les suprémacistes noirs de Louis Farrakhan, etc. Dans tous les cas, il nous paraît important de rappeler que les « races » sont des constructions sociales sans aucun autre fondement que les idéologies et les traditions réactionnaires. Un concept qui n’a jamais servi à rien d’autre qu’à créer des hiérarchies entre les humains sur des critères sociobiologiques orientés, pour d’un coté, gommer les différences entre les classes (au service de la guerre au pauvre), et séparer les exploités dans de petites communautés fermées où seuls les « siens » comptent, et le reste du monde peut bien crever.

Aujourd’hui, le concept de « race » semble vouloir faire son retour, mais pas uniquement à droite. Cela fait des années que dans certaines mouvances d’extrême-gauche, des racialistes d’un genre nouveau sont en train de reprendre le pouvoir. Fondamentalement, le racialisme de gauche n’est pas nouveau, il a servi, en « prouvant » l’infériorité des colonisés, à justifier le colonialisme de gauche, entre autres méfaits. La différence avec celui de droite c’est souvent qu’il se veut bienveillant (éduquer les « sauvages », leur apporter « nos » Lumières et autres balivernes civilisatrices et paternalistes) lorsqu’à droite il se veut toujours malveillant, et parfois exterminateur. Suite à une longue dérive, ce néo-racialisme (qui n’a de nouveau que les protagonistes) marque la prise de parti racialiste de toute une gauche identitaire qui classe et trie les individus selon leurs origines ou le pantone de leur épiderme, comme la droite identitaire, et leur assigne de façon mécanique, comme les marxistes autrefois avec le prolétariat, une « tache historique ». La seule différence, répétons-le, c’est que le tri se fait pour la promotion à gauche et pour l’exclusion à droite.

Les nouvelles idéologies de gauche, souvent issues de l’université, comme les post-colonial studies (et les radical studies en général), l’intersectionnalité, certaines formes de féminismes ou d’« antiracisme » remettent le concept au goût du jour, l’air de rien. La proposition organisationnelle de la non-mixité, par exemple, en est l’un des meilleurs exemples. Cela principalement lorsque les critères de cette non-mixité sont basés sur des critères racialistes: noirs, blancs, etc. Mais à partir de quel degré ou pourcentage de mélanine peut-on être considéré comme noir ou blanc, ou ni l’un ni l’autre ? De la même manière, les tailles et les formes du clitoris et du pénis sont tellement variables que nous posons la même question sur le genre, comment enfermer un individu, avec toute sa complexité et son unicité, dans des cases aussi fantoches que « noirs », « blancs », « femmes », « hommes » mais aussi « homosexuels » ou « hétérosexuels », « juifs », « chrétiens » ou « musulmans ». Un individu homosexuel, est-il homosexuel à 100 % ou à 33 %, si il a déjà eu du désir pour un individu du sexe opposé, est il toujours à sa place en non-mixité homo ? A partir de quel pantone doit-on se considérer comme noir, blanc, jaune ou on ne sait quoi d’autre ? Plutôt U-78566 ou UE-988009 ? Qui décide de qui est « noir » ou « blanc », de qui est l’untermensh et de qui est l’« aryen » ?

Toutes les catégories qui réduisent les individus à des critères biologiques (ou sociobiologiques) ou à des identités fixes, sont des catégories du pouvoir qui n’ont jamais servi à rien d’autre qu’à séparer les humains entre eux, pas sur des critères de classe, ou sur des critères liés aux choix individuels des uns et des autres, mais sur des critères imaginaires, essentialistes et englobants. On est « noir » ou « blanc », on est « français », « espagnol », « israélien » ou « palestinien », comme on est « juif », « chrétien » ou « musulman », c’est à dire par choix, par assignation ou par intériorisation des catégories du pouvoir. Dans les trois cas, le résultat est le même: le repli identitaire, tribal et communautariste. Mais les identités sont des illusions et des fantômes sur lesquels se sont toujours recroquevillés les exploités en période de crise sociale, relayant les imaginaires de division du pouvoir pour perpétuer la « paix sociale », l’autre nom de la guerre aux pauvres. Si nous tenons à l’idée d’une rupture avec ce monde de fric et de flic, il nous faudra abandonner toutes ces catégories du pouvoir qui ne servent qu’à diviser pour mieux régner, et donc assurer la domination de l’économie et des États sur les populations.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de nier que, par exemple, les Indigènes de la République ont rejoint les thèses racialistes de l’extrême-droite, ou bien pour le dire simplement: qu’ils ont rejoint l’extrême-droite pour y former une nouvelle tendance qui ne diverge d’avec les autres que sur un seul point: un vieux fond de commerce gauchiste et l’inversion des schémas racistes ordinaires, mais toujours les mêmes vieux schémas pourris de l’intérieur, c’est-à-dire la race, et le plus souvent, l’homophobie, le sexisme et la haine du « juif ». Pas étonnant alors que derrière eux, se meuvent des groupes religieux alliés historiques des totalitarismes divers comme les Frères Musulmans, en terme de financement comme en terme d’apports idéologiques et pratiques (au même titre que les Black Panthers, la Nation of Islam ou le Hamas).

Révolutionnaires, nous devons remettre la « race » dans les poubelles de l’histoire où nous l’avons trouvé, sous peine de rendre impossible toute transformation radicale de l’existant. A l’heure où les frontières entre extrême-droite et extrême-gauche n’avaient pas été aussi floues que depuis la Belle Époque et les thèses immondes de Gobineau sur l’inégalité (et l’existence !) des races, le simple fait que nous ressentions le besoin de ré-exprimer de telles banalités (que les races n’existent pas) à l’occasion d’une manifestation prétendument « anti-raciste », devrait être un signal d’alarme assez fort. L’heure est grave, et nous insistons:
Il n’y a pas de races, seulement des racistes !

Contre toute forme de racisme-racialisme-"racisation",
Anarchistes contre le racialisme


Modèles d’interprétation du racisme et conséquences politiques actuelles
par Yves Coleman
Ni patrie ni frontières - 27 oct 2015
http://mondialisme.org/spip.php?article2370


Dans un livre consacré à l’histoire de la Ligue révolutionnaire des ouvriers noirs (League of Revolutionary Black Workers [1]) de Détroit (James A. Geschwender, Class, Race and Worker Insurgency, Classe, race et insurrection ouvrière, Cambridge University Press, 1977), (...), l’auteur décrit, dans son introduction, quatre grands modèles d’interprétation du racisme aux Etats-Unis. Il en existe certainement d’autres, d’autant que ce livre a été écrit il y a plus de 30 ans, mais il nous a semblé utile de reprendre son analyse et de vérifier dans quelle mesure ces modèles peuvent s’appliquer à la France.

Ces quatre modèles américains étaient pour Geschwender:
– le modèle assimilationniste;
– le modèle explicatif centré sur les préjugés ou le racisme des individus « blancs »;
– le modèle « classiste » qui rend l’exploitation capitaliste responsable du racisme;
– le modèle qui souligne la place de la « colonie interne » ou de la « nation opprimée immergée » que constituent les Afro-américains.
Si l’on analyse la façon dont la gauche, l’extrême gauche, l’ultragauche et les libertaires analysent la question du racisme en France, on retrouve de nombreux éléments de ces modèles d’interprétation et d’action, et souvent un mélange de ces analyses dans ces différents courants.


1. Le modèle assimilationniste
Comme l’explique Geschwender, c’est le modèle dominant aux Etats-Unis mais nous pouvons ajouter qu’il en est de même en France. Selon les sociologues ou les politiciens qui le défendent, la question du racisme serait secondaire; ses partisans refusent même d’envisager l’existence d’un racisme structurel ou institutionnel [2]. Les Noirs aux Etats-Unis (en France, les Antillais, les Africains, les Maghrébins, les Asiatiques) sont une des nombreuses minorités qui constituent la nation bourgeoise [3]. Chacune a dû subir les épreuves plus ou moins pénibles de « l’intégration » et finalement aucune minorité n’a été ou n’est vraiment plus discriminée que les autres.
Traduction française: « Les Polonais, les Italiens, les Portugais, les Espagnols en ont bavé mais s’en sont sortis financièrement et socialement (ici on insère quelques noms ou exemples à l’appui de ce raisonnement) ; les Maghrébins, les Africains, les Asiatiques suivront le même chemin, inutile donc de faire tant de boucan autour de la question du racisme. »
Pour que « l’intégration » dans la nation bourgeoise réussisse, il faut donc que les immigrés et leurs descendants « fassent des efforts » pour assimiler la culture dominante (donc, en France, les valeurs républicaines-universalistes-nationalistes locales).
Dans un premier temps, les minorités seront certes victimes de préjugés puissants mais, à long terme, toutes finiront par « s’intégrer » et cela fabriquera de bons petits Américains (ou de bons petits Français). Si des minorités religieuses ou ethniques ne s’assimilent pas, c’est donc principalement leur faute, même si elles rencontrent une hostilité plus ou moins violente de la majorité « autochtone ».
Aux Etats-Unis, trois raisons principales sont avancées par les assimilationistes pour expliquer les « problèmes » des minorités, et surtout des Afro-Américains:
– les minorités ne savent pas s’organiser en communautés efficaces (en France, c’est plutôt : les minorités n’adhèrent pas aux syndicats, partis et associations existants; les immigrés ne « veulent pas fréquenter des Français » et préfèrent « rester entre eux » – les Chinois – ou « se marier entre eux » – les Turcs –; ils ne font « pas d’efforts pour apprendre la langue », etc.);
– elles ne votent pas assez aux élections (en France, on se souvient de ces multiples associations, journalistes et politiciens qui, après les émeutes de 2005, mirent l’accent sur l’importance de s’inscrire sur les listes électorales);
– elles ne créent pas d’entreprises et de réseaux économiques suffisamment puissants.
Comme le remarque Geschwender, ce modèle assimilationniste refuse d’admettre qu’il existe des différences importantes dans le traitement par l’Etat américain (ou français dans notre cas), par les patrons et par la société, de façon plus générale, entre les immigrés européens et les immigrés non européens. On pourrait ajouter aujourd’hui entre immigrés « chrétiens » et « musulmans ».
La question est évidemment beaucoup plus complexe que le simple clivage Européens/non Européens, puisque ce sont justement des immigrés ou des citoyens européens (les Juifs) qui ont été victimes du plus important génocide au sein de ce continent.
Cette réserve faite (et ce n’est pas un point de détail dans l’histoire des racismes européens !), il est évident que l’importation de telle ou telle catégorie de main d’œuvre ou l’ouverture des frontières à l’immigration est étroitement liée, du moins dans l’histoire du capitalisme, à des besoins de main-d’œuvre qualifiée (les artisans suisses, belges et allemands en France au XIXe siècle) ou surtout non qualifiée (les plantations du Sud aux Etats-Unis, puis l’industrie américaine et européenne après la première et la seconde guerre mondiale). Elle correspond à la nécessité d’exploiter de nouveaux salariés. Cette exploitation s’accompagne d’une propagande idéologique pour justifier les discriminations sur le marché du travail, les bas salaires, l’impossibilité de grimper dans la hiérarchie, la ségrégation spatiale, etc.
Dans le cas français, on a toujours justifié le choix de certaines nationalités dans tel ou tel secteur industriel, voire à tel ou tel poste, en se servant de critères « culturels » racistes, que ce soit dans le bâtiment, les mines, l’automobile, la sidérurgie ou plus récemment la sécurité, l’aide à domicile ou le nettoyage. Ces critères racistes ont d’ailleurs été « théorisés » aussi bien sous la Troisième, la Quatrième et la Cinquième République, généralement par des hauts fonctionnaires républicains de gauche, en tout cas pas d’extrême droite [4].
Ces critères racistes ont contribué à créer, ou à entretenir, des préjugés qui ont permis eux-mêmes de maintenir la division entre les travailleurs de diverses origines. Pour la majorité des travailleurs franco-français, voire ceux dont les parents ont été naturalisés, par exemple, il était et il est encore « normal » qu’ils occupent des positions d’ouvriers professionnels, d’employés, de contremaîtres ou de chefs d’atelier et que les (nouveaux) immigrés occupent des postes de manœuvres, de concierges, de femmes de ménage, de balayeurs, de vigiles ou d’ouvriers non qualifiés.
Le modèle assimilationniste fait l’impasse sur ces préjugés et discriminations encouragés par la classe capitaliste, mais aussi sur l’impact de cette situation sur la capacité des immigrés, ou des descendants d’immigrés, à s’assimiler à la nation bourgeoise.
Des réflexes identitaires d’autodéfense apparaissent également chez les travailleurs immigrés (qu’ils soient de nature nationaliste, ethnique ou religieuse) qui rendent évidemment beaucoup plus difficile l’assimilation (plus ou moins) désirée par la bourgeoisie. Face à ces réactions identitaires des minoritaires apparaissent aussi des réactions identitaires chez les membres de la majorité « autochtone », y compris chez les prolétaires.
S’il est, pour le moment, beaucoup moins favorable à l’organisation en communautés que le modèle anglais ou américain, le modèle républicain français est tout aussi « aveugle aux couleurs » (il nie l’importance des préjugés, des discriminations racistes et du racisme institutionnel). Et cette attitude relativisant le racisme est répandue aussi bien à gauche, voire à l’extrême ou à l’ultragauche, qu’à droite.


2) Le modèle d’explication centré sur les préjugés ou le racisme des individus « blancs »
Ce modèle est assez répandu en France, dans la mesure où, que ce soit dans les explications du MRAP, de la LICRA ou de SOS Racisme, ou bien les interventions des journalistes, artistes et intellectuels de gauche, il est assez courant de dénoncer les préjugés individuels des Français contre telle ou telle catégorie de population… sans creuser beaucoup plus la question et s’attaquer aux causes structurelles du racisme dans la « patrie des droits de l’homme ».
Ce modèle est, depuis trente ans, au centre de « l’humour » propagé par Canal Plus, le Djamel Comedy Club, toutes sortes de feuilletons ou de films tentant de ridiculiser le racisme (mais n’attaquant jamais les fondements du nationalisme républicain français [5]).
Comme le note Geschwender, ce modèle d’interprétation est populaire parce qu’il repose sur une vision très optimiste. Dans la mesure où ce modèle sépare complètement racisme et exploitation capitaliste, il attribue la principale cause du racisme à une réaction de rejet, à une simple méconnaissance ou incompréhension de « l’Autre ».
Il suffirait donc d’éduquer  la majorité dominante pour que les membres des minorités soient vus de façon sympathique voire empathique par cette même majorité. Dans une telle perspective, l’humour des comédiens de stand up d’origine maghrébine ou africaine ; les séries ou les films dégoulinant de bonnes intentions antiracistes ; les grands discours sur le multiculturalisme ou « l’interculturalité », accompagnés de fêtes ou repas « ethniques »; les concerts antiracistes, les discours sur la « République métissée », la « diversité » ou la « France multiethnique ou multiculturelle », occupent une place centrale pour améliorer le fameux « vivre ensemble ».
Comme le fait remarquer Geschwender, ce modèle est centré surtout sur les tares ou les défauts individuels des racistes ou des personnes qui ont des préjugés plus ou moins ancrés dans leur cerveau ; il cherche à les amener à s’amender, à comprendre qu’ils sont dans l’erreur. Ce modèle, qui a une dimension morale, voire moralisatrice, fait l’impasse sur l’utilité et la fonction politique, sociale et économique du racisme.
Ce modèle est parfaitement acceptable même par une partie de la droite dite « républicaine » puisqu’il ne remet pas en cause le système capitaliste. Il s’accompagne, dans le meilleurs des cas, de la mise en place d’un arsenal juridique permettant aux associations antiracistes de traîner devant la justice tel ou tel individu raciste et de le faire condamner. En soi, cette démarche purement légale n’est pas négative [sic !] [6], même si elle a une portée politique très limitée. Par contre, elle tend à faire du racisme uniquement une question individuelle, à occulter ses dimensions sociales, et à décourager toute lutte collective en dehors des prétoires. Ce qui pose quand même de gros problèmes…


3) Le modèle « classiste » qui rend l’exploitation capitaliste responsable du racisme
Ce modèle est plus utile que les deux précédents dans la mesure où il permet de comprendre pourquoi les patrons vont chercher de la main-d’œuvre dans d’autres pays (qu’il s’agisse des esclaves africains ou des travailleurs salariés du tiers monde, des « sans papiers » ou de ceux qui ont une carte de séjour). Il permet de comprendre pourquoi les capitalistes et l’Etat jouent sur la compétition entre les différentes catégories de salariés, propagent eux-mêmes des préjugés racistes, y compris dans le secteur du tourisme [7].
Aux Etats-Unis, le modèle « classiste » permet de comprendre pourquoi les travailleurs issus des différentes immigrations européennes se sont opposé aux travailleurs d’origine africaine (arrivés souvent en Amérique bien avant eux, du moins si l’on parle de l’immigration européenne, latino-américaine ou asiatique au XXe siècle), et pourquoi ces derniers ont considéré que les ouvriers blancs étaient leurs ennemis. Il explique pourquoi certains travailleurs noirs sont parfois allés jusqu’à accepter de servir de briseurs de grève voire d’hommes de main des milices patronales pour briser les luttes des ouvriers blancs avant la Seconde Guerre mondiale.
Le modèle « classiste » permet aussi de comprendre pourquoi les multinationales et les Etats occidentaux pillent les ressources des pays du Sud, soutiennent des dictatures sanguinaires, fomentent des coups d’Etat, tout cela au nom de la défense de la « civilisation » (chrétienne) hier, de la « démocratie » aujourd’hui, ou de la lutte contre le terrorisme islamiste.
Il a enfin pour utilité principale, essentielle même, de mettre en avant une communauté d’intérêts objective entre les prolétaires, les exploités, de toutes origines et de toute nationalité, puisque leur ennemi, le Capital, est le même.
Le principal inconvénient de ce modèle est qu’il ne permet pas d’expliquer l’ascension sociale d’une partie significative des personnes issues des minorités nationales et/ou ethniques: qu’il s’agisse de la création d’une classe moyenne noire aux Etats-Unis ou d’une beurgeoisie en France, le modèle classiste qui a tendance à assimiler tous les travailleurs originaires d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie au prolétariat (ou, version branchée, aux « dominés ») se trouve démoli quand des fractions significatives des immigrés ou des descendants d’immigrés non européens se constituent en communautés, en groupes de pression sur des bases ethniques, religieuses ou ethnico-religieuses, et deviennent à leur tour d’« excellents » exploiteurs, en particulier de leurs coreligionnaires ou de leurs compatriotes.
Dernière limite du modèle purement classiste: il repose sur l’idée que le racisme serait un phénomène uniquement européen, uniquement lié à l’expansion du capitalisme. Malheureusement, il n’en est rien : pour ne prendre qu’un exemple, la blancheur de la peau a toujours été considérée à la fois comme un critère de beauté et un critère de classe en Asie parce que seuls celles et ceux qui travaillaient dehors, aux champs ou dans la rue, avaient la peau « bronzée » par le soleil. Ils étaient considérés comme racialement inférieurs aux nobles, aux princes et aux membres des cours royales qui eux ne travaillaient pas, même si les « théories » raciales les plus sophistiquées ont été inventées en Europe.


4) Le modèle de la « colonie interne » ou de la « nation opprimée immergée ».
Ce modèle est très à la mode aujourd’hui puisqu’il est à la base des lectures dites « décoloniales » des réalités européennes, mais la plupart des militants ignorent ses origines puisque ses « inventeurs » les dissimulent sciemment. Elles sont pourtant faciles à dénicher, puisqu’elles proviennent des thèses de l’Internationale communiste et en particulier celles du Parti communiste américain (PCA) entre 1928 [8] et 1957, d’un théoricien trotskiste (CLR James) durant les années 30 et d’intellectuels nationalistes afro-américains durant l’entre-deux-guerres et après la seconde guerre mondiale.
Ces thèses avaient un grand pouvoir d’attraction au départ pour les militants les plus déterminés: elles permettaient d’offrir des perspectives aux Noirs américains, soit en les incitant à lutter pour la création d’un ou ou de plusieurs Etats au sein des Etats-Unis où ils seraient majoritaires et exerceraient le pouvoir; soit à justifier le retour en Afrique (la « patrie originelle » totalement idéalisée) ; soit à légitimer des revendications et une lutte radicale concernant un partage plus égalitaire du pouvoir national aux Etats-Unis. Toutes ces théories rendaient les Noirs américains fiers de leur histoire et de leurs combats, ce qui n’était pas du tout négligeable. Elles permettaient d’expliquer aussi comment, de même que les empires britannique ou français avaient réussi à former et/ou acheter des élites locales, pour maintenir leur domination dans les colonies, la classe dominante américaine pouvait (et peut toujours d’ailleurs) recruter parmi la minorité noire des partisans qui acceptent de collaborer pour justifier sa domination à condition de bénéficier de prébendes suffisantes.
Ce raisonnement peut s’appliquer évidemment aussi aux minorités non européennes présentes au Royaume Uni, aux Pays-Bas ou en France aujourd’hui, voire à d’autres pays n’ayant pas de passé colonial mais qui attirent une main-d’œuvre issue du Sud cherchant à s’installer durablement sur le continent européen.
Loin d’avoir inventé une théorie radicalement nouvelle, les partisans actuels de la « décolonialité » ne font que reprendre des positions élaborées à la fois par des intellectuels « blancs » européens (les dirigeants de la Troisième Internationale) et par des intellectuels afro-américains il y a soixante-dix ans. Mais reconnaître de telles origines intellectuelles en partie « blanches » serait démolir tout leur bel édifice « théorique »
Evidemment pour que cette vieillerie idéologique ait un look branché, on assaisonne aujourd’hui le discours « décolonial » de considérations postmodernes (issues elles aussi pour une grande part de l’intelligentsia « blanche » occidentale: Foucault, Derrida, Deleuze and Co n’étaient pas vraiment issus des « minorités postcoloniales » !), de termes comme « déconstruction » et « déconstruire » qui sont quand même nettement plus sexy que de se réclamer de l’Internationale communiste dirigée par des « Blancs » ou du trotskiste puis panafricaniste antillais CLR James, un quasi inconnu de surcroît fervent partisan de la dialectique hégélienne ! On y ajoute aussi des références aux mouvements de libération nationale de l’ancien tiers monde (mouvements qui, comme la Troisième Internationale, se situaient aussi, malgré leurs discours nationalistes, dans la tradition d’un certain universalisme occidental… « blanc ») qui ont encore un impact sur la jeunesse grâce aux images d’Epinal transmises par la propagande de gauche et d’extrême gauche…
Mais soyons honnêtes: en dehors de ce bricolage idéologique et de cette falsification grossière, cette position qui tend à dramatiser la situation des minorités non européennes en Occident en les comparant à celle de colonisés a tout de même un petit aspect positif, malgré ses dimensions identitaires réactionnaires; en effet, elle appelle à une lutte radicale (surtout sur le plan verbal et au service de démagogues carriéristes, mais pas seulement) au sein des métropoles capitalistes européennes. Il ne s’agit pas d’un discours victimaire (du moins pas toujours) mais d’un discours qui est fondé sur la revendication de l’égalité, de la justice et de la dignité. On est très loin de la lutte des classes et de la solidarité entre tous les prolétaires, on est à des kilomètres de l’action directe et de l’auto-organisation véritable, mais cela pourrait être un début: disons un commencement démocratique-radical sur des questions importantes ignorées par la gauche, l’extrême gauche et les anarchistes depuis des décennies [9].
Malheureusement, comme les deux premiers modèles d’interprétation, le modèle « décolonial » reste fondamentalement citoyenniste [10], c’est-à-dire favorable à l’union entre toutes les classes au sein des communautés dites « non blanches ». Son objectif est d’obtenir la reconnaissance par l’Etat, par ses institutions et ses politiciens, que tout de même, il nous faudrait plus de juges, de flics, de chefs, de journalistes, de députés et de patrons « issus de l’immigration » pour que tout aille mieux (apparemment, les partisans de la décolonialité et leurs soutiens gauchistes européens n’ont rien appris de l’exemple américain, y compris de la présence de Barack Obama, Condoleeza Rice et Colin Powell au sommet de la plus importante puissance sur la planète…).
Il suffit à cet égard d’écouter le débat organisé par mediapart avec les organisateurs de la marche contre le racisme et pour la dignité du 31 octobre 2015. Aucun des intervenants ou intervenantes n’a prononcé le mot de travailleur, d’ouvrière ou de prolétaire. Tous et toutes n’avaient à la bouche que des mots comme « non Blancs » et « Blancs », « musulmans », etc. Ils n’ont apparemment aucune conscience du fait que la société capitaliste est structurée en classes sociales aux intérêts opposées et pas simplement en pseudo « races » (imaginées par les exploiteurs) ou en religions structurées qui font le jeu de l’ordre établi. Si la révolte contre les discriminations racistes, contre les crimes du colonialisme et du néocolonialisme, est toujours positive au départ, il est catastrophique qu’elle soit dévoyée et se fixe pour unique objectif un simple partage du gâteau capitaliste…


Notes
[1] On trouvera toutes sortes d’informations et de documents de la Ligue et des analyses en anglais ici:
https://libcom.org/tags/league-revolutionary-black-workers
[2] Sur le racisme institutionnel, cf. « Racisme institutionnel et action affirmative  » (2007).
[3] Je me permets d’ajouter « bourgeoise » derrière nation (bien qu’il s’agisse pour moi d’un pléonasme), parce que la majorité des militants de gauche et d’extrême gauche considèrent qu’il y aurait de bons et de mauvais nationalistes….
[4] Cf. Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France, Fayard 2007, Pluriel, 2014.
[5] « Les comiques « antiracistes » sur-médiatisés renforcent les préjugés qu’ils prétendent combattre » (2004) et le numéro intitulé « Les pièges mortels de l’identité nationale ».
[6] NdNF: Si collaborer à la justice de classe n’est pas une démarche « négative », c’est au moins une démarche de collaboration de classe qui donne une bien sale idée du monde dans lequel on veut vivre si l’on est prêt à ce genre de compromis avec l’autonomie ici et maintenant. Sur le sujet on pourra lire par exemple le texte d’agitation « Je n’appelle pas le 17 ! ».
[7] En témoigne ce stage que j’ai suivi à Air France à la fin des années 70: sous prétexte d’apprendre aux employés de l’aéroport les caractéristiques « culturelles » de la clientèle on nous inculquait en même temps des stéréotypes sur les Américains, les Japonais, les Antillais, les Maghrébins, etc. Cf. « Comment fonctionne le racisme quotidien dans les aéroports d’Orly et Roissy »
[8] Dès 1922, dans ses « Thèses sur la question nègre », l’Internationale communiste déclarait : « C’est pourquoi le 4e Congrès déclare que tous les communistes doivent spécialement appliquer au problème nègre les “thèses sur la question coloniale”. » Les premiers jalons du tournant ultérieur du PCA, puis aujourd’hui des études postcoloniales, furent donc posés par des communistes « blancs » russes…
[9] NdNF: Hormis pour ce qui est d’affirmer que ces questions ont été ignorées par la gauche, l’extrême gauche et les anarchistes depuis des décennies, nous sommes en désaccord profond avec le reste de ce paragraphe.
1- La revendication de la « justice » est une plaie bourgeoise et béante du démocratisme qui gangrène encore beaucoup de révolutionnaires, comme ce texte, par ailleurs fort juste et intéressant (et que nous publions pour participer à développer ces questions là où elles ont été oubliées par ceux qui pensent qu’elles sont déconnectées de la guerre sociale ou de la lutte des classes, ou bien qu’elles ne méritent pas d’être abordées), en témoigne. Sur la question voir « Quelle vérité, quelle justice ? »
2- Nous ne voyons pas en quoi « il ne s’agit pas d’un discours victimaire ». Se définir politiquement en tant que victime  du racisme, de la police (pire, de notre police), de ceci ou de cela, c’est nécessairement porter un discours victimaire, et pas moins post-moderne et « déconstruit » que ceux critiqués précédemment dans le texte, à juste titre.
[10] Cf. « Citoyennisme attraction fatale », 2004.


Lettre ouverte à ceux qui pensent que participer à la Marche-de-la-dignité-contre-le-racisme-avec-le-soutien-d’Angela-Davis n’est pas un problème
Non Fides - 17 oct 2015
http://www.non-fides.fr/?Lettre-ouverte-a-ceux-qui-pensent


Vous avez peut être prévu d’aller marcher avec dignité contre le racisme le 31 octobre prochain en répondant à l’appel porté par Amal Bentoussi. Vous n’avez peut être pas prêté particulièrement attention au fait que cette initiative a été lancée par le Parti des Indigènes de la République ou vous avez renoncé à prendre en compte ce que cela signifie. L’appel lui-même se donne d’ailleurs l’air assez normal et évite les formules choc dont le P.I.R. s’est pourtant fait une spécialité. On pourra tout de même y relever l’énumération significative des « Noirs, Arabes, Rroms et Blancs des quartiers » (fausses évidences et vraies assignations identitaires, dont la dernière est une nouvelle née des sept familles de la racialisation) et tant pis pour les prolétaires, « des quartiers » ou pas, qui ne rentrent pas dans ces catégories, les débordent ou tout simplement les refusent. L’appel du meeting de préparation à Saint Denis nous replace clairement sur les terres du P.I.R., qui ne laissent comme terrible horizon que la religion et la race, puisqu’on y dénonce les « discriminations systémiques », avec la mise en avant de 3 catégories prioritairement discriminées: les « musulmans », les « Noirs », les « Rroms ».


On ne marchera donc pas ce jour là pour la « dignité » de tout un chacun.
De l’habituel racisme au singulier contre lequel on propose de marcher dans le titre, on passe, à la fin du texte d’appel, aux racismes au pluriel, déclinés ainsi: « l’islamophobie, la négrophobie, la rromophobie galopantes », il ne manque que l’évocation du « philosémitisme d’état » pour retrouver à l’identique les déclarations plus que contestables de la porte parole du P.I.R., à Oslo par exemple. D’ailleurs, dans la présentation des signatures de l’appel on sépare et on hiérarchise les « femmes racisées », puis les stars et « personnalités », puis les « associations de racisées », enfin les « soutiens » qui sont les personnalités et groupes non racisés ou qui ne sont pas cités à ce titre.
On marchera donc ce jour-là pour la promotion d’un anti-racisme repeint aux couleurs de la race. Effectivement, cette marche n’est pas une promenade de santé, c’est une étape dans l’avancée d’un projet politique en cours.

• Il s’agit pour les initiateurs de se poser en médiateurs universels détenant le monopole des réalités des banlieues et des quartiers populaires, mais aussi de la question des migrants, pour polariser la conflictualité qui peut y prendre place à travers un filtre racial et judiciariste.

• Il s’agit aussi d’une tentative de récupération à la portée bien plus large que celle que SOS Racisme a opéré dans les années 80, et s’en inspirant sans doute: on s’approprie ici ouvertement la marche de 83 bien sûr, mais aussi les émeutes de 2005, et au-delà, l’ensemble de l’héritage des luttes immigrées, que ce soit sur les questions des papiers, du travail, du logement, ou sur d’autres terrains, qui court sur plusieurs décennies.

• Il s’agit donc de la construction d’enjeux politique autour de la question raciale avec l’approbation de la présence de personnalités plus qu’infréquentables, officiellement signataires de l’appel: par exemple Tariq Ramadan, ambassadeur des frères musulmans (dont le Hamas est une des branches), Médine, connu pour ses quenelles de soutien à Dieudonné et sa proximité avec le fasciste et antisémite panafricain Kémi Séba, Ismahane Chouder de Participation et Spiritualité Musulmanes, groupe qui a appelé à la « Manif pour tous » et qui a partie liée avec l’assassinat de militants d’extrême gauche au Maroc dans les années 90, et bien sûr Saïd Bouamama, collaborateur régulier du pro-négationniste Michel Collon, et Houria Bouteldja, porte parole du P.I.R., coutumière des plateaux télé, de l’éloge de la famille, de l’ordre et de l’obéissance aux structures communautaires et à la religion, ainsi que des invectives antisémites, contre le métissage, homophobes et sexistes.

On ne marchera donc pas ce jour là seulement avec la dignité, mais aussi avec ses nouveaux amis. Dieudonnistes, panislamistes, protofascistes religieux: la dignité a de bien mauvaises fréquentations en ce moment, sans même parler de ceux qu’elle ne présente pas le premier soir.

Nous sommes de plus en plus nombreux aujourd’hui d’horizons relativement variés, révolutionnaires, anarchistes, communistes anti-autoritaires, militants, entre autres, des luttes de l’immigration, épris sans doute davantage d’émancipation que de dignité et de justice, à s’opposer à la récupération en cours et à refuser la proposition politique portée par cette initiative.
Le 31 octobre, même du pied gauche, ne marchons pas dans cette combine !

Octobre 2015,
A la croisée des chemins…