Le Monde d'Antigone

Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
Seule une révolution mettra fin à un système
dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.

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Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour : 25.09.2025
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La Mecque plus ultra

Publié le 25/09/2015 à 19:16 par monde-antigone


Le 11 septembre, une grue de chantier tombe. Bilan: 109 morts et 238 blessés. Hier, un mouvement de foule fait 2.223 morts (actualisé d'après des chiffres donnés par 31 pays) sans compter les disparus.
Satan en a marre de se faire lapider et Allah a la main lourde. Mais c'est "Sa volonté"... aidée par celle du profit et de la cupidité. Car la religion, c'est du business, et les Saoud ont mis le paquet pour faire cracher leurs fidèles et rentabiliser leur parc d'attraction. Cet article nous en explique le gigantisme...


La Mecque plus ultra
Une métropole chamboulée par la « modernité »
par Slimane Zeghidour
blog Deus ex machina (02/01/2008)
http://blogs.tv5.org/deus_ex_machina/2008/01/la-mecque-plus.html
rapporté par Orient XXI - 21 sep 2015

http://orientxxi.info/magazine/la-mecque-plus-ultra,1023


Ils n’en reviennent pas encore, les deux millions et demi de pèlerins qui viennent d’accomplir le hadj, le grand pèlerinage de La Mecque. Surtout ceux qui n’avaient encore jamais vu la ville, « leur » ville sainte et qui n’en avaient à l’esprit qu’une image d’Épinal, celle que l’on voit orner et protéger tout foyer musulman bon teint, de Djakarta à Los Angeles et de Sarajevo à Durban: un amas compact de collines arides avec, au fond d’une cuvette, la Kaaba, le Cube noir, la Maison de Dieu.

Cette image pieuse a vécu. L’icône n’est plus qu’une relique, à mille lieues du nouveau paysage des lieux saints. Disparu, depuis un an déjà, englouti sous des gerbes d’immeubles et de tours, l’imposant amas de collines compact abritant en son cœur la cité sainte. Il n’y a plus qu’un bloc urbain de verre et de marbre hérissé de pylônes et de paraboles. Même sort pour le très saint mont Nour — « Lumière » — jusqu’alors dominant tout le massif et au sommet duquel Mohammed reçut la Révélation du Coran de la bouche de l’archange Gabriel. Ce haut lieu de l’islam s’estompe désormais derrière une forêt de grues d’où jaillit une jungle d’immenses tours qui s’élancent vers le ciel comme autant de geysers de béton et de métal.

Plus terre-à-terre, un pimpant et ostensible Mc Donald’s que surmonte l’universel « M » jaune se dresse au seuil de la ville nouvelle, à l’orée de l’avenue qui conduit tout droit au saint des saints de l’isla: le Haram, la mosquée sacrée qui abrite la Kaaba. Rien ne distingue plus cette artère, qui fut jadis un véritable parcours initiatique reliant l’univers profane au territoire sacré, de n’importe quel autre boulevard: enfilade de boutiques, hôtels, foules de chalands accourus des cinq continents, Babylone de langues, débauche de marques fleurant bon l’Occident «  matérialiste  ».

Voici, au bout, l’esplanade du Haram, ample corridor à ciel ouvert cernant la Grande Mosquée en forme de « 6 » à l’envers et où peuvent se recueillir un million de fidèles. Paysage insolite, presque extravagant, que ce cœur spirituel de l’islam, pôle géographique vers lequel se tourne et se prosterne, cinq fois par jour, tout croyant pratiquant. Cet antre de la foi croule sous la masse des gratte-ciel en construction, le vacarme incessant des grues et des excavatrices, l’éclat aveuglant des néons clignotants des sigles fétiches: KFC, Hilton, Rolex, Burger King, Méridien, Lipton, Pizza Hut… On croyait toucher du doigt le plus antique temple de l’univers et on se retrouve dans une sorte de Rockefeller Center. Plus de trace, du coup, des gargotes ouvertes jour et nuit et offrant contre cinq riyals — à peine un euro  ! — du riz au poulet rôti, de la purée de fèves ou des kebabs avec frites et salade de concombres.

Un chantier pharaonique dirait-on, n’était le caractère maléfique de Pharaon dans le Coran. Le bruit de fond accablant, la poussière qui emplit l’air immobile et brûlant, le ballet des grues, le carrousel des camions de tous gabarits, l’agitation de 30.000 ouvriers arborant sur leur gilet le nom du groupe Ben Laden Saudi, le Bouygues saoudien, tout ce spectacle donne le tournis. Ici et là se détachent de gigantesques panneaux montant le futur profil de la ville. Des paysages urbains, peints en style hyperréaliste, qui évoquent à s’y méprendre le tout nouveau City Center de Las Vegas et qui n’ont, loin s’en faut, rien à voir avec Istanbul ou Le Caire. À vue d’œil, une ville s’effondre, une autre jaillit de ses ruines.

Un homme a conçu le plan de la nouvelle « Mère des Cités »: Abdelaziz Darwich. Architecte formé aux États-Unis, il a reçu le redoutable privilège de façonner le futur visage de la ville natale de Mohammed. Se sent-il coupable d’inciter à démolir de fond en comble la métropole de l’islam ? Nullement: « Le lieu saint est plus un état d’âme qu’un monument », plaide-t-il. Et d’enchaîner: « À La Mecque, le fidèle ne vient pas toucher la pierre qu’a caressée le Prophète, non, il vient humer l’air que l’Envoyé d’Allah y a respiré ». Conclusion: on peut donc raser toute la ville, à condition de ne pas réaffecter l’endroit à un autre usage que la prière. Tout en discutant dans son bureau de Djeddah façon salon japonais, l’artiste dévide sur un grand écran plasma le DVD simulant un époustouflant parcours virtuel de La Mecque de demain: enfilades d’immeubles, arabesques d’échangeurs, entrelacs de toboggans, forêts de gratte-ciel aux allures de stalagmites de verre et d’acier, le tout sous un ciel rougeoyant.

Le motif d’une telle démolition, sans précédent dans l’histoire du Proche-Orient  ? La « démocratisation » du hadj, grâce à l’avion qui aura fait passer le nombre de pèlerins, entre 1900 à l’an 2000, de 10.000 à 2 millions et demi d’« Invités » à la « Maison d’Allah ». Ainsi la cité, qui compte d’ordinaire un million et demi d’âmes en accueille, lors du pèlerinage, jusqu’au double. Des foules de tous les horizons qu’il faut pouvoir non seulement y acheminer, mais aussi loger, nourrir, blanchir, pourvoir en eau — ablutions obligent — et, au besoin, soigner ou même, en cas de décès, ensevelir sur place, car nul proche parent du défunt ne songerait un instant à le rapatrier hors de la patrie du Prophète. Ceci sans parler des défis qu’un tel rush mondial pose à la sécurité sanitaire ni même des risques de désordres politiques.

Il n’empêche, ce souci louable d’accueillir au mieux les Invités d’Allah n’a pas tardé à se conjuguer avec un appétit commercial aussi âpre que pieux. À savoir, rentabiliser au maximum la valeur ajoutée financière du hadj. Et ce, d’autant plus aisément que le Coran, au contraire de l’Évangile chrétien, érige le commerce au rang de métier noble entre tous. Mohammed n’a-t-il pas été lui-même guide de caravanes charriant encens et myrrhe entre océan Indien et Méditerranée via, justement, l’étape de La Mecque ? Ne jure-t-on pas aussi que Dieu a prévu, pour les élus du Paradis, un souk hebdomadaire où ils pourront assouvir leur goût sacré des marchandages et des emplettes ? Ainsi une spéculation immobilière sans pareil s’emballe-t-elle autour du Haram. Le prix du mètre carré y dépasse les 100.000 €. Un record mondial absolu.

Traduction sur le terrain de cette fièvre : le complexe Zam Zam autour du Haram, ainsi baptisé du nom de la source sacrée qui coule sous la Kaaba, un mégaprojet d’une surface totale de 1,5 million de mètres carrés. Budget initial: 42 milliards d’euros. Déjà, une gerbe de quatre tours s’étire à l’assaut du ciel; des hôtels 5 étoiles de 40 étages chacun que devra coiffer un gratte-ciel de 110 étages, d’une hauteur de 527 mètres. Le chantier s’élève, prend corps et s’anime en temps réel, étage après étage. Un centre commercial, les Tours du Temple, rutilant, tout de marbre gris perle, de verre fumé et de métal chromé, peut absorber, clame une brochure, jusqu’à 200.000 visiteurs à qui sont proposés du Burger King au café Starbucks et, au besoin, au « must » de Cartier.

Un autre must se trouve dans l’une des quatre tours, la Zam Zam Sofitel, un hôtel haut de gamme dont la gestion a été confiée au groupe français Accor. Les croyants ont beau être « égaux comme les dents d’un peigne » (1), il y aura quand même des «  Invités  » mieux lotis que d’autres. Avec 34 étages, 1.240 suites et 930 studios, le Sofitel propose, pour 1.000 € la nuit, des chambres avec vue… sur le Haram et la Kaaba. Et ça marche du tonnerre d’Allah à en croire le gérant, un Franco-polonais converti à l’islam qui croule sous les réservations venant des cinq continents. Thierry Czwec n’en revient toujours pas de diriger, à La Mecque même où il vit désormais avec son épouse égyptienne, le « plus luxueux palace du Proche et du Moyen-Orient ».

À un jet de pierre de Zam Zam vrombit le chantier du djebel Omar où des excavatrices fouaillent les entrailles du sol sacré pour y aménager un parking de 12.000 places sur lequel s’érigera un complexe aussi titanesque. Au catalogue: 4.500 boutiques, 3.000 showrooms, deux palaces 5 étoiles, une salle de prière pour 2.000 fidèles, des tours d’habitation pour 34.000 locataires, un héliport sur les toits; le tout adossé à un ensemble immobilier de pas moins de 590 édifices en projet, ce qui suppose la démolition totale d’un pan entier de la ville sainte.

Une métropole aussi futuriste implique une mise à niveau des voies d’accès pour la rattacher au vaste monde. Sur ce plan aussi le chantier avance à pas de géant. En plus des dizaines de tunnels creusés sous les collines, des cinq périphériques déjà ouverts, le cabinet français Architecture Studio a imaginé une sorte de voie royale, la Makkah West Gate. Un boulevard long de 5 kilomètres et large de 100 mètres pour raccorder le Haram à une gare multimodale implantée à l’ouest de la ville sainte, sur la route de Djeddah. Cette gare, qui pourra acheminer jusqu’à 2.000 passagers par heure, devrait accueillir, également, un TGV prévu pour l’an 2012. Confiée au groupe français Alsthom, l’étude du train à grande vitesse pour le berceau de l’islam devrait inclure une connexion ferroviaire avec tout le Proche-Orient et, partant, avec l’Europe. Ainsi plaisante Thierry Czwec, « on pourra affirmer que si tous les chemins mènent à Rome, tous les chemins de fer mènent à La Mecque ».


EDIT (27 septembre 2015)


Le drame de La Mecque expliqué par la mécanique des mouvements de foules
Entretien avec Medhi Moussaïd, chercheur en sciences cognitives, spécialiste de la dynamique des mouvements de foule à l’Institut Max Planck,
Propos recueillis par Lucas Burel
L'Obs - 25 sep 2015
http://tempsreel.nouvelobs.com/sciences/20150925.OBS6527/bousculade-meurtriere-a-la-mecque-le-facteur-cle-est-celui-de-la-densite-de-la-foule.html


Plus de 700 morts, près de 1.000 blessés, le bilan de la bousculade mortelle de pèlerins à Mina, près de La Mecque, n’a cessé de s’alourdir depuis le mouvement de foule de jeudi matin.

Le dernier grand mouvement de foule meurtrier dans la ville sainte remontait à 2006. Etes-vous surpris par ce nouveau drame ?
Ces accidents étaient très réguliers dans les années 1990 car à l’époque, l’organisation du pèlerinage était moins professionnelle. Au début des années 2000, les autorités saoudiennes ont commencé à faire appel à des experts pour trouver des solutions et envisager des aménagements du site, notamment en installant des caméras pour étudier précisément les flux de pèlerins. Par chance, si j’ose dire, la bousculade meurtrière de 2006 a pu être filmée et disséquée par les organisateurs, ce qui leur a permis d’établir clairement les facteurs à risques et d’améliorer les conditions du pèlerinage.


Justement quel est le facteur principal à prendre en compte pour prévenir ces accidents ?
Le facteur clé est celui de la densité. Dans la vie de tous les jours, on considère que la densité normale est inférieure à une personne par mètre carré. Dans un stade ou lors d’un concert, elle peut monter à 2 ou 3 personnes par mètre carré, ce qui a pour conséquence de provoquer des perturbations de la circulation des individus mais ne cause pas vraiment de danger. Au-delà de 5 individus par mètre carré, on dépasse un seuil critique et les effets de cette concentration sont moins connus et plus difficiles à anticiper. Au moment de la bousculade de 2006, les caméras de La Mecque ont observé une densité de 9 personnes par mètre carré, ce qui est tout à fait extrême.
Quand le seuil critique de 5 personnes par mètre carré est atteint, la physique et la mécanique des fluides rentrent en jeu: les individus sont collés les uns aux autres et on observe des phénomènes de transfert de force. Les pressions opérées entre chaque individu s’additionnent et créent des vagues de bousculade qui vont en se multipliant et en s’amplifiant. Le tout forme un mouvement chaotique que l’on peut comparer à une mer en pleine tempête et qui est complètement indépendant de la volonté de chaque élément de la foule.


Le risque zéro existe-t-il ?
Je ne crois pas, mais une bonne organisation peut réduire considérablement le risque d’accident. Depuis 2006, les organisateurs ont déjà opéré des changements importants comme l’élargissement des voies, des horaires précis pour chaque pèlerin afin de fluidifier le trafic et des artères à sens unique. Pour résumer, la question centrale pour une bonne gestion en temps réel est : « Qui va où et à quel moment ? ». Le problème est que l’afflux de pèlerins à La Mecque est tellement important que diriger les flux peut avoir des conséquences imprévisibles. Par exemple, si vous fermez un accès à un site et obligez un grand nombre de gens à patienter, vous vous exposer à des phénomènes de tassement de la foule qui peuvent aussi conduire à des accidents.


La ministre de la Santé saoudien a mis en cause le comportement des pèlerins, qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas qu’il faille pointer du doigt les pèlerins. Ces accidents sont dus à des défaillances dans l’organisation et pas à des comportements individuels. Une des explications avancée pour expliquer la bousculade serait que de nombreux pèlerins ont tenté de faire demi-tour.
C’est un phénomène très dangereux car les déplacements bidirectionnels ont pour conséquence d’augmenter la densité et mettant en contact des forces contraires. Au lieu de mettre la faute sur certains individus, les organisateurs devraient plutôt chercher à comprendre ce qui a déclenché la décision de ces pèlerins. Dans une foule compacte, chaque individu n’est pas libre de ces mouvements, il est la victime du groupe.