Le Monde d'Antigone

Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
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A propos des "mouvements de citoyens" au Japon

Publié le 15/09/2015 à 17:03 par monde-antigone


Je réagis par rapport à un article paru sur Japon infos qui témoigne selon moi d'une méconnaissance de la société japonaise.
J'explique pourquoi juste après...


Japon: Des contestations mais une singulière absence d’opposition
par Hugo Pelet
Japon infos - 01 sep 2015
ttp://www.japoninfos.com/abe-des-contestations-mais-une-singuliere-absence-dopposition.html


Ces dernières semaines ont été le théâtre d’une vague contestataire probablement sans précédent dans le second mandat de Shinzô Abe. En effet, le Premier ministre s’est engagé à faire aboutir deux programmes législatifs considérés comme les plus sensibles de son programme: le redémarrage progressif des centrales nucléaires et la loi de sécurité qui allouera plus de prérogatives aux forces d’autodéfense.

Ces deux projets particulièrement impopulaires l’ont fait chuter dans les sondages, et ont conduit des centaines de milliers de Japonais dans les rues. Ce dimanche 30 août, encore 120.000 personnes ont manifesté autour de la Diète contre la loi de sécurité. Des chiffres impressionnants au Japon en terme de contestation populaire qui témoignent du désaveu d’une partie des citoyens japonais pour leur Premier ministre. Et pourtant,  Shinzô Abe peut rester serein concernant son avenir politique. Actuellement, le Japon connaît une tendance politique assez singulière. Malgré les nombreuses protestations émanant du peuple japonais, le Premier ministre ne se trouve que peu inquiété au sein de la sphère politique.

Dans un premier temps, les élections internes du Parti Libéral Démocrate (PLD) auront lieu courant septembre, et pour l’instant, Shinzô Abe est le seul candidat à sa succession. Tous les autres concurrents potentiels, comme par exemple Shigeru Ishiba, ministre pour la revitalisation régionale, ont abandonné et se sont rangés derrière le Premier ministre,  qui se trouve complètement incontesté au sein de sa formation. Dans un second temps, le principal parti d’opposition, le Parti Démocrate du Japon (PDJ), peine toujours à s’organiser pour proposer une alternative sérieuse à la gouvernance de Shinzô Abe. Une alliance avec le Parti de la Restauration (Ishin no Tô) est en discussion, et pourra peut-être changer la donne dans les semaines à venir.

Quoiqu’il en soit, porté par la coalition PLD-Kômeitô qui lui offre la majorité des sièges dans les deux chambres, Shinzô Abe dispose de tous les moyens pour mener à bien ses projets de loi. Cette absence étonnante d’opposition, sans doute regrettable pour le jeu démocratique, ne vient que confirmer ce leadership. De manière paradoxale, le Premier ministre, cible d’une virulente critique populaire et médiatique, régit la vie politique japonaise sans concurrence manifeste.


D'abord, si en Europe les grands Etats ont connu entre les XVIIe et XIXe siècles des mouvements sociaux, des révolutions nationales, qui ont abouti à la formation de partis bourgeois réunis au sein d'un parlement, le Japon a connu une histoire différente.

Le seul bouleversement politique que le Japon a connu depuis son unification à la fin du XVIe siècle s'est produit quand, en 1868, l'empereur Meiji, porté par le courant le plus moderniste de la classe dominante, a renversé le shogunat des Tokogawa. Ce coup d'Etat, favorisé par la décomposition de l'Etat féodal, est venu non pas d'en bas, à la suite d'une pression de la rue à l'encontre d'une élite de privilégiés, mais d'en haut, à travers une élite qui a imposé son modèle à l'ensemble de la société... un modèle social et institutionnel qui était importé d'Europe, d'Allemagne principalement.

Les partis politiques ont pris naissance à partir d'une caste composée de petits seigneurs post-féodaux qui se déguisaient en jaquettes et hauts de forme. Cette histoire explique pourquoi les liens n'ont jamais été très étroits entre les partis et la société, pourquoi les scandales politiciens laissent l'opinion publique relativement indifférente, bien plus qu'en Europe ou en Amérique du nord, pourquoi les ministres sont des fils de ministres et les politiciens des fils de politiciens, pourquoi le PLD est au pouvoir presque sans discontinuer depuis 1948, et pourquoi, lors des dernières élections législatives, l'abstention a dépassé 45 % malgré le battage médiatique.

Ensuite, une organisation sociale qui prend en charge les problèmes quotidiens et agit comme une force de contestation, ça existe au Japon. Les "mouvements de citoyens " (les shimin undo) existent même par milliers, regroupés en associations autour d'un quartier, d'un village, parfois à l'échelle d'une préfecture ou d'une région. Ils existent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, sur une base solidaire, quand il a fallu repartir de zéro.

C'est vers la fin des années 50 et début des années 60 que des coopératives de consommation (ou clubs de la vie - "seikatsu club") se sont constituées de manière très informelle au sein de petites communautés. Mais le phénomène a surtout pris de l'ampleur à partir de 1970 avec les scandales de santé publique, des affaires de pollution industrielle au cadmium, au plomb ou au mercure; la plus connue étant celle de Minamata (Voir le film "The victims and their world"). Les mouvements "anti-kogai" - anti-pollution, on ne disait pas encore "écologistes" -, se sont alors multipliés, puis des associations de consommateurs sont apparues, et d'autres encore concernant la qualité de vie, la sécurité alimentaire, les transports, le logement... auxquelles les femmes ont participé en nombre.

L'activité de ces collectifs consiste encore aujourd'hui en grande partie à recueillir des informations précises, vérifiées méticuleusement par des professionnels, des médecins, des scientifiques, utilisées par des avocats, des journalistes. Des petits bulletins sont ainsi publiés, tirés à des centaines voire à quelques milliers d'exemplaires. Ces associations tentent de faire pression sur les pouvoirs publics, de solliciter l'aide des administrations locales, de négocier directement avec les promoteurs, les industriels et autres décideurs.

Un parti d'extrême-droite, le Komeito, branche politique de la secte bouddhiste Sokagakkai, et surtout le Parti communiste (PCJ) ont bien tenté d'encadrer ces mouvements en espérant en tirer un bénéfice électoral, mais les associations ont gardé leur indépendance.

Notons au passage que participer à la prise en charge de la vie quotidienne (on ne parlait pas encore d'autogestion) dans l'idée de faire changer les habitudes par la culture et l'éducation, investir petit à petit l'espace social pour promouvoir des idées neuves et changer la société, tout cela était inspiré par les théories de Gramsci (fondateur du PCI en 1921) dont les écrits étaient alors à la mode dans les années 70 dans les milieux gauchistes et intellectuels italiens.

La création du Parti Vert ("midori no to") n'a pas rencontré le succès espéré par quelques notables opportunistes au lendemain de Fukushima. Dans un système politique aussi clientéliste qu'au Japon; l'avenir d'un petit parti sans réseau, sans moyens, comme ce "Parti du futur " (nom du Parti Vert entre 2008 et 2012), est incertain, d'autant que la prégnance locale des associations et coopératives "citoyennes" est solide.

Leurs pratiques ne sont pourtant pas sans faiblesse. Sans même parler de la bureaucratisation qui est inhérente à toute forme de gestion et de permanence, elles prennent racine sur les modèles traditionnels existants (il faut dire qu'elles ne les ont pas choisis). Elles s'ancrent sur de petits territoires et se tournent trop peu vers l'extérieur alors que le Parti Vert aspire à la reconnaissance internationale en cherchant à s'associer à de puissantes ONG comme Greenpeace. C'est pour cette raison (pour plus d'efficacité dit-il) qu'il se fait appeler "Greens Japan"...

 Néanmoins, ce sont ces "mouvements citoyens", plus féminisés qu'ailleurs, qui sont à l'origine des manifestations du vendredi à Tokyo contre le nucléaire, contre la dérive militariste du gouvernement Abe. Ils connaissent un regain d'activité depuis Fukushima. C'est à travers eux que la contestation se manifeste de nos jours au Japon.

L'article de Japon infos perçoit beaucoup trop la politique japonaise à travers le prisme politicien des partis qui, tout bien pesés, ne représentent pas grand chose. La manifestation du 30 août à Tokyo qui a réuni 120.000 personnes (l'une des plus importante de ces dernières années) n'aurait jamais été possible sans l'action de ces collectifs. Le principal parti d'opposition, le PDJ, s'est cru obligé d'y participer pour passer à la télé et faire oublier qu'il était au pouvoir en mars 2011, mais son apport a été dérisoire.