Le Monde d'Antigone

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Dernière mise à jour : 17.12.2025
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Sébastopol: Une base navale russe clé en Ukraine

Publié le 28/02/2014 à 19:06 par monde-antigone


Pourquoi la Crimée a-t-elle un statut à part ?
par Mathilde Gérard
Le Monde - 28 fev 2014
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/28/pourquoi-la-crimee-a-t-elle-un-statut-a-part-en-ukraine_4375700_3214.html


Depuis la destitution, samedi 22 février, du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, tous les regards se tournent vers la Crimée, péninsule multiethnique de 2 millions d'habitants au statut de république autonome. Jeudi 27 février, une centaine d'hommes armés ont envahi le bâtiment du Parlement de Crimée, tandis que des forces prorusses prenaient possession des deux principaux aéroports de la région, posant la question d'une éventuelle sécession de la péninsule.

La République autonome de Crimée jouit d'un statut spécifique en Ukraine depuis l'indépendance du pays en 1991. Si le Parlement régional de Crimée n'a pas le pouvoir d'initier des lois, la Crimée est autonome sur le plan budgétaire. Surtout, elle dispose de sa propre Constitution: celle-ci, qui a fait l'objet de nombreux allers-retours entre Kiev et Simferopol entre 1992 et 1998, est finalement entrée en vigueur en 1999. Mais ce texte de compromis est critiqué par les autonomistes de Crimée qui demandent un retour à la Constitution de 1992.

Par ailleurs, Sébastopol bénéficie d'un statut spécial au sein de la Crimée : une ville autonome dans une région autonome. Le maire de Sébastopol n'est d'ailleurs pas élu, mais désigné par les autorités de Kiev. Economiquement et culturellement, l'emprise russe est très forte sur Sébastopol et l'économie de la ville tourne majoritairement autour de la base navale.

La Crimée n'est rattachée à l'Ukraine que depuis soixante ans. Cette péninsule bordée par la mer Noire a été occupée au fil des siècles par les Grecs, la république de Gênes, l'empire Ottoman, la Pologne... A la fin du XVIIIe siècle, la Russie de Catherine II prend la Crimée et en fait le point de départ d'une stratégie de conquête des mers chaudes. Pour mettre fin aux ambitions expansionnistes russes, l'empire Ottoman soutenu par la France de Napoléon III, la Grande-Bretagne et le royaume de Sardaigne, réattaque la péninsule en 1853: c'est la guerre de Crimée, la première guerre moderne et photographiée de l'histoire [Les clichés de Roger Fenton publiés dans la presse anglaise ont provoqué une émotion dans l'opinion publique et une première prise de conscience humanitaire qui sera à l'origine de la création de la Croix rouge quelques années plus tard, ndc], qui culmine avec le siège de Sébastopol. Le conflit, très meurtrier - 750 000 hommes y périssent en trois ans [Les 3/4 du choléra et du scorbut, ndc] - se solde par une défaite et la fin des rêves de conquête russes mais la Crimée reste sous le contrôle de Moscou.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la péninsule, avec son bord de mer et son climat doux, devient une terre de villégiature pour l'aristocratie russe, qui y établit ses résidences d'été. Pendant la guerre civile russe, cette zone « blanche » est le point de passage obligé de nombreux Russes antibolchéviques, candidats à l'exil.

En 1954, Nikita Khrouchtchev, lui-même d'origine ukrainienne, cède la Crimée à l'Ukraine, pour fêter le tricentenaire du traité de Pereïaslav, par lequel les cosaques d'Ukraine avaient proclamé leur allégeance à Moscou. Mais cette cession de la Crimée est essentiellement symbolique et administrative car l'Ukraine à ce moment n'a aucune autonomie. Ce n'est qu'en 1991, quand l'URSS se disloque, que les conséquences du « don » de Khrouchtchev se font sentir: la Crimée se retrouve alors soumise à l'autorité de Kiev, avec laquelle elle a peu d'histoire commune. Le pouvoir central ukrainien décide finalement en 1992 d'accorder un statut de république autonome à la péninsule, au prix de vives tensions.

Les Tatars, une communauté d'origine turco-mongole installée en Crimée et dans le sud de l'Ukraine depuis le XIIIe siècle, ont une histoire mouvementée. Arrivé dans la région grâce à la poussée vers l'Ouest de Gengis Khan, ce peuple nomade se convertit à l'islam et s'assimile à l'Empire ottoman avant d'être attaqué et vaincu par la Russie de Catherine II. Sous Staline, les Tatars sont accusés de défier le régime communiste et pour certains, d'avoir soutenu l'Allemagne nazie, et sont déportés en Sibérie et en Asie centrale.

Ce n'est qu'après la chute de l'URSS en 1991 qu'ils sont autorisés à rentrer en Crimée. Aujourd'hui, ils représentent 12 % des 2 millions d'habitants de la péninsule et sont farouchement opposés à l'idée d'un protectorat russe. En 2004, les Tatars étaient des soutiens actifs de la « révolution orange » et plusieurs personnalités ont rejoint le parti Batkivchtchina, du premier ministre Arseni Iatseniouk. Mais beaucoup de Tatars ont été déçus que leurs droits et notamment leur langue ne soient pas mieux reconnus.
 
C'est dans le port militaire de Sébastopol que stationne une partie de la flotte navale russe depuis la fin du XVIIIe siècle. Sébastopol permet à la marine russe d'avoir un accès direct à la mer Méditerranée par le détroit du Bosphore. Le port de Crimée compte aujourd'hui 25 navires de combat et 13.000 hommes.

Depuis l'implosion de l'Union soviétique en 1991, la question de la flotte envenime les relations entre Kiev et Moscou. C'est au prix d'un rabais accordé sur le gaz vendu à l'Ukraine, que la Russie peut maintenir ses navires dans le port de Sébastopol. Le premier bail signé en 1997 devait initialement venir à échéance en 2017, mais en 2010, sous la présidence de Viktor Ianoukovitch, les Parlements ukrainien et russe ont signé un accord sur une prolongation de 25 ans, jusqu'en 2042.

L'importance militaire de Sébastopol pour la Russie s'amenuise néanmoins. D'une part, car la mer Noire est moins stratégique pour Moscou qu'elle ne l'était aux XIXe et XXe siècles. Des cinq organisations navales russes, celle de la mer Noire n'est que l'avant-dernière en termes de taille, loin derrière les flottes des mers du Nord et de l'océan Pacifique. Par ailleurs, les contraintes administratives imposées par l'Ukraine à la flotte russe de Sébastopol a contraint Moscou à envisager le développement militaire d'un autre port: celui de Novorossiysk, pour lequel Moscou a annoncé de lourds investissements. Si Novorossiysk n'est pas encore opérationnel, plusieurs futurs bâtiments militaires sont toutefois déjà programmés pour y stationner. A l'heure actuelle, il n'est cependant pas question pour la Russie d'abandonner Sébastopol, même si sa flotte est vieillissante. Ce port a un poids symbolique et historique trop important pour que Moscou le lâche.


Sébastopol: Une base navale russe clé en Ukraine
par Edouard Pflimlin, journaliste et enseignant en relations internationales
Le Monde - 28 fev 2014
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/28/pourquoi-la-base-militaire-de-sebastopol-est-essentielle-pour-la-russie_4375318_3214.html


La base de Sébastopol, ville d'Ukraine située dans le sud-ouest de la Crimée, sera-t-elle le lieu d'un nouveau siège, 160 ans après la guerre de Crimée, qui commença le 27 mars 1854 ? Probablement non, mais les tensions entre le nouveau pouvoir ukrainien, les russophones de Crimée et plus généralement l'est de l'Ukraine, et Moscou, en font un point d'appui pour les menées de la politique russe.

Sébastopol abrite la flotte russe, puis soviétique, de la mer Noire depuis que la ville a été fondée par l'impératrice Catherine II à la fin du XVIIIe siècle. Pendant la campagne de Russie, qui commence en juin 1941, « le siège de la ville est l'un des plus longs et des plus cruels de la seconde guerre mondiale. A sa libération, Sébastopol obtient le titre de "ville héros" et accède au panthéon de la Grande Guerre patriotique en devenant l'égale de Stalingrad ou Leningrad ». A la suite de l'éclatement de l'Union soviétique en 1991, qui voit la naissance d'un Etat ukrainien souverain, une partie de la flotte dépendant de la marine soviétique conduit à la formation de la nouvelle marine ukrainienne. Le 28 mai 1997, un accord avec la Russie partage la flotte de la mer Noire: l'Ukraine obtient 17 % de la flotte (soit 80 navires), et la Russie 83 % (soit 338 navires).

L'ancienne flotte soviétique de la mer Noire ainsi que toutes les installations ont été divisées entre la flotte russe de la mer Noire et la marine ukrainienne. Ainsi, deux forces marines partagent quelques-uns des ports et quais le long des côtes de Sébastopol et de sa région, tandis que certaines zones sont démilitarisées ou contrôlées par une seule nation. Sébastopol demeure le quartier général tant de la Flotte russe de la mer Noire que celui de la marine ukrainienne. Selon le traité de 1997, la base navale de la marine russe reste à Sébastopol, grâce à un bail de 20 ans signé entre les deux parties, qui court jusqu'à 2017. Ce traité suit une longue discussion. Au tout début, Moscou refusa de reconnaître la souveraineté ukrainienne sur Sébastopol ainsi que sur toute la région environnante de Crimée. Mais finalement, l'appartenance de Sébastopol à l'Ukraine sera confirmée.

Treize ans plus tard, de nouveaux accords renforcent la position russe. La signature des accords le 21 avril 2010 entre la Russie et l'Ukraine concernant le bail de la flotte russe de mer Noire à Sébastopol règle les nouvelles conditions de l'utilisation de cette base stratégique. Outre 8 millions de dollars de loyer annuel payés à l'Ukraine depuis 1997, la Russie est censée pratiquer à l'égard de Kiev un tarif préférentiel de fourniture de gaz correspondant à une réduction de 30 % du prix normal de livraison. Kiev bénéficiera d'une ristourne sur le prix du gaz russe, qui pourra atteindre 100 $ pour 1 000 m3. Ce qui, par la suite, n'empêchera pas Moscou de faire pression sur Kiev en menaçant de couper les exportations de gaz russe vers et via l'Ukraine.

La flotte russe a pu aussi prolonger son bail à Sébastopol au-delà de l'échéance de 2017 « moyennant le versement par l'armée russe, à la ville de Sébastopol, d'une rente annuelle de 100 millions de dollars. Désormais, les navires ruses sont assurés de pouvoir rester jusqu'en? 2042, avec une option d'extension jusqu'en 2047 », souligne le Figaro. Au total, la marine russe a 15.000 militaires stationnés dans la base de Crimée, selon un accord avec le gouvernement ukrainien qui permet de stationner jusqu'à 25.000 militaires dans la région. Le nombre a augmenté depuis 2008. Pour Moscou, « le port ukrainien est un élément-clé pour la puissance navale russe », note le Financial Times.

Durant la guerre russo-géorgienne de l'été 2008, « la base russe de Sébastopol s'était révélée stratégique lorsque la flotte russe a organisé des blocus dans la mer Noire et l'a utilisée pour lancer des débarquements amphibies. Il a également prouvé son utilité à la Russie dans la crise libyenne, les missions antipiraterie dans l'océan Indien et le rôle de Moscou dans le démantèlement des armes chimiques de la Syrie », indique le FT.

La citadelle navale offre un port à huit baies en eaux profondes, meilleur que le port russe proche de la ville de Novorossisk. L'intérêt pour la Russie est également symbolique, souligne Le Figaro: « Il permet de continuer à faire flotter à Sébastopol le drapeau russe. » « Outre le siège de la flotte de la mer Noire, Moscou dispose, dans cette ville de 380.000 habitants et à 70 % russophone, d'un centre de communications, d'un hôpital militaire et de deux régiments (infanterie de marine et aérien). »

« Symbole historique de modernité impériale et d'héroïsme militaire, Sébastopol constitue aujourd'hui un enjeu majeur pour la Fédération de Russie. Bien plus qu'un simple accord militaire, le renouvellement du bail russe sur la base navale s'expliquerait par la volonté de Moscou de mettre en valeur les minorités russophones de l'étranger dans une perspective d'influence. En effet, les liens profonds qui unissent Sébastopol à sa garnison montrent l'existence d'une identité locale particulière qui illustre les aspirations géopolitiques de la Russie contemporaine », soulignait la revue de géopolitique Hérodote, dans un numéro de 2010. Quatre ans après, les événements en Crimée pourraient confirmer cette analyse.