Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
Seule une révolution mettra fin à un système
dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.
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Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour :
21.11.2025
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Pourquoi la Coupe du monde provoque l’indignation
par Raúl Zibechi
MediosAlt (20/06/2013), rapporté par OCLibertaire - 17 jul 2013
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1394
Au Brésil, se sont formés 12 Comités Populaires dans chacune des villes qui accueilleront le Mondial afin de résister aux expulsions et dénoncer la portée de ces évènements que révèle Zibechi dans cette recherche.
Bien que cela semble difficile à croire, le football est une affaire des élites: aussi bien pour ceux qui tirent profit de ce sport, que pour ceux qui peuvent accéder aux stades. Les Coupes du monde accélère le processus en transformant les stades en de grandes plates-formes pour les affaires et en refusant l’accès aux majorités. Un demi-siècle de l’histoire du mythique Maracanã en est la confirmation la plus récente.
Environ 203.000 personnes ont assisté à la finale de 1950 au Maracanã, ce qui représentait 8,5 % de la population de Rio de Janeiro. Les entrées dans les emplacements dits "généraux" et "populaires", d’où les secteurs populaires assistaient au match, représentaient 80 % de l’auditoire total. Une partie importante des spectateurs regardait le match debout dans un stade qui avait une capacité de 199.000 personnes.
Aujourd’hui, le Maracanã est une « enceinte multi-usage » qui accueille des événements sportifs, des concerts et des spectacles de toutes sortes. Sur les gradins ont été construits des cabines offrant une vue sur l’ensemble du terrain, avec des vitres qui séparent les VIPs du reste des spectateurs. Elles sont équipées de bars, de la télévision et de l’air conditionné et sont généralement louées par des entreprises qui invitent leurs associés ou partenaires et des officiels. Ils ont le privilège de pouvoir arriver directement en voiture par une rampe sans avoir à supporter le moindre contact avec la « foule ».
Les stades ont commencé à changer dans les années 1990 avec le prétexte de la sécurité et du confort, dans le cadre d’une campagne globale à laquelle a non seulement participé la FIFA mais aussi des clubs, stimulés par leurs sponsors privés. Vers la fin de la décennie, le prix des billets à travers le monde, a augmenté bien au-dessus de l’inflation, ce qui rend l’accès de plus en plus difficile aux familles de travailleurs.
Le Maracanã a réduit sa capacité après une rénovation réalisée en 1999 pour la Coupe du Monde des Clubs de 2000, à seulement 103.022 personnes parce que des sièges individuels ont été installés sur l’anneau supérieur. Entre avril 2005 et janvier 2006, il a été fermé pour travaux afin d’accueillir les Jeux panaméricains de 2007. A cette occasion ont été supprimés les zones "générales" où le public suivait la rencontre debout et des sièges ont été installés, abaissant la capacité à seulement 82.238 personnes, mais avec des sièges inclinables.
Actuellement le Maracanã subit une nouvelle rénovation pour la finale de la Coupe du monde de 2014 et les Jeux Olympiques de 2016.
Depuis la mi-2010, il est fermé pour des transformations qui suivront le "modèle fifa" qui exige que tous les emplacements soient couverts, ce qui oblige à modifier l’ensemble du toit. En réalité, le stade a été implosé et seule la façade extérieure a été conservée car elle est considérée comme patrimoine historique national. La reconstruction coûtera un milliard de reais, un minimum de 600 millions de dollars, le stade sera mis en concession au secteur privé, aura encore moins d’emplacements qui deviendront de plus en plus chers.
Plus qu’un simple stade de football, il deviendra un théâtre avec des sièges numérotés où l’on ne peut plus suivre le match debout. Ainsi ont été abolies les espaces de créations collective des clubs de supporters, tapageurs et désordonnés, et à leur place il ne subsistera que la possibilité de chorégraphies préformatées comme les "olas" et le déploiement sage et ordonné de mini drapeaux individuels.
Après avoir été le maior do mundo, le Maracanã en est venu à occuper une modeste 14ème place, loin derrière les deux plus grands stades du monde: le Rungrado May Day de Pyongyang (Corée du Nord), d’une capacité de 150.000 spectateurs, et le Salt Lake Calcutta (Inde) avec 120 000 places. Mais surtout, il a cessé d’être un espace populaire pour devenir un support de business et de spectacles.
Nettoyage social
Le Comité populaire de Rio de Janeiro qui a été créé pendant les Jeux panaméricains de 2007, alors que population étaient expulsée de force pour les travaux de construction, a commencé à résister aux transferts. « Nous avons également commencé à percevoir que les expulsions ne sont pas le seul problème des grands événements. Nous avons remarqué d’autres facteurs tels que la corruption. Les travaux des Jeux Panaméricains ont été budgétés à 300 millions de reais, mais en ont coûté 3,5 milliards », soit environ 2 milliards de dollars, explique Roberto Morales, conseiller du député Marcelo Freixo, du Parti du socialisme et de la liberté.
Rio est la ville brésilienne la plus touchée par les travaux, car elle sera l’hôte de la Coupe du Monde de 2014 et des Jeux Olympiques de 2016. Dans les 12 villes qui accueilleront la Coupe du Monde, des comités populaires ont été créés qui se sont coordonnés et mobilisés sous le slogan « La Coupe et les Jeux olympiques dans le respect des droits humains ».
Le rapport "Méga événements et violations des droits humains", publié en avril dernier par le Comité populaire de Rio de Janeiro, fait remarquer que lors des cinq derniers championnats nationaux, la participation du public par match a baissé, même si l’on note une légère augmentation du public total, tandis que les recettes ont explosé. Entre 2007 et 2011, le nombre des spectateurs par match de la ligue a chuté de 17400 à 14900, le public total de l’ensemble de la ligue a augmenté de 5,6 à 6,5 millions pendant que les recettes ont augmenté de près de 50 %, ce qui indique que le prix des entrées ne cesse d’augmenter.
Comme ailleurs dans le monde, le football du Brésil ne dépend plus de ce que paient les spectateurs. En 2010, ses clubs ont essentiellement couverts leurs budgets par l’exportation de joueurs, poste occupant 28 % du budget, suivi par les matchs télévisés représentant 24 % des recettes, et la publicité 12 %. Les entrées ne couvrent que 11 % des budgets.
Le rapport des Comités Populaires note que le Brésil a un déficit de 5 millions de logements. Les grands travaux du Mondial, des stades à l’agrandissement des aéroports et des autoroutes, coûteront un total d’environ 20 milliards de dollars pour un championnat qui dure moins d’un mois. Une somme colossale qui provient des impôts brésiliens et dont ne bénéficient que quelques méga-entreprises.
Les déplacés
Bien que le gouvernement ne donne aucune information sur les expulsions forcées que provoquent les travaux, on estime qu’ils affecteront environ 170.000 personnes. Les Comités Populaires ont détecté une sorte de modèle qui se répète dans chaque ville où auront lieu les expulsions: les victimes ne savent jamais rien de la part des pouvoirs publics mais sont informés par des rumeurs ou parce que des travaux commencent près de chez eux. « Le manque d’information et de notification préalable génère de l’instabilité et de la peur envers l’avenir », ce qui paralyse les familles et les met à la merci des pouvoirs ou des spéculateurs, signale le rapport.
La quasi-totalité des personnes touchées vivent dans des zones à faible revenu, en situation de précarité ou d’informalité.
Dans la région métropolitaine de Curitiba (Paraná), 1.173 immeubles seront touchés pour la construction du Corridor Métropolitain de 52 kilomètres de long, les accès ferroviaires et la reconstruction et l’élargissement de plusieurs avenues et autoroutes. Le seul agrandissement de l’aéroport et de sa zone de parking implique la démolition de 320 logements, sans qu’aucun de leurs résidents n’aient été informés des indemnisations qu’ils recevront ni où ils seront déplacés.
A Belo Horizonte, un gigantesque complexe immobilier est en construction, qui occupera 10.000 hectares d’espaces verts pour édifier 75.000 appartements. Il s’appellera Vila da Copa et servira initialement à accueillir les délégations, les touristes et les journalistes présents à la Coupe du Monde. A Fortaleza, 15.000 familles seront touchées, dont près de 10.000 devront être réinstallées, mais n’ont pas encore été informées de là où elles vont vivre.
La plupart des personnes touchées seront déplacées par l’élargissement ou la construction de nouvelles autoroutes. La Voie Express de Fortaleza traversera 22 quartiers afin de relier la zone hôtelière avec le centre-ville et le stade Castelão. Dans ce cas, les familles peuvent choisir entre une indemnisation, un appartement dans un ensemble d’immeubles ou l’échange contre un autre logement dans un quartier de la capitale. Bien que 70 % des 9.000 familles touchées aient choisi un ensemble résidentiel, la pression sociale a ralenti l’ensemble du processus jusqu’à ce que se présente un projet alternatif dans de meilleures conditions.
Des centaines de maisons à la périphérie de Fortaleza ont été marqués à l’encre verte pour être démolies cette année, mais les habitants n’ont aucune communication officielle les informant quand aura lieu la démolition. Les Comités Populaires de la Coupe affirment que dans 21 quartiers misérables et favelas de 7 villes qui accueilleront le Mondial, l’État applique des « stratégies de guerre et de persécution, comme le marquage des maisons avec de l’encre sans explication, l’invasion des domiciles sans mandat judiciaire, l’appropriation illégale et la destruction de bâtiments », ainsi que les menaces, la coupure des services et autres actes d’intimidation.
Les travaux pour le Mondial facilitent une sorte de "nettoyage social" impulsé par la spéculation et le déplacement de familles qui habitent sur des terrains depuis quatre cinq décennies, comme à São Paulo avec la construction du Parque Linéal Várzeas do Tietê [Parc linéaire de la plaine du Tietê], une plaine inondable de laquelle quatre mille familles ont été délogées et six mille autres seront expulsées.
État d’exception
Le Parlement a été contraint d’approuver la Loi Générale de la Coupe qui établit les normes juridiques relatives à la conduite de la Coupe des Confédérations en juin 2013 et du Mondial de l’année suivante. Le projet a été présenté par l’exécutif sur la base des critères établis par la fédération, mais plusieurs députés ont estimé qu’elle contredit la législation brésilienne. Par exemple, au Brésil, la vente d’alcool dans les stades est interdite, mais la FIFA exige qu’il y ait une totale liberté, ce qui peut générer des situations de violence, selon de nombreux députés.
Un autre point de désaccord tourne autour des droits acquis par les étudiants, les retraités, les bénéficiaires de la Bolsa Familia et les malades, qui paient la moitié du prix d’entrée, ce que la FIFA refuse aussi. La loi appelé Loi Pelé, qui profite aux syndicats des athlètes professionnels, avec 5 % des recettes provenant de droits de diffusion audiovisuels d’événements sportifs, sera également suspendue pour la Coupe du Monde.
La fédération exige également que le pays hôte délivre des visas et des permis de travail à tous les membres des délégations, des invités, des officiels des confédérations, des journalistes et des visiteurs des autres pays qui ont acheté des billets. Ces permis spéciaux n’arriveront à échéance que le 31 décembre 2014, soit six mois après la fin de la Coupe du Monde. En somme, une grande partie de la législation nationale est suspendue pour répondre aux exigences de la FIFA.
Le rapport de la Coordination des Comités Populaires de la Coupe ajoute à la liste des griefs, la violation des droits des travailleurs informels (près des 2/3 des Brésiliens). En effet, l’article 11 de la Loi de la Coupe interdit la vente de tout type de marchandises dans « les lieux officiels de compétition, dans leurs environs et voies d’accès principales », sans l’autorisation expresse de la fédération. La définition et les limites des "zones exclusives" au commerce des produits de la FIFA doivent être délimitées par les municipalités « compte tenu des exigences de la FIFA ou de tiers indiqués par elle », d’où seront expressément exclus les vendeurs ambulants dans un rayon de deux kilomètres autour des stades.
L’article 23 punit même les bars qui voudraient transmettre les matches de la Coupe du monde sans autorisation et si en plus ils font la promotion de certaines marques non autorisées. La Confédération Nationale du Commerce et d’autres associations professionnelles de commerçants ont exprimé leur opposition à la Loi de la Coupe. Le plus grave est peut-être que le projet de loi prévoit, à travers l’article 37, que « des tribunaux spéciaux pourront être créés pour les procédures de mises en accusation et les procès des affaires liées aux évènements ».
Le pouvoir accumulé par les fédérations sportives au cours des dernières décennies est en mesure de s’imposer à des millions de citoyens dans le monde entier, qui sont réellement ceux qui les soutiennent, et aux puissants États de tous les continents, sans provoquer de débats publics dans lesquels la trame des intérêts pourrait transparaitre.