Ni rouge, ni noir, ni vert. L'autonomie rejette partis,
syndicats et toute forme de gestion et de pouvoir.
Rassembler des foules sous un même drapeau
trouve toujours son origine dans une imposture.
Seule une révolution mettra fin à un système
dont l'obsession de l'argent entraine l'humanité
vers la catastrophe.
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Date de création : 10.03.2011
Dernière mise à jour :
19.12.2025
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Les régimes autoritaires de Ianoukovitch en Ukraine, de Loukachenko au Bélarus, comme ceux des républiques d'Asie centrale sont dirigées par des mafias pétrolières ou gazières constituées sur le modèle soviétique. Partout où la Nomenklatura concentre tous les pouvoirs, les rares forces d'opposition sont conduites par des hommes d'affaires, de grosses fortunes. En Georgie, c'est l'homme le plus riche du pays, Ivanichvili, qui a pris la tête de l'opposition contre le président sortant. En Ukraine, Vitali Klitchko, champion du monde de boxe, apparait comme une valeur montante. Leur réussite suscite l'espoir d'un changement et attire les suffrages de la masse des chômeurs et des laissés pour compte sur la base d'un programme le plus souvent démagogique, populiste, nationaliste. Mais quand leur pouvoir personnel ou celui de leur clan devient trop important ou concurrence directement celui de l'Etat, ils sont alors écartés ou emprisonnés, comme l'oligarque Khodorkovski en Russie. Les prétextes ne manquent pas pour les éliminer tellement la corruption fait partie intégrante du mode de fonctionnement de l'Etat. D'après Transparency international, 60 % des dépenses de l'Etat finissent dans les poches de ses hauts fonctionnaires.
La principale menace qui pèse sur ces régimes de plomb vient de l'extérieur. C'est la crise économique mondiale. C'est elle qui pousse actuellement la Russie à déplacer son centre de gravité vers l'Asie centrale (comme l'illustre le projet de construction d'une Union douanière eurasienne). C'est elle qui pourrait réveiller les vieux réflexes identitaires et venir troubler l'immobilisme apparent dans l'ex-URSS. Déjà en 2008-2009 l'Ukraine avait été fortement secouée, subissant une chute de 15 % du PIB qui l'avait obligée à avoir recours à un prêt du FMI. Il est possible que l'Euro de foot, dont les retards pris dans la construction des stades et des infrastructures ont fait exploser les budgets prévisionnels, débouche sur un fiasco économique (tout comme les JO de 2004 pour Athènes), ce qui aurait pour conséquence de creuser un peu plus l'endettement du pays. Et le foot qui devait servir la propagande du régime sera peut-être à l'origine de sa chute, car une économie ukrainienne affaiblie placerait le gouvernement Ianoukovitch à la merci d'une augmentation du prix du gaz par la Russie, ce qui pourrait déclencher un mouvement de mécontentement ou créer les conditions d'un retour au pouvoir de l'ancien président pro-russe.
Euro 2012: Ukraine 0 – Pologne 1
par Laurent Geslin
Le Temps (Suisse) - 31 mai 2012
http://www.letemps.ch/Facet/print/Uuid/894613b6-aa8d-11e1-bc55-5e66feda42fa/Euro_2012_Ukraine_0__Pologne_1
KIEV - L’Ukraine est critiquée à la veille de la fête du football européen pour sa mauvaise gestion politique et économique. Le pays a investi 10 milliards d’euros mais il a peu de chance de récupérer cette somme, alors même qu’il est déjà lourdement endetté. La Pologne fait à l’inverse figure de bon élève et espère des retombées très favorables.
En Ukraine, l’Euro 2012 de football n’est pas pour tous synonyme de festivités. Voilà un an qu’Oksana, 25 ans, doctorante en science politique, a été obligée de quitter sa résidence de l’Université Taras Schevchenko. Pour faire face à la pénurie d’hôtels à Kiev, les autorités ont réquisitionné les cités universitaires de la capitale ukrainienne afin de loger les touristes attendus durant la compétition. « On nous a laissé quelques semaines pour déménager, sans nous proposer de solution de remplacement », raconte la jeune femme. « Je payais ma chambre 20 € par mois, aujourd’hui le loyer de mon appartement est de 200 €. » Oksana a pu retrouver un logement, mais dans un pays où le salaire moyen plafonne à 200 €, tous n’ont pas eu la même chance.
L’Ukraine a investi plus de 10 milliards d’euros pour préparer l’Euro, dont 5,3 milliards ont été couverts sur fonds d’Etat. Les autorités espèrent donc que plus de 1 million de touristes feront le déplacement en Ukraine cet été, injectant au minimum 1 milliard d’euros dans l’économie nationale. Des prévisions très optimistes au vu des scandales qui sont venus ternir l’image du pays ces derniers mois. La flambée des prix des hébergements, jusqu’à 10 fois les tarifs habituels, a visiblement découragé beaucoup de visiteurs.
D’après certains économistes, l’Ukraine a donc bien peu de chance de récupérer les sommes investies, alors même que le pays doit faire face cette année à 9,5 milliards d’euros de remboursements de sa dette. Le FMI refuse de plus depuis le début de l’année 2012 de débloquer une nouvelle ligne de crédit tant que le gouvernement n’aura pas augmenté le prix du gaz pour les ménages ukrainiens, une décision très impopulaire à quelques mois des élections législatives d’octobre prochain. Très durement touché par la crise économique de 2009, le pays avait affiché une croissance d’environ 4 % en 2010 et 2011, mais selon les estimations, l’activité devrait fortement ralentir en 2012, en raison de l’augmentation du prix des hydrocarbures et de la raréfaction des financements extérieurs.
Lundi 28 mai, le président Viktor Ianoukovitch affichait pourtant un grand sourire lors de l’inauguration du terminal D de l’aéroport Borispol de Kiev, un bâtiment ultramoderne qui a coûté 480 millions d’euros. « L’Euro 2012 est une opportunité pour l’Ukraine de montrer de quoi elle est capable », a réaffirmé le chef de l’Etat.
De fait, malgré des retards importants, les stades sont prêts et l’essentiel des infrastructures devrait être terminé à temps, mais les budgets des travaux ont explosé depuis les devis initiaux, laissant planer de forts soupçons de corruption sur les politiques ukrainiens. Les coûts de construction du stade de Lviv ont par exemple doublé, passant de 100 à 200 millions d’euros et le budget pour la réalisation d’un tronçon d’autoroute de 84 kilomètres entre Krakovets et Lviv est passé de 150 à 400 millions d’euros.
Au niveau diplomatique, le climat est à l’orage, à dix jours du début de la compétition, et ce malgré les déclarations rassurantes des officiels ukrainiens qui répètent inlassablement que le tournoi sera un succès. Accusé par les Occidentaux de mener des procès « politiques » contre l’opposition, et en particulier contre sa vieille rivale Ioulia Timochenko, le président Viktor Ianoukovitch est de plus en plus isolé sur la scène internationale et certains diplomates européens ont annoncé leur intention de boycotter la compétition si l’opposante n’est pas libérée de prison.
Le nouveau président français, François Hollande, a laissé entendre qu’il pourrait ne pas se rendre en Ukraine pour l’Euro 2012. « J’aime beaucoup le football mais ce qui se passe en Ukraine est un problème », a-t-il déclaré il y a quelques jours à l’issue d’un sommet informel de l’Union européenne. Evguenia Timochenko, la fille de l’ancienne première ministre emprisonnée pour corruption Ioulia Timochenko, a cependant appelé hier à ne pas mélanger le sport et la politique, afin de ne pas gâcher une compétition pour laquelle sa mère s’était battue lorsqu’elle était à la tête du gouvernement.
Selon un officiel ukrainien cité par l’agence Reuters, Kiev pourrait lancer des missiles pour éviter que la pluie ne vienne gâcher les matches de l’Euro de football 2012. « Nos roquettes sont prêtes à disperser les nuages », déclare-t-on au sein du gouvernement. Pas certain cependant que ces missiles puissent écarter toutes les menaces qui pèsent sur le ciel ukrainien.
L'Ukraine en voie de "poutinisation"
par Marie Jégo
Le Monde - 08 jun 2012
http://www.lemonde.fr/international/article/2012/06/01/l-ukraine-en-voie-de-poutinisation_1711457_3210.html
Mercredi 30 mai, rue Volodymyrska au centre de Kiev, la capitale ukrainienne, il n'est pas midi et toute la rue est engorgée. Deux voitures viennent de se percuter, un petit froissement de taule. Seulement voilà, comme le contrat à l'amiable n'existe pas, les automobilistes en sont réduits à faire les cent pas jusqu'à l'arrivée du policier. L'attente peut durer trente minutes, une heure, ou plus. Dans l'intervalle, pas question de déplacer les véhicules accidentés, qui doivent rester au beau milieu de la chaussée jusqu'à l'arrivée de l'homme en uniforme. Cette règle du code de la route, héritée de l'époque soviétique, est encore en vigueur dans la plupart des pays de l'ex-URSS. Personne n'a jamais songé à en changer. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Les automobilistes peuvent toujours klaxonner...
Pays de 45 millions d'habitants situé à la charnière de l'Union européenne et de l'ancien empire russe, l'Ukraine est aussi paralysée que le flot de voitures rue Volodymyrska. Son économie, laminée par la crise de 2008, n'a pas retrouvé son essor d'antan; sa politique étrangère est empêtrée dans le "ni-ni" - pas d'accord d'association Ukraine-Union européenne (UE) en vue, froid persistant avec Moscou; sa scène politique interne ressemble à une mauvaise série télévisée.
Vingt ans après l'indépendance, le pays ignore le consensus. Pire, depuis l'entrée en fonctions du président Viktor Ianoukovitch, en 2010, l'Ukraine, en voie de "poutinisation", est menacée d'isolement. Quatre ministres du gouvernement précédent sont derrière les barreaux pour malversations et abus de pouvoir. Outre Ioulia Timochenko, l'ancienne première ministre, égérie de la "révolution orange" de 2004, qui purge une peine de 7 ans de prison à Kharkov, Iouri Loutsenko, ex-ministre de l'intérieur, a été condamné à 4 ans d'emprisonnement. Prison aussi pour Evgueni Kornitchouk, ancien vice-ministre de la justice, et Valeri Ivachtchenko, ex-ministre de la défense par intérim.
"Ioulia Timochenko n'est certainement pas sans taches, mais la condamner au pénal à cause du contrat gazier signé avec la Russie en 2009, lorsqu'elle était première ministre, est absurde. A ce compte-là, il faudrait aussi inculper Mykola Azarov [l'actuel premier ministre] pour les accords signés à Kharkov avec la Russie en 2010, soit une réduction des prix du gaz en échange du stationnement de la flotte russe à Sébastopol", estime Valeri Kalnych, rédacteur en chef adjoint du journal russe Kommersant.
Le pluralisme et la liberté de parole n'étaient-ils pourtant pas de mise en Ukraine depuis la "révolution orange" ? Il y a 8 ans, des centaines de milliers d'Ukrainiens réunis place Maydan à Kiev pour dire leur ras-le-bol des élections truquées, du mensonge et de la censure, avaient cru au changement. Que s'est-il passé ?
Une fois au pouvoir, les "orange" (libéraux, proeuropéens) ont déçu: velléitaires, trop divisés. L'électorat s'est alors tourné vers les "bleus" (russophones, conservateurs) qui leur ont succédé. Et rien n'a bougé. "Lourdeur administrative, corruption à tous les niveaux, dégradation du système de santé, je ne vois aucune amélioration. De l'Etat, je n'attends rien, sinon qu'il s'abstienne de me mettre des bâtons dans les roues", déplore Dmytro Kouchnir, 32 ans, un francophone qui a monté sa propre entreprise de traduction.
Tout le pouvoir est aux mains du Parti des régions, une holding florissante dirigée par les oligarques du "clan de Donetsk", la ville natale du président Viktor Ianoukovitch, située dans l'est industriel et russophone. Aux postes-clés, intérieur, justice, services secrets, des gens de Donetsk ont été nommés. Depuis peu, il faut compter avec un autre clan, celui du président. Son fils aîné, Alexandre, oligarque prospère, se prépare à la succession.
"En Ukraine, contrairement à ce qu'on imagine, il n'y a pas plus de libertés qu'en Russie, l'opposition est sans influence réelle, la justice n'est pas indépendante, la notion de propriété n'existe pas. C'est comme dans le conte d'Ali Baba, nos dirigeants sont maires le jour, chefs de bande la nuit", explique Vitali Portnikov, qui anime une émission politique très suivie sur TVi, la seule chaîne indépendante du paysage médiatique.
Enracinée depuis longtemps, la corruption est devenue systémique. Tout s'achète, les études, le permis de conduire et même les mandats de députés, mis aux enchères entre 1 et 5 millions de dollars. La politique est devenue l'art de se vendre au plus offrant comme en témoigne la grande versatilité des parlementaires. Le moindre responsable en région doit payer un pot-de-vin à son supérieur à Kiev lorsqu'il reçoit de l'argent du budget pour la réparation d'une route ou la construction d'une nouvelle école.
Les investissements étrangers directs affluent en provenance de Chypre: c'est donc le retour de l'argent des oligarques dissimulé en off shore. Avec l'incertitude qui pèse sur la Grèce, l'argent revient. Attirer les vrais investisseurs sera difficile. Au classement Doing Business 2012 de la Banque mondiale, établi pour 183 pays, l'Ukraine est au plus bas: 181e pour l'octroi des permis de construction et pour le paiements des impôts, 169e pour le raccordement à l'électricité, 111e pour la protection des investissements.
Vitali Portnikov en est sûr, "le système postsoviétique est en bout de course. C'est comme en URSS au début des années 1980, on voyait bien que rien ne marchait, les jours du régime étaient comptés, c'était évident. Simplement, on ne savait pas quand la chute aurait lieu". Pour le politologue Volodymyr Fesenko, du centre de recherches Penta à Kiev, "l'humeur est au désenchantement. La confiance envers les politiques est au plus bas". "Le grand thème de discussion aujourd'hui, c'est lesquels (des bleus ou des orange) sont les plus mauvais dirigeants", confirme Vasyl Iourtchichine, expert économique du centre de recherches Razoumkov.
Le président Viktor Ianoukovitch a le don d'agacer l'opinion. "Il se prend pour le roi !", proteste Anatoli, un manutentionnaire qui ne supporte plus d'attendre 45 minutes au feu rouge chaque matin, afin de faire place nette au cortège présidentiel en route vers le centre-ville. Il faut dire que M. Ianoukovitch s'est fait construire un luxueux palais à Mejegorié, une localité des environs de Kiev. Ses trajets quotidiens contraignent les services de sécurité à bloquer la route. "Il paraît qu'il a fait mettre des toilettes en or dans sa résidence...", confie Anatoli, avec une pointe d'admiration. La construction de deux pistes d'hélicoptère, au beau milieu du superbe parc public situé sur la rive droite du Dniepr, le rassure: "Il ira bientôt au travail en hélicoptère..."
Malgré tout, la population n'a pas perdu son appétit pour le feuilleton politique. "En 2005, la dispute entre le président Viktor Iouchtchenko et sa première ministre Ioulia Timochenko était vécue comme le divorce d'un couple, on suivait cela de très près. Aujourd'hui, le fait que Ioulia, emprisonnée, se soit fait taper dessus par son geôlier à Kharkov est vécu comme un rappel de la violence conjugale envers les femmes", fait observer Volodymyr Fesenko.
Dernier épisode de la saga, une bagarre a perturbé les travaux du Parlement le 25 mai. A coups de pied, de poing, de tête, les députés se sont opposés autour d'un projet de loi sur la langue, prévoyant qu'une minorité ethnique comptant pour 10 % dans une région donnée était en droit de réclamer un statut officiel pour sa langue. Le mot "russe" n'était pas directement mentionné dans le texte présenté par les parlementaires du Parti des régions, mais tout le monde y a pensé. Faire du russe la deuxième langue d'Etat aux côtés de l'ukrainien, devenu langue officielle dès l'indépendance, était une des promesses électorales de Viktor Ianoukovitch. Son Parti des régions est en mauvaise posture, alors que se profilent les législatives prévues le 28 octobre 2012. Le projet de loi était censé le faire gagner en popularité, c'est raté.
"Le problème de la langue russe est important vu de Moscou, mais ici, les gens s'en fichent, c'est secondaire", rappelle Vitali Portnikov. Si la division "bleus - orange" reflète un schisme bien réel entre deux Ukraine, l'une catholique, rurale et parlant ukrainien à l'ouest, l'autre orthodoxe, industrielle et russophone à l'est, la langue employée n'est pas un problème. A Kiev ou à Kharkov, on s'exprime dans les deux. Même chose à la télévision ou à la radio, où il n'est pas rare d'avoir deux animateurs parce que les intervenants parlent indifféremment le russe ou l'ukrainien, deux langues slaves très proches.
Lorsque Dmytro Kouchnir est arrivé de sa province de Khmelnitski à Kiev pour y faire ses études en 1996, il ne parlait pas un mot de russe. Après avoir rencontré sa femme, mi-russe, mi-ukrainienne, il s'est mis à la langue de Pouchkine. Lorsque le couple a eu une fille en 2006, il a tout de suite été question de parler à l'enfant en ukrainien, puisque, "de toute façon, elle allait apprendre le russe à l'école", explique le jeune entrepreneur. Dans la foulée, toute la famille s'est remise à l'ukrainien, y compris le père de sa femme, qui ne le parlait plus depuis des lustres.
"Demandez à un habitant de Lviv [Ouest] quelle est sa nationalité, il vous répondra sans hésiter qu'il est ukrainien. Si vous demandez la même chose à quelqu'un du Donbass [Est], il vous enverra balader, il ne sait pas, il s'en fiche. L'important, c'est que personne n'a envie que le pays éclate", rappelle Alexandre Paskhaver, la soixantaine, jadis conseiller économique de deux présidents (Leonid Koutchma, président de 1994 à 2005, puis Viktor Iouchtchenko, en fonctions de 2005 à 2010).
Ecrasées par les dominations des empires russe, polonais et austro-hongrois, puis de l'URSS, la culture et la langue ukrainiennes ont dépéri. Pendant longtemps, s'exprimer en ukrainien était synonyme d'arriération villageoise, tandis que parler russe ouvrait toutes les portes. Depuis l'indépendance, la langue ukrainienne a repris de la vigueur. Une nouvelle génération d'écrivains a vu le jour, traduits en Allemagne et en Finlande. "Si on déclare le russe deuxième langue officielle, c'en est fini de l'ukrainien", prédit Dmytro.
"En Europe, vous ne vous représentez pas à quel point l'Ukraine est un pays tragique. Au XXe siècle, on a perdu l'intelligentsia et la riche paysannerie, soit tous ceux dont on aurait besoin aujourd'hui pour faire une nation. Staline a tué toutes les formes d'activités collectives. Il a fait fusiller les kobzari, les chanteurs traditionnels, ainsi que les kraevedy, ceux qui s'intéressaient à l'histoire de leur région. Alors les gens sont devenus peureux, obéissants, repliés sur eux-mêmes. Depuis, ils ne pensent qu'à une chose: la survie", explique Alexandre Paskhaver.
Enthousiasmé en son temps par la "révolution orange", l'économiste estime que les attentes de la population évoluent malgré tout plus vite que le PIB du pays. La demande est là pour une nouvelle génération de politiciens, moins néo-soviétiques que ceux qui occupent la scène aujourd'hui. "Les gens en ont marre du manque de respect des autorités envers les individus, la propriété, les lois. Tant que ce pouvoir n'éprouve aucune compassion pour ses concitoyens, rien ne marchera", souligne-t-il. Ces derniers temps, de nouvelles têtes sont apparues, tel le boxeur Vitali Klitschko, qui vise depuis longtemps, mais sans succès, le poste de maire de Kiev. Là encore, c'est une histoire à dormir debout, puisque le maire en titre depuis 2006, l'exubérant Leonid Tchernovetski, vit désormais en Israël, privé de ses prérogatives par le président Ianoukovitch.
Devenu ministre de l'économie début 2012, l'oligarque Petro Porochenko, le "roi du chocolat", est apprécié des bailleurs de fonds occidentaux et de la population. Autrefois ministre des affaires étrangères de Ioulia Timochenko, l'homme a pris en main le budget dans le gouvernement de Ianoukovitch. "A lui seul, il ne peut pas changer grand-chose, mais au moins il a le sens du compromis, un trait qui fait cruellement défaut à notre classe politique", observe Alexandre Paskhaver.
A quand les réformes ? Pour Dmytro, "il faut tout détruire et tout reconstruire, tellement c'est pourri". Tous ont le regard tourné vers l'Union européenne. Le fait que M. Ianoukovitch se soit brouillé avec Bruxelles à cause du traitement réservé à Ioulia Timochenko ne fait que le rendre un peu plus impopulaire. Chacun comprend à Kiev que le clan de Donetsk est friand d'Europe pour légaliser ses affaires et se mettre à l'abri de la voracité des collègues russes, mais qu'il n'entend renoncer ni à l'opacité ni à la féodalité, les deux piliers de son fonctionnement. "Notre crainte est de rester hors de la sphère européenne, insiste le chercheur Vasyl Iourtchichine. Si l'Europe se défile et que la Russie cherche à reconstituer l'URSS, qu'allons-nous devenir ?"